Panorama de droit des assurances - 2023

14 février 2024

6 min

Un an après le panorama des arrêts marquants en droit des assurances de l'année 2022, Marine Chevallier et Louise Fourcade du Cabinet Fourcade Chevallier nous proposent celui de l’année 2023.

 

L'année 2023 fût particulièrement riche en arrêts intéressants en droit des assurances.

 

Sur la définition de la faute dolosive 

La notion de faute dolosive génère un important contentieux et a évolué au gré de la jurisprudence.

L'article L113-1 du Code des assurances dispose que « l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré ».

Cette faute est autonome et distincte de la faute intentionnelle, comme le retient depuis un certain temps la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation, et l’estime désormais la troisième Chambre dans un arrêt du 30 mars 2023 en visant d’ailleurs l’arrêt explicite du 20 janvier 2022 de la deuxième Chambre.

En effet, la troisième Chambre énonce que : « 6. Selon l'article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances, l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré. La faute dolosive s'entend d'un acte délibéré de l'assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables (2e Civ., 20 janvier 2022, pourvoi n° 20-13.245, publié au bulletin) » (3ème Civ., 20 mars 2023, n°21-21084).

Depuis, la deuxième Chambre a rappelé à plusieurs reprises que la faute dolosive s’entend d’un acte délibéré de l’assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables (2ème Civ. 6 juillet 2023 n°21-24.833 et n°21-24835).

Cependant, reste la difficulté à caractériser la faute dolosive, la conscience du caractère inéluctable du dommage ne se confondant pas avec la conscience du risque d’occasionner le dommage (2ème Civ., 12 octobre 2023 n°22.13109).

 

Sur les fausses déclarations

Une fausse déclaration pouvant avoir des conséquences notables sur l’indemnisation d’un sinistre, le sujet n’est pas sans importance.

Les sanctions vont de la nullité du contrat d’assurance, en cas de réticence ou fausse déclaration intentionnelle de l’assuré, en vertu de l’article L113-8 du Code des assurances, à la réduction proportionnelle de l’indemnité d’assurance, en application de l’article L113-9 du Code des assurances.

La déclaration inexacte peut émaner du courtier agissant comme mandataire de l’assuré (2ème civ. 19 janvier 2023 n°21-12870).

Par ailleurs, l'appréciation de la portée de la réticence ou fausse déclaration sur l'opinion du risque pour l'assureur doit se faire indépendamment des circonstances du sinistre mais, s'agissant d'une police garantissant plusieurs risques distincts, par rapport à chacun des risques garantis (2ème Civ. 6 juillet 2023 n°22-11045).

Il convient également de distinguer entre la fausse déclaration sur le risque, qui ne peut pas donner lieu à application de l’article L113-8 du Code des assurances, et la fausse déclaration sur le sinistre (2ème Civ. 12 octobre 2023, n°22-11103).

Sur les exclusions

Comme chaque année, les clauses d’exclusion de garantie, qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque, donnent lieu à un contentieux fourni.

C’est l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler les règles qui encadrent ces clauses et d’y apporter des précisions. 

Le contentieux porte tout d’abord sur la validité de la clause d’exclusion. 

Une clause d’exclusion peut être sanctionnée dès lors qu’elle n’est pas formelle et limitée, selon l’article L113-1 du Code des assurances, ou qu’elle n’est pas rédigée en caractères très apparents, en vertu de l’article L112-4 du Code des assurances. 

A l’occasion de l’examen d’une police régie par une loi étrangère, la Cour de cassation a souligné que ces dispositions sont d’ordre public et s’appliquent donc quelle que soit la loi régissant le contrat (2ème Civ., 15 juin 2023 n°21-20538 et 12 octobre 2023 n°21-25.308). 

Par un arrêt en date du 12 octobre 2023, la Cour de cassation a rappelé qu'une clause d'exclusion n'est pas limitée lorsqu'elle vide la garantie de sa substance, en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire (2ème Civ., 1er décembre 2022 pourvois n° 21-19.341, n° 21-19.342, n° 21-19.343, n° 21-15.392 ; 2ème Civ., 19 janvier 2023, pourvoi n° 21-21.516).

Elle a ensuite précisé que la validité et tout particulièrement le caractère limité des clauses d’exclusion de garantie ne peut être examiné qu’au regard du texte spécial, l’article L113-1 du Code des assurances.  L’article 1131 ancien du Code civil, texte de droit général propre à la cause, ne peut pas s’appliquer cumulativement (2ème Civ., 12 octobre 2023, n°22-13759).

Par un arrêt du 9 février 2023, la Cour de cassation a précisé que l’appréciation du caractère limité de la clause d’exclusion doit être faite au regard de la garantie spécifique applicable et non au regard de la police d’assurance et donc de l’ensemble des garanties visées au contrat d’assurance (2ème Civ., 9 février 2023, n°21-18.067). L’arrêt de la Cour d’appel, qui avait relevé que la police avait vocation à s’appliquer à de multiples sinistres attachés à l’incendie, la foudre, certaines explosions, les tempêtes, les dégâts des eaux, les actes de malveillance pour juger que la clause qui exclut les pertes d’exploitation en cas de sinistre causé par une explosion d’explosif ou de produits assimilés ne privait pas la police d’assurance de sa substance, a donc été cassé. Cette appréciation au niveau de la garantie et non de la police dans son ensemble conduit à rendre plus strict le contrôle de la validité des clauses d’exclusion. 

