La prise en compte du comportement de l’assuré par le contrat

17 février 2023

6 min

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Le contrat d’assurance peut obliger l’assuré à respecter diverses mesures de prévention. Dans cet article, Marine Chevallier et Louise Fourcade partagent leurs observations sur ces différentes clauses.

 

 

L’objet du contrat d’assurance est de se prémunir contre la réalisation des risques.

 

Il n’en demeure pas moins que l’assureur, qui s’engage à garantir un risque donné, cherche à maîtriser ou à tout le moins à minimiser ce risque.

 

Dans la pratique, cela se traduit par l’insertion dans la police de clauses qui imposent certaines diligences à l’assuré, comme l'installation d'un antivol sur le bien assuré. 

 

En effet, dans plusieurs domaines, la sinistralité est influencée plus ou moins directement par le comportement de l’assuré. Entre le sinistre totalement fortuit et le dommage intentionnellement provoqué, il existe toute une zone où l’assuré peut être incité voire même obligé à contribuer activement à la prévention du risque. 

 

L’objectif est également de responsabiliser l’assuré en allant donc au-delà de l’obligation générale de bonne foi à laquelle sont tenus tous cocontractants, en application de l’article 1104 du Code civil, et qui est particulièrement prégnante en droit des assurances. 

 

Or, à l’exception de l’article L113-1 alinéa 2 du code des assurances qui interdit à l’assurance de répondre des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive, le droit de l’assurance s’intéresse peu au comportement de l’assuré. 

 

Les polices d’assurance, sous couvert de liberté contractuelle, ont donc vu apparaître diverses clauses qui obligent l’assuré à un véritable comportement de prudence. 

 

Les juges, qui disposent d’un pouvoir de requalification, surveillent avec une attention particulière ces clauses. 

 

D’où l’importance d’identifier les différents types de clauses de nature à contraindre l’assuré à respecter diverses mesures de prévention et ce, afin de connaître leur régime et de garantir leur efficacité et donc le respect de la volonté des parties et l’équilibre du contrat d’assurance.

 

La condition de garantie versus l’exclusion de garantie : 

 

Si leurs régimes sont différents, la condition et l’exclusion de garantie participent toutes deux à délimiter l’étendue de la garantie de l’assureur. L’exclusion de garantie, clause négative de garantie, exclut certains risques à couvrir tandis que la condition de garantie, clause positive de garantie, soumet la garantie à la réunion de conditions particulières. 

 

Et les mesures de prévention ayant contribué à la définition délicate des critères entre conditions et exclusions de garantie, il apparaît pertinent de les traiter ensemble. 

 

Un arrêt du 26 novembre 1996 a défini l’exclusion comme « la clause qui prive l’assuré du bénéfice de la garantie des risques en considération de circonstances particulières de réalisation du risque » (1ère Civ, 26 novembre 1996, n°94-16058). 

 

A contrario, la clause, qui de façon générale et permanente, indépendamment de la survenance du sinistre, subordonne l’octroi ou le maintien de la garantie à l’accomplissement de certaines diligences est constitutive d’une condition de garantie. 

Cette formule des « exigences générales et précises » pour la condition de garantie a été retenue par la Cour de cassation en 2004 (2ème Civ, 16 décembre 2004, n°03-18232).

 

Plusieurs décisions ont ainsi formellement écarté la qualification d’exclusion pour adopter celle de condition, notamment quand l’assuré s’est engagé à mettre en œuvre une mesure de prévention du risque. L’idée est que l’assuré ne peut être garanti que pour ce qui est prévu au contrat. Dès lors, s’il n’a pas satisfait à la mesure de prévention à laquelle il s’était engagé, il n’y a pas d’obligation de garantie. 

 

À l’inverse, ne convient-il pas de « sanctionner » et donc de priver de garantie par la voie de l’exclusion, l’assuré qui a manqué de précaution ? 

 

De même, les circonstances qui concernent le risque, et précédent donc le sinistre, relèveraient de la définition de la garantie tandis que celles qui seraient contemporaines au sinistre emporteraient la qualification d’exclusion. 

 

L’exemple est ici encore celui de l’antivol. Le fait d’installer l’antivol sur un véhicule est constitutif d’une condition de garantie. En revanche, le fait de ne pas avoir enclenché l’antivol est quant à lui constitutif d’une exclusion de garantie. 

 

Plusieurs arrêts rendus en 2022 par la Cour de cassation s’inspirent de ces critères et confirment les définitions de l’exclusion et la condition de garantie. 

 

La jurisprudence oppose donc les exigences générales et précises à la charge de l’assuré, qui relèvent de la prévention et qui conditionnent la garantie (2ème Civ, 15 septembre 2022, n°21-16616 ; 2ème Civ, 15 décembre 2022, n°20-22356), aux circonstances particulières de la réalisation du risque qui excluent la garantie en l’absence en quelque sorte de précaution suffisante de la part de l’assuré (3ème Civ, 20 avril 2022, n°21-16297 ; 2ème Civ, 31 mars 2022, n°20-17662). 

