Loi du 5 juillet 1985 : l'implication sur une voie de garage ?

12 septembre 2022

3 min

Implication d'un véhicule stationné
Le 7 juillet 2022, la Cour de cassation a escamoté la notion « d’implication » d’un véhicule terrestre à moteur, critère d’application de la loi Badinter.

 

 

Une nouvelle « définition » de la notion d'implication du véhicule

« Ne constitue pas un accident de la circulation, au sens de l'article 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, celui résultant de la chute d'une victime sur un véhicule en stationnement dans un garage privé, lorsqu'aucun des éléments liés à sa fonction de déplacement n'est à l'origine de l'accident. Viole le texte susvisé la cour d'appel qui, pour faire application des dispositions de la loi du 5 juillet 1985, après avoir constaté que la victime qui était montée sur son toit pour effectuer des travaux de réparation, avait trébuché et était tombée au travers de la lucarne du toit du garage de son voisin, heurtant dans sa chute le véhicule qui y était stationné, retient que le stationnement du véhicule constituait en tant que tel un fait de circulation. »

 

Tel est le sens de la décision rendue par la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation le 7 juillet 2022.

 

LIRE LA DÉCISION >> Cour de Cassation, 2ème Chambre Civile, 7 juillet 2022 (n°21-10.945)

 

La solution a l’air toute simple pour des faits qui, eux aussi, ont l’air limpides…

 

Le 16 avril 2015, alors qu’un particulier « bricolait » sur le toit de son garage, ce dernier a trébuché et est tombé au travers de la lucarne du garage de son voisin, heurtant dans sa chute le véhicule de ce dernier qui y était stationné.

 

Grâce à une décision rendue le 9 novembre 2020 par la Cour d’appel de Paris, l’assuré accidenté obtient une lueur d’espoir. La Cour d’Appel a considéré que le bricoleur malheureux avait été victime, au sens de la Loi Badinter n° 85-677 du 5 juillet 1985, d'un accident de la circulation dans lequel était « impliqué le véhicule appartenant à son voisin et assuré auprès de la GMF. »

 

LIRE LA DÉCISION >> Cour d'appel de Paris, 9 novembre 2020, n° 18/16772

 

Elle a estimé en effet que le droit à indemnisation de la victime des suites de cet accident de la circulation était entier. La juridiction d’appel a alors ordonné une mesure d'expertise médicale et a condamné la GMF à verser à la victime une indemnité provisionnelle de 12 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice corporel.

 

La compagnie d’assurance, refusant toute indemnisation de la victime, a formé un pourvoi en cassation.

 

La deuxième chambre civile de la Cour de Cassation a répondu par un arrêt de principe, rendu au visa de l'article 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 : « Selon ce texte, les dispositions du chapitre 1er de la loi susvisée s'appliquent, même lorsqu'elles sont transportées en vertu d'un contrat, aux victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques et semi-remorques, à l'exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres.

Au sens de ce texte, ne constitue pas un accident de la circulation, celui résultant de la chute d'une victime sur un véhicule en stationnement dans un garage privé, lorsqu'aucun des éléments liés à sa fonction de déplacement n'est à l'origine de l'accident. »

 

La Cour opère donc un glissement de la notion « d’implication » énoncée par la loi, favorable à une meilleure indemnisation des victimes, vers la notion plus floue « d’éléments liés à sa fonction de déplacement ». Elle sanctionne ainsi pour violation de la loi les juges du fond qui avaient considéré que « le stationnement d'un véhicule terrestre à moteur constitue en tant que tel un fait de circulation. »

 

Une solution contraire à l'esprit de la loi

Incontestablement, la Cour de cassation a entendu conférer une autorité importante à sa solution. Néanmoins, on peut se demander si elle sera suivie au regard de ses conséquences. En effet, il n’est pas exclu que les juges du fond aient à cœur de revenir à l’interprétation que la doctrine a considérée, durant des décennies, comme conforme à l’esprit du texte.

 

Les usagers s’émeuvent d’ores et déjà d’une telle décision sur les blogs spécialisés.

 

En effet, même stationné, un véhicule terrestre à moteur reste assuré et son implication, dès lors qu’il y a un préjudice corporel, est toujours examinée sous l’angle de la jurisprudence dominante, favorable à une interprétation large de cette notion, conformément à la volonté du législateur de permettre une meilleure indemnisation des victimes.

 

S’agissant de l’article L211-1 du Code des Assurances, la doctrine de l’époque avait énoncé : « Là où le texte mentionnait les dommages corporels ou matériels causés à des tiers par un véhicule terrestre à moteur, on lira désormais “en raison des dommages subis par des tiers par un véhicule terrestre à moteur (…) dans la réalisation desquels un véhicule terrestre à moteur est impliqué” » (B. Starck, H. Roland, L. Boyer, Droit Civil, Obligations, Responsabilité délictuelle, t. 1, Litec, 1985, pp. 292 et s.).

 

En effet, la doctrine, suivie par toutes les chambres de la Cour de Cassation, avait salué ce nouveau texte qui traduisait la volonté de l’époque d’assurer une harmonisation de l’assurance obligatoire avec l’efficacité d’une telle obligation. La méthode consistait à exclure toute recherche de causalité en substituant à cette recherche la notion d’implication…

 

En l’espèce, la Haute juridiction  n’a pas fait application de ce principe et n’a pas recherché une éventuelle faute de la victime, cause exclusive du dommage.

 

Cet arrêt restera t-il isolé ? Dans la négative, la chute serait rude !

 

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Jacques-Louis Colombani

Maître Jacques-Louis Colombani est docteur en droit et avocat généraliste intervenant notamment en droit de la famille, droit commercial ou encore droit pénal.

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