Sur le caractère formel de la clause d’exclusion ensuite, la Cour de cassation considère qu’une clause d’exclusion n’est pas formelle lorsqu’elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation. S’inscrivant dans la lignée de ses précédents arrêts « Covid » rendus le 1er décembre 2022, elle a jugé que la notion de cause identique n’est pas sujette à interprétation (2ème Civ., 15 juin 2023 n°22-14380). 

Puis, une fois que la validité de la clause d’exclusion acquise, la Cour de cassation a rappelé que pour être appliquée, la clause doit être opposable à l’assuré. Ce qui suppose que les exclusions de garantie, tout comme les franchises, aient été portées à sa connaissance (3ème Civ., 19 octobre 2023 n°22-19366). 

Enfin, par un arrêt du 9 novembre 2023, la Cour de cassation rappelle que charge de la preuve de l’exclusion incombe à l’assureur. Elle veille donc à ce que les juges du fond n’inversent pas la charge de la preuve (2ème Civ. 9 novembre 2023, n°22-11570).

 

Sur les conditions de la garantie et le principe indemnitaire

Par un arrêt en date du 9 février 2023, la Cour de cassation a eu à s’intéresser à la question de la mobilisation des garanties « pertes d’exploitation » et « perte de la valeur vénale du fonds de commerce » à la suite d’un incendie alors que la situation économique de l’assuré était obérée bien avant la survenance du sinistre. 

L’arrêt de cour d’appel avait jugé que ces garanties n’étaient pas dues au motif que l’incendie n’était manifestement pas à l’origine des difficultés financières de l’assuré, retenant alors une absence de lien de causalité entre le sinistre et les dommages subis par l’assuré. 

La Cour de cassation a cassé cet arrêt sur le fondement de la force obligatoire des contrats, en vertu de l’article 1134 alinéa 1er du Code civil devenu 1103 du Code civil) en estimant que dès lors que les conditions stipulées par la police étaient réunies, les garanties étaient dues. 

En revanche, la situation de l’assuré devrait bien être prise en considération lors du calcul du montant des indemnités. En effet, en application du principe indemnitaire, énoncé par l’article L121-1 du Code des assurances, l'indemnité due par l'assureur à l'assuré ne peut pas dépasser le montant de la valeur de la chose assurée au moment du sinistre (2ème Civ., 9 février 2023, n°21-19.662). 

 

Portée de la garantie « tous risques sauf »

Le secteur de l’assurance professionnelle a développé la formule de l’assurance « tous risques sauf ». Le principe est le suivant : tous les risques sont couverts à l’exception de ceux qui sont limitativement énumérés. 

Toujours dans le cadre de la pandémie de la covid 19, l’ambiguïté des termes des clauses d’un contrat d’assurance « tous risques sauf » posait la question suivante : les pertes d’exploitation non consécutives à des dommages subis par les biens de l’entreprise étaient-elles garanties ? 

Par un arrêt du 9 novembre 2023, la Cour de cassation a confirmé l’arrêt d’appel qui a répondu par l’affirmative. Selon la Cour, « C’est par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l’ambiguïté des termes des clauses litigieuses d’un contrat d’assurance « tous risques sauf » rendait nécessaire, que la cour d’appel a jugé que sont garanties les pertes d’exploitation non consécutives à des dommages subis par les biens de l’entreprise, dans la limite du plafond contractuel » (2ème civ. 9 novembre 2023, n°21-23268). 

La Cour de cassation rappelle que si le contrat s’interprète toujours à la faveur de l’assuré, le juge doit avant tout rechercher et respecter la volonté commune des parties et ne pas dénaturer les termes du contrat. 

Dans ce cas d’espèce, c’est afin notamment de respecter l’essence de l’assurance « tous risques sauf » voulue par les deux parties, que l’assureur a été tenu de garantir les pertes d’exploitation liées à la pandémie (2ème Civ., 9 novembre 2023, n°21-23268). 

 

Sur l'identité de cause technique

L’article L124-1-1 du Code des assurances dispose notamment « qu’un ensemble de faits dommageables ayant la même cause technique est assimilé à un fait dommageable unique ».

Par un arrêt en date du 15 juin 2023, la Cour de cassation a confirmé un arrêt de cour d’appel qui a retenu une interprétation large de la cause technique : « Les sinistres, quelles que soient leurs manifestations, ayant pour cause le fonctionnement défectueux du système d’apport en air neuf, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain que la cour d’appel en a exactement déduit que les dommages procédaient d’une même cause technique » (2ème Civ. 15 juin 2023, n°21-25506).