 

Au-delà des critères de distinction entre condition et exclusion de garantie, ces clauses constituent-elles des outils efficaces afin d’encourager l’assuré à adopter un comportement prévoyant ? 

 

Il est raisonnablement envisageable d’inciter l’assuré à mettre en œuvre des mesures de prévention générales et précises. Afin d’être opposable à l’assuré, il importe et il suffit que la clause de condition de garantie soit rédigée en des termes clairs et précis sans plus de restrictions (2ème Civ, 23 mars 2017, n°16-15364)

 

Enfin, sur la question de la causalité, la jurisprudence estime en principe qu’il n’est pas nécessaire de tenir compte du fait que le non-respect de l’obligation de prévention n’ait eu aucune incidence sur la réalisation du risque dès lors que le contrat stipulait clairement que la prise d’effet de la garantie lui était subordonnée. 

 

À l’inverse, s’agissant de la clause d’exclusion, il est difficile voire impossible d’exprimer de façon détaillée dans une clause tous les comportements qui ne sont pas garantis. 

 

Par ailleurs, au-delà des exigences rigoureuses des articles L112-4 et L113-1 du Code des assurances sur la validité de la clause et de la charge de la preuve qui incombe à l’assureur, la jurisprudence a évolué sur la question du lien de causalité. 

 

Dans un premier temps, comme en matière de condition de garantie, la jurisprudence avait retenu que si la clause qui imposait une mesure de prévention était qualifiée d’exclusion de garantie, le juge n’avait pas à rechercher si son non-respect avait eu une incidence sur la réalisation du risque sous peine de dénaturation de la clause (1ère Civ, 7 avril 1999, n°97-11665). 

 

La causalité a été réintroduite peu à peu. L’idée étant de sanctionner le non-respect de la mesure de prévention assimilée à une faute. Dès lors, c’est seulement et seulement si cette faute a contribué à provoquer le sinistre qu’elle doit être sanctionnée. 

 

Un arrêt récent retient cette solution. Une cour d’appel avait écarté la garantie dès lors que l’assuré ne rapportait pas la preuve, dont la charge lui incombait, que la cause du sinistre était indépendante du non-respect des mesures de prévention. La Cour de cassation a cassé l’arrêt au motif que « la cause du sinistre n'avait pas été identifiée, ce dont il résultait que l'assureur ne démontrait pas que les dommages étaient survenus du fait de l'inobservation des mesures contractuelles de prévention » (2ème Civ, 21 avril 2022, n°20-18890). 

 

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La sanction de la déchéance de garantie :

 

La déchéance consiste à déclarer que le titulaire d’un droit s’en voit privé à titre de sanction de son comportement. 

 

De façon générale, on estime qu’en matière de contrat d’assurance, la déchéance peut être envisagée après la survenance d’un sinistre. Elle touche le droit de l’assuré à l’indemnité d’assurance et a pour cause le manquement de l’assuré à l’une des obligations qui pèse sur lui après que le sinistre est survenu. En ce sens, les clauses de déchéance ne sauraient donc inciter l’assuré à adopter un comportement prévoyant de nature à éviter la survenance du sinistre. 

 

On pourrait toutefois considérer que le non-respect de l’une de ses obligations par l’assuré, en cours de contrat mais avant tout sinistre, pourrait être sanctionné par une déchéance du droit à garantie. 

 

Plusieurs dispositions du Code des assurances, même si elles interdisent la déchéance dans des hypothèses précises, semblent admettre ce principe justement en matière de prévention des risques : 

 

  • Article L211-6 : « Est réputée non écrite toute clause stipulant la déchéance de la garantie de l'assuré en cas de condamnation pour conduite en état d'ivresse ou sous l'empire d'un état alcoolique ou pour conduite après usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants. »

 

  • Article L113-11 qui dispose que sont nulles « Toutes clauses frappant de déchéance l’assuré en cas de non-respect des dispositions prévues aux articles L142-1 et L142-2 du Code de la construction et de l’habitation », c’est-à-dire celles relatives à l’installation de détecteurs de fumée dans les logements. 

 

Or, en dehors de certaines hypothèses encadrées par la loi, les clauses contractuelles de déchéance de garantie sont libres. 

 

Si la Cour de cassation a écarté l’analyse selon laquelle la clause qui sanctionne le comportement de l’assuré qui n’a pas exécuté ou mal exécuté son obligation de faire ou de ne pas faire est une déchéance de garantie (3ème Civ, 17 octobre 2007, n°06-17608), en revanche, d’autres décisions l’ont ensuite admise (2ème Civ, 17 avril 2018, n°07-12023 ; 2ème Civ, 10 avril 2018, n°07-12028). 

