C’est grâce à Gisèle Halimi que la loi de 1980, qui a défini et criminalisé le viol, a été adoptée. En hommage à son action, nous vous proposons de retracer le traitement juridique du viol, de 1810 à nos jours.
Gisèle Halimi a défendu les victimes de deux procès qui ont eu un retentissement immense, et ont laissé leur empreinte sur le droit positif : le procès de Bobigny, qui a ouvert la voie à la loi Veil, en faveur de la dépénalisation de l’avortement, et l’affaire Tonglet Castellano, dite aussi procès d’Aix-en-Provence, à la suite de laquelle la définition du viol a été modifiée, et sa peine, alourdie.
L’occasion nous est donnée de revenir sur l’histoire juridique du viol depuis 1810, et de nous pencher sur le contentieux actuel de cette infraction avec Maître Philippe Sarda.
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L’évolution de la notion de viol depuis le code pénal de 1810
Selon Georges Vigarello, auteur de Histoire du viol (G. Vigarello, Histoire du viol, XVIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1998, 362 p.), avant 1810, le viol était condamné sévèrement par la loi mais en pratique peu poursuivi. De plus, les infractions à caractère sexuel ne constituaient pas des infractions spécifiques, distinctes des faits de violence en général.
Le code pénal de 1810 a marqué un tournant, puisqu’il a opéré une distinction entre les agressions à caractère sexuel et les autres faits de violence. Néanmoins, le viol ne constituait pas une infraction distincte, puisque l’article 331 le rangeait dans la catégorie des attentats à la pudeur.
Puis la loi du 28 avril 1832 a séparé les deux infractions : le viol et l’attentat à la pudeur.
Cette infraction était désormais visée à l’article 322 §1 du code pénal qui ne donnait toujours pas de définition et n’en précisait que la peine : « Quiconque aura commis le crime de viol sera puni des travaux forcés à temps de dix à vingt ans ».
La définition fut finalement élaborée par la jurisprudence, à l’occasion de l’affaire Dubas en 1857, affaire par laquelle la Cour de cassation envisagea, pour la première fois, la violence morale et non plus seulement la violence physique pour caractériser l’infraction de viol : « le fait d'abuser d'une personne contre sa volonté, soit que le défaut de consentement résulte de la violence physique ou morale exercée à son égard, soit qu'il réside dans tout autre moyen de contrainte ou de surprise, pour atteindre, en dehors de la volonté de la victime, le but que se propose l'auteur de l'action. » L’affaire était relative à une femme surprise dans son lit par un homme la nuit, qui s’était fait passer pour son mari.
Néanmoins, la lecture du grand pénaliste René Garraud, dans son Traité théorique et pratique du droit pénal français datant de 1913, met en lumière le fait que la question du consentement et plus précisément de la caractérisation du viol en dehors de violences physiques était difficilement acceptée : « En l’absence de toute disposition spéciale du Code pénal français, on éprouve quelque scrupule à placer sur la même ligne la violence morale et la violence matérielle, et à admettre que la femme consentant, sous la pression même des menaces les plus graves, à se livrer à un homme, puisse prétendre avoir été violée par celui-ci. »
De plus, le viol conjugal n’existait pas, même si les liens du mariage étaient fortement distendus : « Il faut, bien entendu, que le commerce avec une femme, recherché par la violence, soit illicite ; ainsi, un mari, qui prendrait sa femme de force, ne commettrait pas un viol, même après la séparation de corps, sauf la répression des blessures qu’il pourrait lui avoir faites. »
Jusqu’au procès menée par Gisèle Halimi, l’histoire juridique du viol n’a que très peu évolué. Le témoignage de Monique Antoine-Timsit, avocate de renom qui avait participé, aux côtés de Gisèle Halimi, au procès de Bobigny, décrit l’insuffisance du traitement judiciaire du viol à l’époque du procès d’Aix-en-Provence (Antoine-Timsit Monique, « Des pratiques ambiguës», in Déviance et société 1979, Vol. 3, n°1. pp. 79-82) : concernant l’élément matériel de l’infraction, seul le coït vaginal constitue un viol. Concernant son traitement judiciaire, bien que le viol soit un crime, elle dénonce l’indifférence suscitée par les plaintes dans les commissariats, une correctionnalisation systématique par la qualification d’outrage public à la pudeur, et une faible répression, puisque sur environ 350 à 400 affaires en moyenne par an, le quart des condamnés bénéficient d’une peine de prison avec sursis.
