Yvette Roudy fut la 1ère ministre des Droits de la Femme en 1981. Elle mena plusieurs actions en faveur de l'égalité professionnelle et de l'accès à l'IVG. Néanmoins, son projet de loi anti-sexisme ne put jamais aboutir.
Depuis 1974 et la création d’un secrétariat d’État à la Condition féminine dirigée par Françoise Giroud sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, les gouvernements français ont, sauf exception, une structure gouvernementale consacrée à la question des droits des femmes.
L’expérience de Françoise Giroud en tant que secrétaire d’État avait été peu convaincante, par manque de moyens et de coordination avec les autres ministères. Lorsque Yvette Roudy est nommée ministre des Droits de la femme en 1981, au début du premier septennat de François Mitterrand, la volonté de changement est forte. Même si les droits des femmes demeurent une question à part et non transversale, le souhait d’aller au-delà de la simple « cosmétique » politique est forte. La rupture[1] se fait d’abord sur le plan symbolique : le terme « condition féminine » est remplacée par « droits de la femme ». Ensuite sur le plan matériel : le nouveau ministère des droits de la femme est doté d’un budget et une administration dédiée commence à être créée, qui deviendra d’ailleurs l’actuel Service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes.
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Pierre Mauroy, le nouveau Premier ministre, nomme Yvette Roudy à la tête de ce nouveau ministère. Née en 1929 à Pessac, en Gironde, Yvette Roudy est issue d’un milieu ouvrier. Orpheline de mère à 12 ans, elle travaille dès l’âge de 17 ans comme dactylographe tout en suivant des cours du soir pour passer son baccalauréat.
Féministe, Yvette Roudy est membre active du Mouvement Démocratique Féminin (MDF), une association née dans les années 1960 et dont elle dirige le journal, La Femme du XXe siècle. Convaincue que seule la politique pourra faire avancer la cause des femmes, elle participe à la refondation du Parti socialiste en 1971. Après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, elle prend la tête du ministère des Droits de la Femme.
Décidée à profiter de la période de grâce qui succède les élections, elle lance une campagne sur les questions de la contraception et du remboursement de l’IVG, tout en préparant une loi sur l’égalité professionnelle.
Finalement, son action donne naissance à deux lois, qui portent son nom : la loi Roudy pour l’IVG et la loi Roudy pour la parité.
La loi n°83-635 du 13 juillet 1983 portant modification du code du travail et du code pénal en ce qui concerne l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes a pour fin de promouvoir un égal accès à l’emploi et l’égalité des salaires en entreprise. Pour ce faire, elle oblige l’employeur à la tête d’une entreprise de plus de 50 salariés et ayant signé un contrat avec l’État à établir un rapport de situation comparée (RSC) sur la parité entre les hommes et les femmes en matière d’embauche et de salaire, et à le présenter au comité d’entreprise ou aux délégués du personnel. Cependant la mise en oeuvre de la loi est un échec : les contournements sont nombreux et un très peu d’entreprises signent un accord sur l’égalité.
La loi crée également le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, instance consultative qui a pour mission de définir et de mettre en oeuvre la politique menée en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
La loi n°82-1172 du 31 décembre 1982 relative à la couverture des frais afférents à l'interruption volontaire de grossesse non thérapeutique et aux modalités de financement de cette mesure prévoit le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale. Néanmoins, les débats sont houleux et le Parlement ne parvient pas à trouver un accord. Finalement, le président de la République déclare l’urgence et promulgue la loi un an après la présentation du projet de loi.
Un autre projet de loi n’aura pas cette chance : celui de la loi dite « anti-sexiste ». Ce projet de loi ambitieux, qui prévoyait un grand nombre de dispositions diverses, était calqué point par point sur la loi anti-raciste de 1972 : interdiction de refuser l’accès aux femmes à un bien ou à un service ; interdiction de licencier et de freiner l’embauche ; condamnation des injures à caractère sexiste, des provocations à la discrimination et des diffamations ; enfin, modification de la loi sur la liberté de la presse.
C’est sur ce dernier point qu’achoppera le projet. Il prévoyait de limiter la liberté de la presse afin de protéger l’image des femmes dans les journaux, les films, les publicités et les affiches. Selon ce projet, tout ce qui avilit, dévalorise, discrimine par le texte et par l’image était désormais susceptible de poursuites, et les associations de lutte contre le sexisme pouvaient se porter partie civile ainsi que le Parquet.
Pour voir la présentation du projet de loi au journal de 20 heures, cliquez sur ce lien.
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Le terme « sexisme » était à cette époque relativement nouveau, puisqu'il avait été inventé par les féministes dans les années 1970, sur le modèle du mot « racisme ». En 1976, Simone de Beauvoir explique (voir la vidéo en cliquant ici) : « Sexisme, c'est un mot que nous avons forgé par analogie avec le racisme. Nous avons commencé à parler de sexisme à propos des insultes que les hommes déversent volontiers contre les femmes. Il y a une loi qui, je crois, date de 1945 et qui interdit de traiter un homme de 'sale juif' ou de 'sale bicot'. Mais qu'on dise d'une bonne femme 'salope comme toutes les bonnes femmes', il n'y a pas de recours ».
L’opposition des publicitaires et des défenseurs de la liberté de la presse ne permettra pas au projet d’aboutir. Yvette Roudy dira : « Un sujet qui m’a valu un vrai lynchage médiatique quand j’étais au gouvernement ».
Plus de trente ans après, le terme « sexisme" fait partie du vocabulaire ordinaire, et le problème demeure : c'est pourquoi une campagne anti-sexiste a été lancée en 2016. Pour ce second essai, le gouvernement a choisi l'incitation plutôt que la répression. Mais n'était-ce pas déjà le cas en 1983 ? À propos de son projet de loi, Yvette Roudy expliquait : « Je suis convaincue que le fait maintenant d'avoir un texte, de créer un débat autour de ce texte, de faire de l'explication, de donner ce moyen aux associations, il va y avoir un effet dissuasif. Les personnes elles-mêmes, qui sont les auteurs de ces images, et qui le sont le plus souvent en toute bonne foi et sans bien se rendre compte, dès l'instant où il y aura eu un débat, il y aura une prise de conscience, et ils vont eux-mêmes corriger l'orientation de ces images. »
Il est vrai que la loi ne fait pas tout.
Retrouvez l'intégralité de notre dossier sur les grandes figures féminines du droit français.
[1] Bereni Laure, Revillard Anne, « Des quotas à la parité : « féminisme d'État » et représentation politique (1974-2007) », Genèses, 2007/2 (n° 67), p. 5-23. DOI : 10.3917/gen.067.0005.
Docteure en droit et diplômée de l'Essec, Eloïse est rédactrice en chef du Blog Predictice.