 

De même, depuis l’adoption de l’arrêté du 19 novembre 2009 en matière d’assurance construction (ccc), l’inobservation inexcusable des règles de l’art est définitivement analysée comme une clause de déchéance et non d’exclusion. 

 

Il serait donc possible de sanctionner le non-respect d’une mesure de prévention par l’assuré par une déchéance. 

 

Quelles seraient les incidences quant au régime applicable ? 

 

La clause de déchéance doit être expressément acceptée par l’assuré. 

 

La mise en œuvre de la clause prive l’assuré du bénéfice de la garantie. Il importe et il suffit que l’assureur démontre le manquement de l’assuré à son obligation visée par la clause. 

 

En revanche, la déchéance est inopposable aux tiers victimes bénéficiaires de l’indemnité. L’idée étant avant tout de sanctionner le comportement de l’assuré, l’assureur conservera son obligation de garantie à l’égard des tiers. 


Les sanctions de L’aggravation du risque :


Lorsque l’assuré déclare mettre en œuvre diverses mesures de prévention, la garantie est accordée en considération de la situation normale que constitue l’état du risque résultant de cette déclaration. 

 

Toutefois, les seules déclarations de l’assuré précisées dans la police ne sauraient constituer une clause de condition de garantie (pour un exemple en matière d’installation d’alarme : 2ème Civ, 23 mars 2017, n°16-15364. 

 

En revanche, le non-respect par l’assuré des mesures de prévention qu’il avait déclarées mettre en œuvre pourrait être qualifié de circonstance d’aggravation du risque non déclarée. 

 

Les dispositions des articles L113-4, L113-8 et L113-9 du Code des assurances seraient alors applicables. La démonstration à la charge de l’assureur sera exigeante : l’aggravation ne pourra être mesurée qu’à l’aune de la déclaration initiale qui doit résulter de réponses formulées à l’occasion de questions précises posées par l’assureur et le manquement ne sera consommé que si la circonstance aggravante a modifié l’opinion que l’assureur se faisait du risque. 

 

Si la réticence n’est pas intentionnelle, l’assuré sera exposé à une réduction de l’indemnité au regard des primes acquittées par rapport à celles qui auraient été dues pour un risque correctement déclaré. 

 

Le non-respect des obligations souscrites par l’assuré, afin de limiter le risque, peut également conduire à une diminution de l’indemnisation (une minoration en pourcentage est expressément stipulée).


L’obligation contractuelle de droit commun et la réduction corrélative de l’indemnisation  

 

Certains auteurs, comme Madame le professeur Anne Pélissier (La portée juridique des obligations de faire stipulées dans les contrats d’assurance – RDGA N°2 février 2018), dénoncent l’ambigüité des clauses imposant des mesures de prévention à l’assuré et l’écueil de la requalification. 

 

Après avoir rappelé qu’en l’absence de contradiction, les règles spéciales et les règles générales peuvent cohabiter (article 1105 alinéa 3 du code civil), elle suggère que la mesure de prévention imposée à l’assuré par la police d’assurance constitue une simple obligation contractuelle de droit commun dont l’inexécution serait résolue par l’octroi de dommages et intérêts se compensant avec l’indemnisation dont est tenue l’assureur.

 

La responsabilité contractuelle de l’assuré serait donc recherchée par l’assureur sur le fondement de l’article 1231-1 du Code civil. L’indemnisation que l’assuré serait en droit d’attendre de son assureur serait de la sorte oblitérée par la réparation qu’il devra à l’assureur à raison de la violation de son engagement. En pratique, la responsabilité du souscripteur opérera une réduction d’indemnité. En revanche, ce manquement ne devrait avoir aucune incidence sur le droit du tiers à obtenir l’indemnité due en exécution de l’obligation de la garantie. 

 

Il s’agit de la solution retenue par les principes du droit européen du contrat d’assurance lorsque sont stipulées des mesures de précaution qui imposent au preneur d’assurance ou à l’assuré d’exécuter certains actes, ou de s’abstenir, avant la survenance de l'événement assuré (Principes du droit européen du contrat d’assurance (PDECA), article 4 :101). En cas de manquement, la résiliation du contrat et la perte totale de l’indemnité sont écartées sauf en présence d’une faute intentionnelle ou dolosive. En revanche, la réduction de la prestation en fonction de la gravité de la faute du preneur peut être stipulée.

 

***

 

Les mesures de prévention souscrites par l’assuré destinées à limiter les risques ou, à tout le moins, les conséquences dommageables d’un sinistre ont encore de beaux jours devant elles et pourraient d’ailleurs se renforcer en fonction de certains types de risques (les cyber risques par exemple).

 

À suivre donc…

 

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Cabinet Fourcade Chevallier

Marine Chevallier et Louise Fourcade accompagnent les professionnels de l’assurance et les entreprises dans leurs contentieux de droit des assurances, de la responsabilité civile et des risques industriels.

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