Il semblerait que la cour d’appel et partant la Cour de cassation ont confondu l’origine et la cause des faits dommageables, car si les sinistres avaient tous pour origine le fonctionnement défectueux de l’installation, ces dysfonctionnements avaient des causes techniques différentes. 

Sur la prescription biennale

L’opposabilité de la prescription biennale édictée par l’article L114-1 du Code des assurances eu égard aux stipulations la visant dans les polices d’assurance a donné lieu à de nombreux arrêts et d’interrogations quant à l’absence de toute prescription en cas d’inopposabilité.

Si en vertu de l’article R112-1 du Code des assurances, l'assureur doit rappeler dans le contrat d'assurance, sous peine d'inopposabilité à l'assuré du délai de prescription biennale, les différentes causes d'interruption de prescription mentionnées à l'article L114-2, dont les causes ordinaires d’interruption de la prescription (2ème Civ. 20 avril 2023, n°21-24.472 et 2ème Civ., 6 juillet 2023, no 21-25951 - 22-10372), ainsi que le point de départ de la prescription, il n'est en revanche pas tenu de préciser les causes de non-interruption, à savoir si le demandeur se désiste de sa demande, laisse périmer l'instance ou si sa demande est définitivement rejetée (2ème Civ. 9 février 2023, n°21-19498).

Il est fait exception à l’obligation de l’assureur de rappeler les différentes causes d’interruption en cas notamment d’assurances maritimes, les risques maritimes étant exclus de l’article R112-1 du Code des assurances selon la Chambre commerciale qui définit le risque maritime ainsi : « constitue un risque maritime tout risque qui peut se produire au cours de la navigation maritime, quelle qu’en soit la cause » (Com. 22 novembre 2023 n°22-14.253).

L’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception est un mode spécifique d’interruption de la prescription biennale permettant d’éviter, le cas échéant, d’introduire une action.

Cependant, pour produire un effet interruptif, cette lettre recommandée avec accusé de réception doit émaner de l’assuré ou de son mandataire, ce qui nécessite lorsqu’elle est adressée par le courtier de vérifier qu’il jouit bien d’un mandat de l’assuré (2ème civ. 30 mars 2023, n°21-17641).

En matière d'assurance contre les risques corporels, le sinistre, dont la connaissance constituera le point de départ de la prescription biennale, réside dans la survenance de l'état d'incapacité ou d'invalidité de l'assuré et ne peut être constitué qu'au jour de la consolidation de cet état (2ème Civ., 4 avril 2023, n°21-24327).

Dernièrement, la 2ème Chambre civile a écarté l’application de la prescription biennale à la demande d’annulation d’un contrat d’assurance pour dol de l’assureur, estimant qu’une telle demande n’entre pas dans les prévisions de l’article L114-1 du code des assurances, en ce qu’elle repose sur l’existence de manœuvres pratiquées avant la conclusion du contrat et qu’il ne s’agit plus d’une action dérivant du contrat d’assurance (2ème Civ. 21 décembre 2023, n°22-15768).

 

Sur l'application de la garantie d'assurance dans le temps

La question de la mobilisation de la garantie de l’assureur dans le temps nécessite d’abord de s’intéresser à l’élément déclencheur de la garantie.

Les garanties peuvent être souscrites en base fait dommageable ou base de réclamation.

Dans le cas d’une police d’assurance ne précisant pas si la garantie est déclenchée par le fait dommageable ou par la réclamation, la deuxième Chambre civile estime au visa de l’article L124-5 alinéa 3 que s’il s’avère que le fait dommageable était susceptible de déclencher la garantie s'il survenait entre la prise d'effet initiale de la garantie et sa date de résiliation ou d'expiration, la garantie était alors déclenchée par le fait dommageable (2ème Civ., 21 septembre 2023, n°21-16796, cet arrêt étant publié au bulletin ce qui témoigne d’une certaine importance).

En revanche, en cas de connaissance du fait dommageable, l’assureur ne peut pas mobiliser sa garantie.

En effet, l’assureur ne garantit en principe pas le passé connu, ce que rappelle la deuxième Chambre civile dans un arrêt du 19 janvier 2023 (2ème civ. 19 janvier 2023, n°21-17221).

La connaissance du fait dommageable s’apprécie in concreto. Ainsi, à titre d’exemple récent : « la connaissance par l'assuré, lors de la souscription de son assurance, de la réclamation d'une victime se prévalant de tels manquements est insuffisante à établir sa connaissance du fait dommageable tendant à ce qu'il soit déclaré responsable à l'égard d'autres victimes de manquements de même nature, justifiant d'écarter la garantie de l'assureur » (2ème civ. 6 juillet 2023, n°21-25951).

Les décisions peuvent donc varier en fonction des faits de l’espèce. 


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Reste à savoir si l’année 2024 sera une année bien remplie pour le droit de l’assurance.

 

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Cabinet Fourcade Chevallier

Marine Chevallier et Louise Fourcade accompagnent les professionnels de l’assurance et les entreprises dans leurs contentieux de droit des assurances, de la responsabilité civile et des risques industriels.

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