L’imprécision de rédaction condamne l’obligation de préalable amiable

14 décembre 2022

4 min

Le 22 septembre dernier, le Conseil d’État a annulé l’article 750-1 du Code de procédure civile. Dans cet article, Cassandre Piffeteau revient sur cette décision et sur ses conséquences.

 

Il faut relever la démarche volontaire et régulière de l’Etat pour valoriser les modes alternatifs de règlement des différends et tenter de réduire « les stocks » judiciaires. Cependant, la précipitation ou l’imprécision avec laquelle certaines dispositions sont adoptées ne permet pas de pérenniser un changement de pratique et donnent lieu à des interprétations divergentes et des mises en œuvre compliquées qui laissent les praticiens dans l’expectative.

 

Le préalable amiable obligatoire applicable aux petits litiges n’a pas échappé à la règle. Et l’imprécision de sa rédaction a été censurée par le Conseil d’Etat le 22 septembre 2022.

 

LIRE LA DÉCISION >> Conseil d'État, 22 septembre 2022, n°436939

 

La loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 (« de modernisation de la justice du 21ème siècle ») disposait que : « À peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la saisine du tribunal d’instance par déclaration au greffe doit être précédée d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice sauf […] 3. Si l’absence de recours à la conciliation est justifiée par un motif légitime » (Article 4 de la loi du 18 novembre 2016) ».

 

La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 (« de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ») a modifié cet article afin de circonscrire ce préalable obligatoire aux litiges n’excédant pas un certain montant ou relatifs à un conflit de voisinage, et surtout pour préciser que le « motif légitime » pouvait résulter de l’indisponibilité des conciliateurs de justice dans un délai raisonnable.

 

Cette disposition législative était critiquée dans la mesure où, notamment, elle aurait privé les justiciables du droit à un recours effectif et du principe de « libre accès au juge » en obligeant une tentative de MARD préalable.

 

Par décision n°2019-778 du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel a jugé ce texte conforme à la Constitution, sous réserve que le pouvoir réglementaire définisse la notion de « motif légitime » et précise le « délai raisonnable » d'indisponibilité du conciliateur.

 

Cette décision est intéressante dans le sens où elle clôt le débat sur l’absence de conformité à la Constitution d’un préalable obligatoire à la saisine d’une juridiction.

 

Elle rappelle l'article 16 de la Déclaration de 1789 (« Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ») et sa conséquence (« Il résulte de ces dispositions qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction ») et conclut que, sous certaines conditions, l’obligation préalable de tentative de résolution amiable d’un conflit n’est pas par principe contraire au droit à un recours juridictionnel effectif.

 

Le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 pris en application de cette loi ainsi validée par le Conseil constitutionnel a prévu les dispositions de l’article 750-1 du Code de procédure civile de la manière suivante : 

 

« À peine d'irrecevabilité que le juge peut prononcer d'office, la demande en justice doit être précédée, au choix des parties, d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d'une tentative de médiation ou d'une tentative de procédure participative, lorsqu'elle tend au paiement d'une somme n'excédant pas 5 000 euros […].

Les parties sont dispensées de l'obligation mentionnée au premier alinéa dans les cas suivants […]

3° Si l'absence de recours à l'un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l'urgence manifeste soit aux circonstances de l'espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu'une décision soit rendue non contradictoirement soit à l'indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l'organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige […]. »

 

Ainsi, le montant de la demande entraînant l’application de ce préalable obligatoire à peine d’irrecevabilité a été fixé à 5.000 euros, le motif légitime défini et le délai raisonnable précisé. À tout le moins, cela était-il tenté.

 

Le Conseil national des barreaux, la Conférence des bâtonniers, l'ordre des avocats au barreau de Paris, l'Association des avocats conseils d'entreprises, la Confédération nationale des avocats, la Fédération nationale des unions de jeunes avocats, le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature ont demandé l’annulation du Décret dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, reprenant la substance de l’ensemble des griefs qui avaient été exposés devant le Conseil constitutionnel.

