Dans cet article, Marine Chevallier et Louise Fourcade font le point sur la dernière réforme des modes alternatifs de règlement des litiges (les "MARD").
Le 1er novembre 2023, deux nouveaux mécanismes juridiques ont intégré le code de procédure civile : l’audience de règlement amiable et la césure du procès.
Ils sont l’objet de la circulaire très attendue du garde des Sceaux en date du 17 octobre 2023 (n°CIV/06/23 JUSC2324682C) qui présente deux nouveaux décrets consacrés au développement des MARD, et qui détaille plusieurs mesures prises pour favoriser le recours à l’amiable :
- le décret n°2023-357 du 11 mai 2023 relatif à la tentative préalable obligatoire de médiation, de conciliation ou de procédure participative en matière civile, rétablit la tentative préalable obligatoire de médiation, de conciliation ou de procédure participative en matière civile, instaurée à l’article 750-1 du code de procédure civile, qui avait été annulée par le conseil d’Etat (lire notre précédent article sur l’actualité des MARD). Le texte indique que la dispense de cette tentative peut intervenir en cas d’indisponibilité des conciliateurs pendant plus de trois mois ; et
- le décret n°2023-686 du 29 juillet 2023 portant mesures favorisant le règlement amiable des litiges devant le tribunal judiciaire, institue quant à lui l’audience de règlement amiable et la césure du procès.
L’audience de règlement amiable (l' «ARA »)
Quatre nouveaux articles du code de procédure civile, les articles 774-1 à 774-4, sont consacrés à l’audience de règlement amiable, la circulaire du 17 octobre répondant ensuite à de nombreuses interrogations pratiques.
L’audience de règlement amiable est un nouveau mode de résolution amiable des litiges.
Selon l’article 774-2 du code de procédure civile, « L’audience de règlement amiable a pour finalité la résolution amiable du différend entre les parties, par la confrontation équilibrée de leurs points de vue, l’évaluation de leurs besoins, positions et intérêts respectifs, ainsi que la compréhension des principes juridiques applicables au litige ».
Inspiré de la conférence de règlement amiable en matière civile qui existe au Québec, cet outil est innovant en ce que les parties se retrouvent devant un juge pour tenter de régler amiablement tout ou partie de leur litige. Le rôle du juge ne se cantonne plus à donner l’impulsion de l’amiable. Il en devient une véritable partie prenante.
Champ d’application de l’ARA : à condition que les parties aient la libre disposition de leurs droits, l’audience de règlement amiable peut être mise en œuvre dans les affaires relevant de la procédure ordinaire et des référés du Tribunal judiciaire ou du juge des contentieux de la protection.
Décision d’orientation en ARA : elle revient au juge saisi du litige (juge des référés, président de l’audience d’orientation, juge de la mise en état ou juge du fond).
Le juge prend cette décision d’office ou à la demande des parties. S'il doit toujours recueillir leur avis, il dispose d’un véritable pouvoir décisionnel et peut donc, à tout le moins en principe, leur imposer l’ARA. Même si un juge aura peu d’intérêt à imposer l’ARA à des parties récalcitrants, il s’agit-là d’une différence majeure avec les autres MARD où le principe de la liberté des parties est essentiel.
Le juge doit cependant s’assurer que l’orientation en ARA ne rallonge pas de manière excessive la durée de la procédure.
Déroulement de l’ARA : l’ARA est tenue par un juge qui est préalablement désigné par une ordonnance du tribunal judiciaire. Il ne peut être juge de la mise en état ou faire partie de la formation de jugement saisie de l’affaire, conformément à l’exigence de l’impartialité du juge.
Les parties sont convoquées par le greffe à une audience tenue « en chambre du conseil ». Le greffier n’est pas présent, sauf pour constater un éventuel accord à l’issue de l’audience (articles 130 et 131 alinéa 1er du code de procédure civile).
Les parties doivent comparaître personnellement et être assistées de leur avocat respectif lorsque la saisine du tribunal relève d’une procédure avec représentation obligatoire.
Selon la circulaire, le juge de l’ARA doit consacrer un temps plus long que celui accordé à une plaidoirie, sans toutefois dépasser une journée, afin de concilier les parties dans le cadre d’un « îlot amiable ».
