L’assureur ne peut pas refuser de garantir le vol d’un véhicule sans clé s’il n’apporte pas la preuve d’une fausse déclaration sur les circonstances de ce vol (TJ, Boulogne-sur-Mer, 19 juillet 2022).
En 2016, un particulier a souscrit un contrat de location avec option d’achat portant sur un véhicule de tourisme ainsi qu’un contrat d’assurance auprès du Crédit Mutuel. Deux ans plus tard, le véhicule a été retrouvé incendié par les gendarmes alors que le propriétaire se trouvait en vacances. L’assureur a mandaté un cabinet d’expertise afin de déterminer les circonstances de ce vol. L’expert mandaté par la compagnie d’assurance a conclu qu’il existait « une incohérence dans les circonstances du vol » dans la mesure où le domicile de l’assuré devant lequel était stationné le véhicule n’avait pas été cambriolé et que les clés s’y trouvaient toujours après la découverte du véhicule. Se fondant sur ce rapport, le Crédit Mutuel a notifié à l’assuré un refus de garantie.
En 2019, l’assuré a donc assigné devant le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer la compagnie d’assurance mais aussi le constructeur du véhicule et la société de financement afin d’obtenir la résiliation du contrat de location-vente.
La résiliation du contrat de location-vente
Le contrat de location-vente qui liait les parties précisait que : « En cas de vol du véhicule ou si le véhicule est déclaré économiquement ou techniquement irréparable à dire d'expert, le présent contrat est résilié de plein droit et le bailleur informe le locataire et son assureur du montant restant dû dont le locataire est redevable envers le bailleur ; l'assureur du locataire verse alors au bailleur une indemnité égale au montant des loyers restant dus (y compris le montant de l'option d'achat) ; si la somme versée au bailleur par l'assureur du locataire excède ce montant, le bailleur reverse le surplus au locataire ; si elle est inférieure, le locataire verse au bailleur la somme correspondant à l'écart constaté ».
En application de cette clause, le tribunal a donc jugé que la résiliation du contrat avait pris effet de plein droit le jour de la survenance du vol du véhicule. En conséquence, le tribunal a condamné le crédit-preneur à payer à la société de financement une indemnité égale au montant des loyers restant dus. En revanche, le tribunal a écarté la demande du crédit-bailleur de voir condamner le crédit-preneur à des intérêts conventionnels dans la mesure où la clause n’en prévoyait pas.
LIRE LA DÉCISION >> Tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer, 19 juillet 2022, n° 20/02173
La compagnie d’assurance n’apporte pas la preuve de la mauvaise foi de sa cliente
La compagnie d’assurance fondait son refus de garantie sur le fait que l’historique de la clé indiquait que cette dernière avait été utilisée le 25 août 2018 alors que l’assurée se disait en vacances et que la clé se trouvait à son domicile. Pourtant, l’assuré apportait bien la preuve par diverses pièces qu’il se trouvait à plusieurs centaines de kilomètres de son domicile au moment du vol. L’assuré suggérait également que le véhicule avait pu être volé par utilisation de la technique dite « d’amplification du signal de la clé » qui consiste pour le voleur à capter le signal de la clé en se plaçant à proximité du domicile de la victime puis d’amplifier ce signal afin de déverrouiller le véhicule. L’assureur soutenait pour sa part que cette technique n’aurait pas laissé de trace d’utilisation dans l’historique de la clé, sans toutefois accompagner cette allégation de précisions techniques. Le tribunal souligne par ailleurs que cette allégation est contre-intuitive dans la mesure où : « cette technique de vol implique l’utilisation de la clé, par amplification de son signal, contrairement à d’autres techniques de vol ». Ainsi, le rapport d’expertise produit par l’assureur ne permettait pas de conclure que l’assuré n’avait pas été victime d’un piratage de sa clé en son absence.
Le tribunal a donc considéré au vu des éléments rapportés et des rapports de police que l’assuré apporte bien la preuve du vol du véhicule. Ce faisant, les juges ont considéré que les conditions d’application de la garantie étaient bien réunies.
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Par ailleurs, le tribunal rappelle dans son jugement qu’il appartient à l’assureur d’apporter la preuve d’une éventuelle fausse déclaration. En effet, la jurisprudence est constante sur ce point et considère que : « l'assureur doit établir la mauvaise foi de l'assuré pour prétendre à l'application d'une clause prévoyant la déchéance de garantie en cas de fausse déclaration relative au sinistre » (Cour de cassation, 2ème Chambre Civile, 5 juillet 2018, n° 17-20.491). Or, l’assureur se fondait uniquement sur des incidents de paiement antérieurs à la survenance du vol pour tenter de prouver la mauvaise foi de sa cliente. La compagnie d’assurance ne pouvait donc pas refuser de garantir le vol dès lors que la cliente apportait la preuve du vol et que le rapport d’expertise ne permettait pas de conclure que les circonstances rendaient ce vol impossible.
In fine, le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer a donc condamné l’assuré à payer à la société de financement le montant restant dû et la compagnie d’assurance à garantir l’assuré de cette condamnation.
« La portée pratique d’une telle décision est importante car les procédés des compagnies reviennent à faire assumer à leurs assurés les conséquences d’un vol… L’anéantissement du contrat prononcé par le juge est également salutaire, car au-delà des comptes à faire et quelles que soient les sommes, le consommateur doit être garanti lorsque la démonstration de la “soustraction frauduleuse” est faite. » - Maître Jacques-Louis Colombani, avocat fondateur du cabinet Colombani Avocat.
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Juriste et entrepreneur, Pierre-Florian est rédacteur pour le Blog Predictice.