 

Le Conseil d’Etat a retenu un seul des nombreux moyens exposés, et a annulé l'article 750-1 du Code de procédure civile dans sa rédaction issue de l'article 4 du décret :

 

« Si les dispositions du 3° de l’article R 750-1 du code de procédure civile explicitent le fait que l’indisponibilité de conciliateurs de justice permettant de déroger à l’obligation de tentative de règlement amiable prévue à l’article 4 de la loi du 18 novembre 2016 précitée doit être appréciée par rapport à la date à laquelle la première réunion de conciliation peut être organisée, en se bornant à préciser par ailleurs que cette réunion ne doit pas intervenir dans un « délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige », elles n’ont pas défini de manière suffisamment précise les modalités et le ou les délais selon lesquels cette indisponibilité pourra être regardée comme établie. S’agissant d’une condition de recevabilité d’un recours juridictionnel, l’indétermination de certains des critères permettant de regarder cette condition comme remplie est de nature à porter atteinte au droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction, garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».

 

L’annulation de l’article 750-1 du Code de procédure civile dans son entier, avec effet non rétroactif, a pour conséquence de supprimer l’obligation de tentative amiable préalable obligatoire pour les nouvelles procédures intentées à compter du 22 septembre 2022.

 

En raison de l’alerte claire du Conseil constitutionnel rappelant la nécessité pour le pouvoir réglementaire de définir la notion de délai raisonnable d’indisponibilité du conciliateur, la rédaction du Décret aurait dû être plus précise.

 

Il n’est évidemment pas question de relever une imaginaire incurie du pouvoir réglementaire qui aurait simplement ignoré la condition posée par le Conseil constitutionnel.

 

Il doit simplement être noté le difficile exercice de rédaction qui est ici demandé. S’opposent la légitime garantie d’un libre accès à la justice à la nécessité d’imposer dans certaines conditions de tenter de s’accorder avant d’utiliser le service public judiciaire.

 

Il est ici proposé une solution : la suppression de cette condition d’indisponibilité des conciliateurs dans un délai raisonnable permettrait d’éviter tout débat sur cette notion, et notamment de s’abstenir de vérifier les modalités et le délai selon lesquels cette indisponibilité « pourra être regardée comme établie ».

 

En corollaire, il est proposé de s’assurer que l’indisponibilité d’un conciliateur ne sera plus possible et ce, même dans un délai fixé et non sujet à interprétation, en promouvant la formation et la désignation d’un nombre croissant de conciliateurs et de médiateurs.

 

Dès lors qu’il est nécessaire d’interpréter les textes fixant les conditions d’accès à une juridiction, ce libre accès n’est pas garanti. L’urgence semble donc, plutôt que de préciser les notions fixées par les textes, et donc d’y ajouter articles, alinéas et exceptions, de simplifier et rendre compréhensible.

 

Il reste que, pour le moment l’article 750-1 étant annulé, il n’est plus obligatoire dans les cas qui y étaient prévus, de recourir à un préalable amiable avant de fournir un stock judiciaire. Et en ce sens, l’objectif des deux lois de modernisation (2016) et de réforme (2019) est manqué.

 

Les avancées timides et parfois confuses du législateur sont critiquables mais ces petits pas obligent néanmoins à s’interroger sur les alternatives possibles au judiciaire.

 

Au-delà du législateur, les magistrats, les avocats, les médiateurs, les greffes des tribunaux et l’ensemble des praticiens du droit ont une responsabilité dans l’information claire et massive des justiciables et doivent s’emparer de cette quête de visibilité des modes amiables de résolution des litiges.

 

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Cassandre Piffeteau

Counsel au sein de l’équipe de d’Alverny Avocats et médiateure, Cassandre Piffeteau intervient aussi bien en conseil qu’en contentieux sur des dossiers de droit commercial et économique.

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