L’émission par un garage d’une facture comportant des incohérences majeures constitue une présomption de fraude justifiant la déchéance de garantie (T.com Marseille, 24/01/23).
L’assuré qui fait de fausses déclarations relatives à un sinistre et notamment sur ses circonstances ou sur ses conséquences s’expose à une déchéance de garantie le privant de toute indemnisation. Dans la pratique, les compagnies d’assurance se heurtent souvent à une difficulté probatoire dans ces dossiers. Néanmoins, le 24 janvier dernier, un assureur a réussi à surmonter cette difficulté devant le tribunal de commerce de Marseille.
L’assureur avait suspecté une fraude dès la réception de la facture
En l’espèce, le 20 décembre 2019, un particulier avait souscrit un contrat d’assurance pour un véhicule Porsche 911. Deux mois plus tard, l’assuré avait déclaré un accident de la circulation à Marseille. Une expertise diligentée chez le réparateur avait évalué le montant des réparations à la somme de 90 903,34 euros, précisant que le véhicule était économiquement irréparable.
Moins d’un mois après cette expertise, l’assuré a adressé à la compagnie d’assurance une facture émanant d’un autre garage d’un montant de 90 903,34 euros, soit le montant exact de l’évaluation par l’expert.
Le 24 septembre 2020, la compagnie d’assurance qui suspectait une fraude a informé l’assuré de son refus de l’indemniser. La compagnie estimait que la facture qui lui avait été présentée était un faux document.
Se fondant sur une subrogation conventionnelle, le garage qui avait établi la facture a demandé à la compagnie d’assurance de lui régler la somme et, face à son refus, l’a assigné devant le tribunal de commerce de Marseille. L’assuré, qui n’avait pas contesté la déchéance de garantie, est intervenu volontairement à l’instance pour confirmer avoir subrogé le garage dans ses droits.
« Ce dossier a immédiatement éveillé les soupçons de la compagnie d’assurance car il n'aura pas fallu une semaine au garage fictif pour facturer au centime près les mêmes prestations que celles qui avaient été chiffrées par l’expert. Par ailleurs, il semblait impossible que le garage ait pu obtenir à la sortie du confinement, et en si peu de temps, toutes les pièces nécessaires à la réparation d’une Porsche que l’expert avait jugé économiquement irréparable. » - Maître Emeric Desnoix, avocat de la compagnie d’assurance.
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La recevabilité de la demande de la société
En premier lieu, la compagnie d’assurance contestait l'authenticité de l’acte de subrogation dont elle n’avait jamais eu connaissance. L’assureur estimait donc que cet accord ne lui était pas opposable et que l’action du garage devait être jugée irrecevable.
Pour autant, le tribunal a déclaré le garage recevable en ses demandes considérant que : « s'il existe un très sérieux doute sur l'authenticité de la signature de X portée sur le contrat de subrogation lorsque ladite signature est comparée à celle portée sur le constat amiable, il n'en demeure pas moins que X a confirmé dans ses écritures et à la barre, avoir subrogé la Société dans ses droits qu'elle tient du contrat d'assurance souscrit ».
Le tribunal a également déclaré l’intervention volontaire de l’assuré recevable.
L’existence d’un faisceau de présomptions justifiant la déchéance de tout droit à garantie
En second lieu, l’assureur demandait au tribunal de rejeter la demande formulée par le garage relative au paiement de la facture compte tenu des éléments laissant supposer l’existence d’une fraude.
Suite à son enquête, la compagnie d’assurance disposait d’un certain nombre d’indices pour établir un faisceau de présomptions permettant d’emporter la conviction d’un tribunal de commerce sur la réalité de la fraude. D’abord, l’enquête avait révélé qu’il n’existait aucun garage à l’adresse figurant sur la facture et que le code APE de la société correspondait à une activité de commerce de détail d'équipements automobiles et non à une activité de réparation. Ensuite, l’assureur apportait la preuve que le véhicule en question était stationné dans un autre garage le 9 juillet 2020 soit un mois après l’émission de la facture. Enfin, il apparaissait que l’expert missionné par l’assureur n’avait jamais pu vérifier les réparations alléguées dans la mesure où l’assuré ne s’expliquait pas sur la localisation du véhicule après les réparations ni sur une éventuelle remise en circulation de celui-ci.
« Dans ce genre de dossier, les compagnies peuvent se heurter à d’importantes difficultés probatoires. En l’espèce, nous avions mis en lumière un faisceau de présomptions de fraude. Nous avions des indices qui, pris ensemble, ont emporté la conviction des juges sur le caractère frauduleux de ce dossier. Nous avons ainsi pu prouver que les réparations n’ont jamais été effectuées par ce garage qui, d’ailleurs, n’avait aucune existence matérielle » - Maître Emeric Desnoix, avocat de la compagnie d’assurance.
Compte tenu de tous ces éléments, le 24 janvier 2023, le tribunal de commerce de Marseille a rejeté les demandes du garage relatives au paiement de la facture et à l’allocation de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive.
En effet, le tribunal de commerce a estimé que : « Attendu que l'ensemble des incohérences majeures relevées, les indices suffisants, précis graves et concordants laissent légitimement penser que la facture émanant de la Société n'est ni sincère, ni véritable et constitue une présomption de fraude au sens de l'article 1382 du Code civil justifiant la déchéance de tout droit à garantie ».
LIRE LA DÉCISION >> Tribunal de commerce de Marseille, 24 janvier 2023, n° 2022F00397
« Ce dossier n’est pas une affaire isolée. Il reflète une problématique à laquelle sont confrontés la plupart des assureurs. En effet, il existe de nombreux garages dont la spécialité est de présenter, avec la connivence des assurés, de fausses factures de réparations. C’est un fléau national qui impacte les compagnies d’assurances à Marseille et sur l’ensemble du territoire » - Maître Emeric Desnoix, avocat de la compagnie d’assurance.
Dans des circonstances comparables, la Cour d'appel de Lyon avait déjà suivi ce raisonnement dans un arrêt du 17 septembre 2015. Dans cette affaire, l’assuré avait fait une fausse déclaration relative à des réparations prétendument entreprises par un garage sur son véhicule. Cette manœuvre avait pour but d’augmenter artificiellement la valeur du véhicule de l’assuré qui avait fait l’objet d’un vol.
L’enquête de la compagnie d’assurance avait démontré que le garage n’avait jamais débité le chèque de l’assuré et que les factures qu’il avait émises comportaient de nombreuses incohérences. La Cour en avait déduit que l’assureur pouvait appliquer la clause de déchéance dans la mesure où l’assuré « avait produit, à l'appui de sa réclamation, des factures de complaisance dans le but de faire croire à la réalité de travaux qui n'ont été ni effectués ni payés » (Cour d'appel de Lyon, 1ère Chambre Civile, 17 septembre 2015, n° 14/01263).
Ces deux décisions démontrent que les difficultés probatoires que peuvent rencontrer les assureurs dans ce genre de situations ne sont pas insurmontables.
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Juriste et entrepreneur, Pierre-Florian est rédacteur pour le Blog Predictice.