Dans cet article, Louise Fourcade et Marine Chevallier présentent un panorama de l’actualité législative et jurisprudentielle relative aux modes alternatifs de règlement des différends.
Plus qu’une mode, les MARD sont au cœur du système judiciaire et en plein essor, les professionnels s’y formant et les pratiquant de plus en plus afin de pouvoir proposer une voie différente de résolution des litiges.
Leur développement engendre la nécessité de trancher des points de droit, dont quelques-uns récents, voire très récents, sont ici présentés, et ce sans exhaustivité.
1. Mise en œuvre préalable et obligation ?
a/ L’article 750-1 du code de procédure civile issu du décret du 11 décembre 2019 a posé le principe de la tentative de règlement amiable préalable à toute saisine du juge pour certains litiges.
Ce texte impose en effet au demandeur de justifier, préalablement à toute saisine du juge, d’une tentative de règlement amiable, à peine d’irrecevabilité, que le juge pourra relever d’office.
Ce principe s’applique aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020 :
1 - Lorsque la demande en justice tend au paiement d’une somme inférieure ou égale à 5 000 euros ;
2 - Lorsqu’elle est relative aux litiges de voisinage,
Ce qui la limite à certains litiges.
Les parties sont dispensées de cette obligation dans les cas suivants :
1 - Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ;
2 - Lorsque l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ;
3 - Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l’urgence manifeste soit aux circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu’une décision soit rendue non contradictoirement soit à l’indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l’organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige ;
4 - Si le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation.
Cependant, le 22 septembre 2022, le Conseil d’Etat a estimé qu’il convenait d’annuler cet article 750-1 en ce qu’il ne précisait pas suffisamment les modalités selon lesquelles l’indisponibilité du conciliateur visée au point 3 alinéa doit être regardée comme établie (Conseil d'État, 6ème Chambre – 5ème Chambre réunies, 22 septembre 2022, n°436939).
L’annulation de l’article 750-1 du Code de procédure civile dans son entier, avec effet non rétroactif, a pour conséquence de supprimer l’obligation de tentative amiable préalable obligatoire pour les nouvelles procédures intentées à compter du 22 septembre 2022.
Une nouvelle mouture du texte est à prévoir.
Pour sa part, la Cour de cassation avait eu l’occasion de préciser que :
- Les dispositions qui imposent, avant tout recours judiciaire, de mettre en œuvre un processus de conciliation ne font pas obstacle à la saisine d’un juge des référés en cas de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent (1ère Civ., 24 novembre 2021, n°20-15789);
Dans le domaine spécifique du sport, par arrêt du 13 juillet 2022, rendu à propos de la mesure de conciliation obligatoire et préalable confiée au comité national olympique et sportif français par les articles L141-4 et R141-5 du Code du sport, la troisième chambre civile de la Cour de cassation se positionne de manière similaire (3ème Civ., 13 juillet 2022, n°21-18796).
Cette décision est notamment fondée sur l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et le droit effectif au juge.
Aussi, la Cour de cassation rappelle-t-elle la solution énoncée par la CJCE selon laquelle le principe de protection fonctionnelle ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui impose la mise en œuvre préalable d’une procédure de conciliation extrajudiciaire, pour autant que des mesures provisoires sont envisageables dans les cas exceptionnels où l’urgence l’impose (CJCE, arrêt du 18 mars 2010, Alassini et a., C-317/08, C-318/08, C-319/08 et C-320/08).
Dès lors, selon la Cour, les procédures de référé sont bien exclues du champ d’application de l’article R141-5 du Code du sport, lequel est d’interprétation stricte, rappelle-t-elle, dès lors qu’il s’agit d’une restriction à un droit fondamental, celui du droit effectif au juge.
