Loyers covid : annulation d’un commandement de payer

7 octobre 2022

4 min

loyers covid
Caractérise un manquement à l’exigence de bonne foi le comportement du bailleur qui poursuit ses diligences de recouvrement et refuse toute négociation en temps de crise (TJ Paris, 22 septembre 2022)

 

Alors que l’on pensait que la Cour de cassation avait définitivement mis fin au contentieux relatif aux « loyers covid », le tribunal judiciaire de Paris vient de rendre une décision favorable au preneur sur le fondement de la bonne foi.

 

En l’espèce, en 2014, une SCI avait donné à bail un ensemble immobilier à une société afin qu’elle y exerce une activité de café-restaurant. Ce bail a été renouvelé par anticipation en 2017 pour une période de 9 ans.

 

En proie à d'importantes difficultés financières après le confinement, la preneuse a demandé à la bailleresse de lui accorder des aménagements, tant sur les montants que sur les échéances des loyers. La bailleresse n’a pas donné suite à cette demande et a fait délivrer un commandement de payer à la preneuse le 9 novembre 2020, soit dix jours après la mise en place de nouvelles restrictions sanitaires.

 

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En décembre de la même année, la preneuse a fait assigner la bailleresse et a demandé au tribunal judiciaire de Paris de prononcer la nullité de ce commandement de payer et l’exonération partielle du paiement des loyers. De son côté, la SCI demandait aux juges de constater le défaut de paiement des loyers et l’acquisition de la clause résolutoire.

 

Par un jugement du 22 septembre 2022, le tribunal judiciaire a débouté la preneuse de ses demandes relatives à l'exonération du paiement des loyers. Le tribunal a suivi l’analyse de la Cour de cassation et a considéré que l'interdiction de recevoir du public prescrite par les autorités administratives n’entraînait pas la perte de la chose louée et n’était pas constitutive d'une inexécution, par la bailleresse, de son obligation de délivrance. En revanche, le tribunal a estimé que le commandement de payer était nul et a débouté la bailleresse de sa demande tendant à voir constater l’acquisition de la clause résolutoire. La société bailleresse a également été condamnée à verser 3000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

 

LIRE LA DÉCISION >> Tribunal judiciaire de Paris, 22 septembre 2022

 

La caractérisation du manquement à l’obligation d’exécuter le contrat de bonne foi

Pour déclarer le commandement de payer nul et de nul effet, le tribunal judiciaire de Paris s’est appuyé sur l’exigence de bonne foi posée par l’article 1104 du Code civil. Le tribunal a considéré que la bailleresse, qui a refusé toutes les tentatives de médiation proposées par la preneuse avant et pendant la procédure, a manqué à son obligation d'exécuter la convention de bonne foi. Les juges ont ainsi estimé que : « En dépit du contexte sanitaire prégnant et des restrictions gouvernementales affectant particulièrement les établissements de restauration, la bailleresse a poursuivi ses diligences de recouvrement des loyers et charges sans faire la moindre proposition d'échelonnement de la dette, uniquement constituée depuis le début de la crise sanitaire. Cet enchaînement de démarches coercitives de la part de la bailleresse, alors qu'elle ne pouvait ignorer les contraintes auxquelles sa locataire était confrontée, est de nature à maintenir une pression sur le débiteur dont les difficultés étaient manifestes et, par suite, à caractériser un manquement de la bailleresse à son obligation d'exécuter les contrats de bonne foi ».

 

 

« Ce jugement est intervenu dans un contexte particulier, dans la mesure où la relation locative était ancienne et qu’elle n’avait jamais donné lieu à un quelconque contentieux relatif à des retards ou des défauts de paiement jusqu'à l’arrivée du covid. Lorsque la société locataire a sollicité l’aide de la bailleresse pour traverser cette crise, elle a reçu pour toute réponse un commandement de payer. La bailleresse a maintenu cette position puisqu’elle a également refusé la médiation proposée dans le cadre de la procédure au fond. Ce jugement vient donc sanctionner le comportement du bailleur qui n’a pas voulu “jouer le jeu” en pleine période de crise. À ce titre, la condamnation de la bailleresse au paiement de 3000 euros au titre de l’article 700 est particulièrement significative» - Maître Alix Chabrerie du cabinet THEILLAC et CAVARROC.

 

 

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Les conséquences de l’annulation du commandement de payer

Cette annulation par le juge du commandement de payer n’a pas pour effet d’annuler les loyers ou d’exonérer la preneuse de leurs paiements. Il résulte en effet d’une jurisprudence constante que le juge ne peut prendre une telle sanction sur le fondement de la bonne foi. Dans un arrêt du 9 décembre 2009, la Cour de cassation avait ainsi rappelé que : « si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle, elle ne l'autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties ni à s'affranchir des dispositions impératives du statut des baux commerciaux » (Cass, 3. civ, 9 décembre 2009, n°04-19.923).

 

L’annulation du commandement de payer permet finalement à la preneuse d’obtenir les délais de paiement que la bailleresse avait refusé de lui accorder. En effet, dans la mesure où la clause résolutoire n’est pas acquise, la preneuse ne risque pas d’être expulsée en cas de manquement ponctuel à son obligation de payer.

 

 

« Cette décision n’est pas une victoire totale mais elle permet au preneur d’aborder l’apurement des loyers avec davantage de sérénité. Cela rappelle également aux bailleurs qu’ils ne peuvent pas agir avec une telle fermeté en temps de crise. On peut espérer que ce jugement ouvrira une nouvelle voie pour les locataires diligents qui sont mis à mal dans leur négociation avec les bailleurs depuis les arrêts de la Cour de cassation du 30 juin 2022 » - Maître Alix Chabrerie du cabinet THEILLAC et CAVARROC.

 

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Pierre-Florian Dumez

Juriste et entrepreneur, Pierre-Florian est rédacteur pour le Blog Predictice.

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