En 1974, la célèbre journaliste prit la tête du premier secrétariat d'État à la Condition féminine, avec un succès mitigé. Retour sur cette première expérience politique en faveur du féminisme.
« Les femmes sont une catégorie à part et ce qu'il faut arriver à faire justement, c'est qu'elles cessent de l'être ».
Françoise Giroud, née Léa France Gourdji, a marqué les esprits comme une grande journaliste, fondatrice du journal L’Express, aux côtés de Jean-Jacques Servan-Schreiber. Ayant participé à la fondation d’Action contre la Faim, elle fut également une grande philanthrope.
Enfin, elle marqua l’histoire en prenant la tête de la première structure gouvernementale en charge des droits de la femme.
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La création d'un Secrétariat d'État à la Condition féminine
Dans les années 1970, la révolution féministe est en marche : pendant que Gisèle Halimi défend le droit à l’avortement et que Simone Veil, ministre de la Santé, concrétise cette revendication devant le Parlement, une nouvelle fonction politique est créée : la secrétaire d’État à la Condition féminine. C’est Françoise Giroud, journaliste de renom ayant défendu la décolonisation et le féminisme, qui est nommée.
Le Secrétariat d’État à la Condition féminine est créé par le décret du 23 juillet 1974, qui précise que « Mme Françoise Giroud, secrétaire d'Etat auprès du Premier Ministre est chargée de promouvoir toutes mesures destinées à améliorer la condition féminine, à favoriser l'accès des femmes aux différents niveaux de responsabilité dans la société française et à éliminer les discriminations dont elles peuvent faire l'objet ».
Comment la politique peut-elle améliorer le sort des femmes ? Françoise Giroud opte pour une méthode transversale. Le 2 octobre 1974, elle crée cinq groupes de travail thématiques : les femmes en milieu rural, les discriminations juridiques, les mutations professionnelles et les problèmes posés aux couples, le développement du sport féminin et la place des femmes dans les structures politiques.
Elle présente 100 mesures d’un projet pour les femmes, qui a vocation à être mis en oeuvre sur cinq ans, de 1976 à 1981. Sur ces 100 mesures, 80 sont acceptées par le Conseil des ministres après une heure de débat. L’objectif ? « Conduire progressivement la moitié des Français au niveau de formation, de rétribution, d'intégration à la vie sociale et économique et de responsabilités où se trouve l'autre ». Dans l'introduction à son projet, Françoise Giroud indique ce qui fait la spécificité du statut féminin : les femmes sont dans un état de « malaise dynamique ». Elles ne désirent pas l’échange des rôles ni l’assimilation totale avec les hommes. Elles veulent l’équivalence sociale, c’est-à-dire la reconnaissance par la société de leur valeur, égale à celle des hommes, et le libre exercice des droits et des devoirs égaux.
Les mesures adoptées sont variées : un projet de loi prévoyant la suppression de toute discrimination pour l’accès à la fonction publique ; pour les femmes enceintes, un projet de loi interdisant aux employeurs de prétexter de leur grossesse pour refuser de les embaucher ou les licencier pendant leur période d’essai ; le versement d’une allocation post-natale pour chaque enfant ; la généralisation de l’allocation de frais de garde ; des années de retraite supplémentaires pour les mères de famille…
« C’est une tentative d’éliminer toutes les discriminations entre les femmes et les hommes. »
Le mandat de Françoise Giroud a vocation également à mener une politique énergique de l’enfance : « Je crois qu’il faut regarder les choses en face, il y a 8 millions de femmes qui travaillent, c’est énorme. Le vrai problème des couples d’aujourd’hui (...) c’est ce qui se passe pour les enfants. Je ne crois pas qu’on puisse détacher une véritable réflexion relative à la politique pour les femmes et pour le couple d’une politique de l’enfance. »
Pour voir la vidéo de présentation des mesures par Françoise Giroud, cliquez sur ce lien.
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Une tentative avortée
Cependant, le Secrétariat d’État à la condition féminine ne dispose que de peu de moyens. Elle n’est assistée que par vingt-deux collaboratrices régionales bénévoles. Dans La Comédie du pouvoir (Fayard, 1977, 361 pp., chap. 6), elle se rappelle :
« Le secrétariat d’État à la Condition féminine n’existait pas. Il fallait l’inventer. (...)
Puissamment aidée par une étroite équipe n’ignorant rien du code, stimulée par l’appui spontané de femmes qui ne partageaient qu’une conviction, l’indispensable fraternité, je partis en campagne, avec la foi que donne l’inconscience.
Les ministères sont des organisations verticales, concentrés sur un secteur d’activité. Le secrétariat d’État à la Condition féminine était horizontal. C’est-à-dire qu’il avait compétence pour intervenir dans tous secteurs, dès lors que les femmes pouvaient être concernées - et qu’est-ce qu’il ne les concerne pas ? - mais qu’il n'en avait aucune pour mener une action jusqu'à son terme, dès lors qu'un autre ministère était concerné. »
Découragée par le manque de moyens, et consciente que son travail ne portera ses fruits qu’à long terme - « Il n’y a pas de secrétariat d’État aux miracles », Françoise Giroud met un terme à ses fonctions une fois son programme adopté.
Dans les années suivantes, la structure gouvernementale en charge de la Condition des femmes évolue constamment, changeant de ministère de tutelle.
Un tournant intervient avec la création du premier ministère des droits de la femme[1], en 1981, confié à Yvette Roudy. La rupture est aussi bien symbolique (le terme « condition de la femme » est abandonné au profit « des droits de la femme »), que matérielle, grâce à l’allocation d’un budget. Son action permit l’adoption des lois Roudy, en faveur de la parité et du remboursement de l’I.V.G.
Depuis 1974, presque tous les gouvernements ont nommé une femme en charge de l’action politique pour les droits des femmes. Malgré des avancées majeures en faveur de l’égalité des droits et de la lutte contre les violences, une question demeure : est-il pertinent de consacrer un secrétariat d'État ou un ministère spécifique aux droits des femmes, alors que ce sujet recoupe tous les ministères ? La même question se pose pour l'écologie...
Retrouvez l'intégralité de notre dossier sur les grandes figures féminines du droit français.
[1] Bereni Laure, Revillard Anne, « Des quotas à la parité : « féminisme d'État » et représentation politique (1974-2007) », Genèses, 2007/2 (n° 67), p. 5-23. DOI : 10.3917/gen.067.0005.
Docteure en droit et diplômée de l'Essec, Eloïse est rédactrice en chef du Blog Predictice.