- La tentative de résolution amiable du litige n’étant pas, par principe, exclue en matière de référé, l’absence de recours à un mode de résolution amiable dans une telle hypothèse peut, le cas échéant, être justifiée par un motif légitime au sens de l’article 750-1 alinéa 2 3° du code de procédure civile (2ème Civ., 14 avril 2022, n°20-22886).
Elle ne pouvait donc être considérée comme obligatoire avant la mise en œuvre d’une mesure d’expertise judiciaire notamment.
b/ Dans un avis du 14 juin 2022, la Cour de cassation affirme que les parties au contrat de travail ont la possibilité de saisir directement le Conseil de prud’hommes en présence d’une clause du contrat de travail qui institue une procédure de médiation préalable (Soc., avis, 14 juin 2022, n°22-70.004).
La chambre sociale reprend d’ailleurs l’attendu de principe de son arrêt du 5 décembre 2012 en remplaçant le terme « conciliation » par celui de « médiation » en retenant que « en raison de l’existence en matière prud’homale d’une procédure de conciliation préliminaire et obligatoire, une clause du contrat de travail qui institue une procédure de médiation préalable en cas de litige survenant à l’occasion de ce contrat n’empêche pas les parties de saisir directement le juge prud’homal de leur différend » (Soc., 5 déc. 2012, n° 11-20.004).
En matière prud’homale, une tentative de règlement amiable convenue par les parties, dont la mise en œuvre doit être contraignante, comme visée ci-après, peut donc équivaloir à la conciliation préliminaire obligatoire.
c/ Dans le cadre des différends entre avocats, n’est pas considérée comme obligatoire la conciliation préalable à l’arbitrage du bâtonnier.
Par deux arrêts du 8 mars 2023, la première chambre de la Cour de cassation a en effet estimé que si l’article 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée prévoit que les litiges nés d'un contrat de travail ou d'un contrat de collaboration libérale sont, en l'absence de conciliation, soumis à l'arbitrage du bâtonnier et l’article 142 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié dispose qu’à défaut de conciliation, le bâtonnier du barreau auprès duquel l'avocat collaborateur ou salarié est inscrit est saisi par l'une ou l'autre des parties, ces dispositions n'instaurent toutefois pas une procédure de conciliation obligatoire, dont le non-respect serait sanctionné par une fin de non-recevoir (1ère Civ., 8 mars 2023, n°22-10679 ; 1ère Civ., 8 mars 2023, n°21-19620).
2. Processus volontaire, stipulation contractuelle et consensus des parties
La volonté des parties de réguler de manière apaisée leurs litiges est consubstantielle des MARD, qui ne peuvent se concevoir sans ce postulat.
a/ Préalablement à toute instance, les parties peuvent avoir stipulé aux termes du contrat les liant une clause prévoyant la mise en œuvre préalable d’une mesure de recours à un mode alternatif, dont le non-respect peut constituer une fin de non-recevoir au sens de l’article 122 du code de procédure civile non susceptible de régularisation, dès lors qu’elle est assortie de conditions particulières de mise en œuvre (Com., 29 avril 2014, n°12-27004 ; Ch. Mixte, 14 février 2003, n°00-19424)
La question du champ d’application d’une telle clause s’est également posée.
Par un arrêt du 11 mai 2022, dans une affaire portant sur une action en responsabilité décennale ayant conduit l’architecte et son assureur à opposer à la demanderesse en cause d’appel la clause figurant dans le cahier des clauses générales du contrat d’architecte et instituant une procédure de conciliation préalable et obligatoire, la troisième Chambre de la Cour de cassation a retenu que la clause ne pouvait viser que les litiges strictement contractuels (3ème Civ, 11 mai 2022, n°21-16023).
La Cour de cassation a adopté une interprétation stricte du champ d’application de la clause en estimant que la clause de saisine de l’ordre des architectes préalable à toute action judiciaire, en cas de litige sur le respect des clauses du contrat, ne peut porter que sur les obligations des parties au regard des dispositions de l’article 1134 du code civil et n’a donc pas vocation à s’appliquer dès lors que la responsabilité de l’architecte est recherchée sur le fondement de l’article 1792 du même code.