Afin d’aider les parties à parvenir à un accord amiable, le juge dispose de plusieurs pouvoirs : employer les techniques de la conciliation et de la médiation, aménager le principe du contradictoire (en entendant les parties séparément par exemple), rappeler les grands principes de droit applicables à la matière sans rendre pour autant de préjugement, prendre connaissance des éléments du dossier, se rendre sur les lieux et inciter les parties à recourir à une mesure d’instruction.
Si les parties décident de recourir à un technicien, ce dernier doit être missionné par un acte contresigné par avocats. Le rapport du technicien ne sera pas confidentiel et pourra être produit en justice en l’absence d’accord des parties.
La confidentialité des débats s’impose au juge et aux parties, sauf deux exceptions reprises des dispositions applicables en matière de médiation (raisons impérieuses d’ordre public, protection de l’intérêt supérieur de l’enfant et de l’intégrité physique ou psychologique de la personne et lorsque la divulgation de l’accord est nécessaire à sa mise en œuvre).
Issue de l’ARA : le juge peut mettre fin à l’ARA à tout moment s’il estime que les conditions de la négociation ne sont plus réunies.
En cas d’accord, un procès-verbal est signé par le juge, le greffier et les parties. Aucun jugement n’est rendu mais l’extrait du procès-verbal vaut titre exécutoire.
Tout au long de l’ARA, les parties peuvent aussi solliciter l’apposition de la formule exécutoire par le greffe sur un acte contresigné par les avocats (article 1568 et suivants du code de procédure civile).
Une fois l’ARA terminée, les parties doivent solliciter la reprise de l’instance ou, à défaut, sont convoquées par le juge saisi du litige à une audience spéciale de mise en état, d’orientation ou de jugement. Le juge constatera le désistement des parties si un accord est intervenu ou la procédure reprendra au stade où elle a été interrompue.
La césure du procès
La césure du procès est instaurée par les nouveaux articles 807-1 à 807-3 du code de procédure civile.
Elle permet aux parties à une procédure écrite ordinaire devant le tribunal judiciaire de demander à tout moment au tribunal de statuer sur certains points du litige. L’idée est que les parties puissent ensuite résoudre les points subséquents par les MARD de droit commun.
Conditions d’ouverture d’une césure du procès : parfois sous l’impulsion, les parties peuvent prendre l’initiative d’une césure du procès à tout moment de la mise en état.
Toutes les parties constituées doivent alors formuler cette demande par voie de conclusions soutenues par un acte contresigné par avocats. Les parties doivent donc s’accorder sur les prétentions sur lesquelles elles sollicitent un jugement partiel.
Ordonnance de clôture partielle aux fins de césure : le juge de la mise en état rend une ordonnance de clôture partielle aux fins de césure, limitée à la liste des prétentions déterminées par les parties. Cette ordonnance peut faire l’objet d’une révocation.
Jugement partiel : le tribunal rend un jugement partiel sur les seules prétentions déterminées par les parties dans l’acte de procédure contresigné par avocats. L’exécution provisoire n’est pas de droit mais elle peut être ordonnée.
Le jugement partiel est susceptible d’appel immédiat, encadré par la procédure à bref délai (article 905 du code de procédure civile). L’appel n’est pas un motif d’interruption du délai de l’instance afin de permettre la poursuite de la mise en état sur les autres prétentions des parties.
Prétentions non concernées par la clôture partielle : la mise en état se poursuit. A tout moment, les parties peuvent se désister et demander au juge d’homologuer leur éventuel accord.
Selon le nouvel article 807-3 du code de procédure civile, la mise en état de l’instruction ne pourra pas être clôturée tant que le délai d’appel du jugement partiel n’aura pas expiré ou que l’arrêt d’appel sur ce jugement n’aura pas été rendu.
Tels sont les nouveaux outils ambitieux mis à la disposition des parties, de leurs conseils et des tribunaux pour favoriser le recours à l’amiable. Un vrai défi…
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Marine Chevallier et Louise Fourcade accompagnent les professionnels de l’assurance et les entreprises dans leurs contentieux de droit des assurances, de la responsabilité civile et des risques industriels.