La condamnation aux dépens de la partie intimée qui avait formé un appel incident n’est pas une erreur purement matérielle (CA Paris, 15 juin 2022)
Le 13 janvier 2017, une pharmacie située dans le VIème arrondissement de Paris a licencié pour faute grave l’une de ses employés. L’employeur reprochait à cette préparatrice en pharmacie un certain nombre de fautes professionnelles ainsi qu’un acte d’insubordination. La préparatrice en pharmacie a contesté cette décision et a demandé au conseil des prud’hommes de reconnaître que ce licenciement était abusif.
Par un jugement du 15 juin 2018, le conseil des prud’hommes de Paris a écarté la faute grave du salarié et a considéré que le licenciement était justifié par une cause réelle et sérieuse. La pharmacie a été condamnée à ce titre à payer à son employée une indemnité de licenciement ainsi qu’une indemnité de préavis pour une somme totale de 4049.98 euros. La pharmacie a également été condamnée à verser 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
LIRE LA DÉCISION >> Conseil de prud'hommes de Paris, 15 juin 2018, n° 17/03810
La pharmacie a interjeté appel de cette décision et a demandé à la cour de juger que le licenciement reposait bien sur une faute grave. La préparatrice en pharmacie a formé un appel incident sur la qualification du licenciement et a demandé à la cour de condamner son employeur à l’indemniser pour licenciement abusif.
Par un arrêt du 12 janvier 2022, la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement en toutes ses dispositions. La cour a d’abord relevé qu’un certain nombre de fautes professionnelles reprochées à la salariée étaient établies. La préparatrice avait, par exemple, commis plusieurs erreurs de délivrance de médicaments. S’agissant de l’acte d’insubordination, la cour a estimé que l’employé avait bel et bien refusé d’exécuter ses obligations professionnelles et avait employé un ton inapproprié vis-à-vis de son employeur. La Cour relève toutefois que cet acte était isolé et que la préparatrice n’avait pas fait l’objet de sanction disciplinaire avant la survenance de cet acte. La cour d’appel de Paris a donc considéré que ces différents griefs constituaient bien une cause réelle et sérieuse de licenciement, mais que ces agissements ne rendaient pas impossible le maintien de la préparatrice en pharmacie au sein de l’entreprise. Par conséquent, la cour d’appel n’a pas fait droit à la demande de la pharmacie de reconnaître l’existence d’une faute grave ni à celle de la salariée de juger que le licenciement était abusif.
LIRE LA DÉCISION >> Cour d'appel de Paris, 12 janvier 2022, n° 18/12741
La condamnation de la salariée au titre de l’article 700
De façon surprenante, la cour d’appel de Paris a condamné la salariée, partie intimée, aux dépens et à verser à la pharmacie la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Cette décision est d’autant plus étonnante que ce choix n’est pas motivé. La salariée a donc déposé une requête en rectification d’erreur matérielle devant la même chambre.
L’article 462 alinéa premier du code de procédure civile dispose à ce titre que : « Les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande ». Cette requête a pour objet de demander au juge de rectifier une erreur purement matérielle comme une faute de frappe ou de date. À titre d’exemple, la Cour de cassation s’est déjà saisie d’office pour rectifier un arrêt dans lequel les juges avaient inversé le nom des parties et substitué par erreur le mot « irrecevable » à celui de « recevable » (Cour de cassation, 2ème Chambre Civile, 5 avril 2007, n° 05-11.947). De façon plus générale, la Cour de cassation considère qu’une erreur est réparable dès lors qu’elle résulte d’une négligence passagère du juge « qui trahit son intention et qui aboutit à la traduction inexacte d'un raisonnement exact et donc à un résultat qui n'a pas été recherché par lui » (F. Eudier et N. Gerbay, Répertoire de procédure civile, Jugement – Dessaisissement du juge, Dalloz, 2018, n° 458). Ainsi, la requête en rectification d’erreur matérielle ne peut pas réparer un raisonnement erroné du juge mais seulement l’erreur qui affecte l’expression d’un raisonnement.
En l’espèce, la cour d’appel de Paris considère qu’ « en application de l’article 700 du code de procédure civile, la cour d’appel ayant estimé que madame X avait perdu son procès relatif à la rupture du contrat de travail, l’a condamnée à payer à la société Pharmacie Cazes et Dieudonné en cause d’appel la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens. Ainsi, la demande ne portant pas sur une erreur matérielle mais sur le fond de la décision, il convient de rejeter sa demande en rectification ».
LIRE LA DÉCISION >> Cour d'appel de Paris, Pôle 6, 3ème, 15 juin 2022, n° 22/05636
La cour d’appel de Paris a donc considéré que la salariée qui avait formé un appel incident avait perdu le procès de sorte qu’elle pouvait être condamnée aux dépens et au paiement d’une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Il ne s’agissait donc pas d’une erreur réparable au sens de l’article 462 du code de procédure civile qui peut être rectifiée sans remettre en cause la chose jugée. L’article 462 du code de procédure civile n’est pas un dispositif ayant vocation à remettre en cause le fond d’une décision qui ne conviendrait pas à l’une des parties.
« Lorsqu’une partie forme un appel incident, elle choisit de remettre en cause la décision qui a été rendue par le premier juge sur le point qu’elle soulève. Ce faisant, elle prend le risque d’être considérée par la Cour d’appel comme ayant perdu son procès alors même que la décision est confirmée. L’arrêt qui la condamne à supporter les frais irrépétibles paraît injuste, mais c’est une prétention au fond tranchée par la Cour qui ne peut s’analyser comme une simple erreur matérielle. » - Maître Audrey Hinoux, avocate associée du cabinet Lexavoué.
Cette chronique a été rédigée en collaboration avec le cabinet Lexavoué. Retrouvez chaque semaine la rubrique « Un café, une JP » sur le compte LinkedIn du cabinet.
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Juriste et entrepreneur, Pierre-Florian est rédacteur pour le Blog Predictice.