Elle veille ainsi également à ce que cette clause, dont l’objectif premier est de favoriser une issue amiable, n’ait pas pour effet indirect de priver une partie du bénéfice des dispositions légales d’ordre public, précisément celles relatives à la responsabilité décennale des constructeurs.
D’où l’importance de bien rédiger les clauses de recours à une mesure alternative de règlement des litiges.
b/ En cours d’instance, les parties peuvent également accepter de recourir à une conciliation ou à une médiation, ce qui nécessite leur consentement exprès.
La Cour de cassation vient de préciser que la décision d'ordonner une médiation judiciaire, qui ne peut s'exécuter qu'avec le consentement des parties, est une mesure d'administration judiciaire non susceptible d'appel, ni de pourvoi en cassation (Soc., 5 avril 2023, n°21-25.323).
3. Principes les encadrant
Plusieurs principes régissent les MARD de manière commune, ainsi que pour certains de manière distincte.
a/ Le principe d’impartialité s’oppose à ce qu’un magistrat administratif choisi ou désigné comme médiateur, en application de l’article L213-1 du code de la justice administrative, participe à la formation de jugement chargée de trancher le différend soumis à la médiation ou conclue comme rapporteur public sur celui-ci, en cas d’échec de la médiation (Conseil d’Etat, 6ème Chambre – 5ème Chambre réunies, 29 décembre 2022, n°459673).
b/ Le principe de la confidentialité cardinal dans le cadre de la médiation a également été rappelé par un arrêt du 9 juin 2022, selon lequel la Cour de cassation défend ce principe essentiel de la médiation (2ème Civ, 9 juin 2022, n°19-21798).
L’article 21-3 de la loi n°95-125 du 8 février 1995 dispose que « sauf accord contraire des parties, la médiation est soumise au principe de confidentialité ».
Si les pièces relatives au litige et antérieures à la médiation ne sont pas couvertes par la confidentialité et peuvent donc être librement produites au cours d’un procès ultérieur, en revanche, les constatations du médiateur et les déclarations recueillies au cours de la médiation ne peuvent être divulguées aux tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d’une instance judiciaire ou arbitrale sans l’accord des parties.
Au visa, notamment de l’article 9 du Code de procédure civile, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation casse le jugement du tribunal qui aurait dû, au besoin d’office, écarter des débats les pièces confidentielles issues d’une procédure de médiation, en l’absence d’accord de l’autre partie pour produire celles-ci.
Cet arrêt confirme donc que tous les éléments échangés au cours du processus de médiation sont couverts par la confidentialité, sauf les exceptions prévues par l’article 21-3 de la loi n°95-125 du 8 février 1995 (en cas de raisons impérieuses d’ordre public ou de motifs liés à la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ou à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne ou encore lorsque la révélation de l’existence ou la divulgation du contenu de l’accord issu de la médiation est nécessaire pour sa mise en œuvre ou son exécution) et sauf accord entre les parties.
En précisant que les pièces produites en violation du principe de confidentialité sont irrecevables et donc que le juge a l’obligation de les écarter, au besoin d’office, la Cour de cassation protège ce pilier fondamental de la médiation et participe ainsi au déploiement de ce mode alternatif de règlement des différends.
c/ Incompatibilité des fonctions de médiateur et de conciliateur de justice
Par un arrêt du 15 décembre 2022, la deuxième chambre civile énonce qu’à l’exception de la médiation de la consommation, toute fonction de médiateur, habituelle ou occasionnelle, rémunérée ou bénévole, est incompatible avec la fonction de conciliateur de justice (2ème Civ, 15 décembre 2022, n°22-60140)
En l’absence de texte précis sur cette question, d’où la saisine de la Cour de cassation, cette dernière a fondé sa décision sur l’article 2 du décret n°78-381 du 20 mars 1978 selon lequel ne peuvent être chargés des fonctions de conciliateur de justice les officiers publics et ministériels et les personnes, qui exercent à quelque titre que ce soit, des activités judiciaires ou qui participent au fonctionnement du service de la justice.