C’est dans ce contexte que s’est ouvert le procès d’Aix-en-Provence.
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Le procès d’Aix-en-Provence
En 1974, Anne Tonglet et Araceli Castellano, deux touristes belges qui campaient dans le Sud de la France, éconduisent un certain Serge Petrilli. Ce dernier décide alors de se venger, avec l’aide de deux amis. Le soir du 21 août, les trois hommes pénètrent dans la tente. Ils frappent et violent les deux jeunes femmes toute la nuit.
Anne Tonglet et Araceli Castellano portent plainte. Le parquet poursuit les trois hommes non pas pour viol mais pour attentat à la pudeur et coups et blessures, devant le tribunal correctionnel. Les avocates des victimes, Anne-Marie Krywin, Marie-Thérèse Cuvelier et Gisèle Halimi obtiennent le renvoi de l'affaire devant une cour d'assises. Décidée à médiatiser l’affaire, comme pour le procès de Bobigny, Gisèle Halimi refuse le huis-clos. Après des débats houleux suivis de près par les journaux, seul le meneur est condamné pour viol, les deux autres prévenus étant reconnus coupables seulement de tentative de viol. Le jury refuse de retenir la circonstance aggravante de crime en réunion. Les peines prononcées sont six ans de prison pour le viol, et quatre ans pour les tentatives.
Le scandale suscité par cette affaire met en lumière les carences du système judiciaire face aux affaires de viol.
Seulement deux ans après, la législation sur le viol est modifiée, par l’adoption de la loi n°80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux moeurs.
Comment le viol est-il appréhendé de nos jours ?
La loi du 23 décembre 1980 crée l’article 332, devenu l'actuel article 222-23 du code pénal, qui dispose : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, ou surprise est un viol. »
La définition est demeurée la même dans les grandes lignes jusqu’à nos jours. En 1992, la menace est ajoutée, et la loi dite « Schiappa » n° 2018-703 du 3 août 2018 élargit le champ d’application de l’article 222-23 du code pénal, afin d’inclure les cas de pénétration imposée par le violeur sur sa personne (par exemple, une fellation pratiquée par le violeur sur la victime). Désormais, le viol est défini comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. »
L’extension du champ d’application de l’infraction de viol est conforme à une tendance générale, selon Maître Sarda, qui note que les juges étendent de façon générale de plus en plus le champ des infractions. Ainsi, en matière de viol, certains juges admettent parfois cette qualification pour des faits qui auraient probablement été classés sans suite il y a quelques temps, car l'élément moral relatif à la volonté d'imposer un rapport forcé n'est pas caractérisé.
En effet, la question du consentement semble être désormais devenu le coeur de l’infraction, tandis que l’attention portée à celle de la volonté du violeur, celle d’imposer la relation sexuelle, exigée pour caractériser le viol, recule.
L’appréhension juridique du viol est un marqueur fort des valeurs d’une société : ainsi, au XIXe siècle, le viol était une infraction formelle constituée dès lors qu’était perpétré à l’encontre d’une femme non consentante un rapport sexuel de nature à la mettre enceinte. Cette incrimination avait comme finalité la protection de deux intérêts : d’une part, celui de la pudeur de la femme, d’autre part, l’intérêt de la famille.
Depuis le procès défendu par Gisèle Halimi, la justice s’est adaptée à l’évolution du statut des femmes : l’infraction de viol est désormais une infraction commise envers les personnes, en dehors de toute considération patrimoniale ou familiale.
Comme le souligne Maître Sarda, si l’on distingue le viol des autres agressions sexuelles, c’est pour lui donner un caractère très spécifique, car dès lors qu’il y a pénétration, qu’elle soit vaginale, anale ou buccale, il y a une atteinte supérieure à l’intégrité physique et psychique de la victime. L'agression sexuelle est considérée comme criminelle, et non plus délictuelle.
La criminalisation du viol, et la place spécifique qu'il occupe désormais parmi les autres agressions sexuelles en droit pénal, est le fruit des efforts de Gisèle Halimi. Elle, qui, petite fille, avait fait la grève de la faim pour ne plus avoir à faire les lits de ses frères, a obtenu que la société française protège et respecte plus les femmes. Nous lui devons beaucoup.
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Docteure en droit et diplômée de l'Essec, Eloïse est rédactrice en chef du Blog Predictice.