4. Interruption et suspension des délais
Afin de sécuriser la procédure négociée, l’article 2238 du code civil dispose issu de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations que : « La prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d'un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation ou, à défaut d'accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation. La prescription est également suspendue à compter de la conclusion d'une convention de procédure participative ou à compter de l'accord du débiteur constaté par l'huissier de justice pour participer à la procédure prévue à l'article L125-1 du code des procédures civiles d'exécution. »
Les parties sont alors assurées, que, quel qu’en soit l’issue, le délai de prescription qui recommencera à courir ne peut être inférieur à six mois.
Par un arrêt du 11 mai 2022, la chambre commerciale Cour de cassation a estimé que la mise en place d’un médiateur en son sein caractérise la volonté de La Poste de recourir, par principe, dans l’hypothèse d’un litige, à la médiation, de sorte qu’en l’absence de dispositions conventionnelles contraires, la saisine de son médiateur par lettre d’un cocontractant formalise l’accord écrit prévu à l’article 2238 du code civil (Com, 11 mai 2022, n°20-23298).
Le fait que la médiation puisse intervenir à tout moment et notamment en appel soulève la question du décompte des délais Magendie en présence d’une mesure de médiation.
Après avoir affirmé que seule la décision d’ordonner une médiation interrompt les délais (2ème Civ, 20 mai 2021, n°20-13912) et non l’injonction de rencontrer un médiateur et les pourparlers informels entre les parties, la Cour de cassation devait préciser en quoi consiste exactement « l’expiration de la mission du médiateur » visée par l’article 910-2 du Code de procédure civile.
La réponse est apportée par l’arrêt du 12 janvier 2023 de la deuxième chambre civile. Au regard de l'article 910-2 du code de procédure civile dans sa version initiale, la mission du médiateur expire au terme fixé par l'ordonnance d'envoi en médiation. C'est à partir de cette date que les délais Magendie doivent être décomptés. Le défaut de remise d'une note de fin de médiation au juge comme le défaut de fixation à une audience de mise en état sont indifférents. (2ème Civ, 12 janvier 2023, n°20-20941)
Les règles auraient dû être claires et précises. C’est sans compter sur le décret n°2022-245 du 25 février 2022 d’application de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire du qui a réformé l’article 910-2 du code de procédure civile.
Ce nouveau texte dispose : « La décision qui enjoint aux parties de rencontrer un médiateur en application de l'article 127-1 ou qui ordonne une médiation en application de l'article 131-1 interrompt les délais impartis pour conclure et former appel incident mentionnés aux articles 905-2 et 908 à 910. L'interruption produit ses effets jusqu'à l'expiration de la mission du médiateur. »
La décision qui enjoint aux parties de rencontrer un médiateur interrompt désormais les délais.
En revanche, le texte n’a pas été modifié et complété s’agissant de la fin de l’interruption.
Ce qui soulève une nouvelle question : à quel stade expirera la « mission du médiateur » en présence d’une injonction de le rencontrer donnée aux parties ?
Sauf si un texte est adopté prochainement, cette question sera une nouvelle opportunité pour la Cour de cassation de préciser comment s’articulent la mesure de médiation et le décompte des délais.
En attendant et comme toujours en matière de délais, la prudence est de mise.
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Le développement souhaité des MARD devrait encore donner lieu à un certain nombre de décisions sur les différents modes, leurs conditions et modalités de mise en œuvre notamment.
À suivre donc…
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Marine Chevallier et Louise Fourcade accompagnent les professionnels de l’assurance et les entreprises dans leurs contentieux de droit des assurances, de la responsabilité civile et des risques industriels.