Arnaud Chneiweiss, médiateur de l’assurance, explique le fonctionnement de la Médiation de l'assurance, « service réclamations » des services réclamations.
Pourriez-vous vous présenter en quelques mots s'il vous plaît ?
J’ai d’abord été haut fonctionnaire, à Bercy, pendant une dizaine d’années. J’ai travaillé surtout sur les questions européennes, d’abord à la direction du Trésor puis en tant que conseiller Europe de Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius au moment du passage à l’euro. Puis je suis entré dans le monde de l’assurance, dans lequel je travaille depuis environ 20 ans.
J’ai rejoint la SCOR pendant cinq ans comme Secrétaire général, puis j’ai été Directeur Général adjoint de la Matmut pendant huit ans. J’ai travaillé ensuite dans les fédérations professionnelles, d’abord en dirigeant le syndicat des assureurs mutualistes, le GEMA ; puis en qualité de Délégué général de la FFA, qui résulte de la fusion des deux syndicats précédents, FFSA et GEMA. Et me voici depuis six mois médiateur de l’assurance !
Qu’est-ce qui vous a amené dans le monde de l’assurance ?
L’assurance, c’est un mélange très intéressant de cas concrets et de préoccupations macroéconomiques. D’un côté, c’est la vie quotidienne des gens, avec leurs problèmes de santé, d’habitation, de préparation de la retraite… De l’autre côté, l’assurance soulève des questions structurelles, la contribution de l’assurance vie au financement de l’économie, le rôle que peut jouer l’assurance pour une meilleure prise de conscience du dérèglement climatique, le sujet du vieillissement de la population et du financement de la dépendance…
Il y a cette combinaison intéressante de questions, qui permet à la fois d'être dans le quotidien des gens, tout en ayant une vision sociétale et économique des grands enjeux.
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Vous êtes depuis six mois médiateur de l’assurance. Pouvez-vous nous présenter votre nouvelle fonction ?
La médiation de l’assurance est « le service réclamations des services réclamations ». C’est en quelque sorte le dernier recours avant – et pour éviter que - que les gens n’aillent en justice.
Nous intervenons une fois que les recours auprès de l’assureur ont été épuisés : une fois que l’assuré s’est adressé au service client de son assureur, puis à son service réclamations, il est encore possible pour lui de se tourner, gratuitement, vers le médiateur.
En 2020, nous anticipons plus de 17 000 saisines, ce qui est bien sûr très peu comparé aux millions de sinistres indemnisés tous les ans par les assureurs. Et tant mieux.
Néanmoins, on peut aussi y voir la partie émergée de l’iceberg, qui montre bien que parfois il y a des dysfonctionnements dans la relation client, car il faut beaucoup de persistance aux assurés pour arriver jusqu’à nous.
Dans un tiers des cas, les assurés ont eu raison d'être persistants car nous leur donnons raison. Ceci alors que leur dossier a déjà été examiné à deux reprises par l’assureur.
Pourquoi leur donnons-nous raison ? Nous avons une grille d’analyse. Commençons par les clauses d’exclusion : sont-elles précises, conformément à ce qu’exige le code des assurances qui énonce qu’elles doivent être « formelles et limitées » ? Nous trouvons régulièrement des clauses floues : c'est le cas par exemple lorsque l’assureur refuse d'assurer ce qui résulte d’un défaut d’entretien de la chose, sans autre précision sur la notion de « bon entretien ». Ce type de clause est condamné par la Cour de cassation depuis 1997 ! C’est assez choquant de la voir encore dans certains contrats d’assurance.
Un autre exemple : si l’assureur refuse d’indemniser ce qui résulte de la « négligence », par exemple dans un cas de vol de bagage à l’aéroport. Autre cas, l’assuré avait laissé sa valise dans la voiture et l’assureur lui opposait sa négligence pour refuser la prise en charge du sinistre. Or cette notion de négligence peut être interprétée par chacun. Par conséquent, la clause est floue et nous donnons raison à l’assuré.
Un autre chapitre concerne l’opposabilité des documents contractuels : dans les contrats d’assurance, il y a les conditions particulières et les conditions générales. Les conditions particulières doivent par principe être signées, pour prouver le consentement de l’assuré. Souvent, pour des raisons de process lors de la souscription, elles ne le sont pas. De plus, le renvoi aux conditions générales doit être précis, comme l'exige la Cour de cassation : il faut qu’on sache clairement de quel document il s’agit. Si le renvoi n’est pas clair, rien de ce qui est écrit dans les conditions générales n’est opposable : ni les exclusions, ni les franchises...
Nous voyons également parfois des clauses abusives, c'est-à-dire des clauses qui créent un déséquilibre significatif entre les deux parties.
Voici un exemple : dans un dossier dépendance, l’assureur prévoyait que le début de la rente commencerait au moment où il estimerait « le dossier complet ». Or l’assuré était mort, et l'assureur estimait que le dossier n’avait jamais été complet, donc il ne devait, selon lui, rien verser aux héritiers. L’assureur ne peut décider selon son bon vouloir s’il doit verser la rente ou non. Il faut que la rente dépendance soit versée dès lors qu’un expert médical a constaté que l’assuré est en état de dépendance - au sens du contrat - à compter d’une certaine date.
Il y a également des questions relatives au devoir de conseil, ou à la déclaration du risque. Parfois, dans les assurances emprunteur, l’assureur refuse de prendre en charge les échéances de l’emprunt immobilier au nom de la garantie incapacité temporaire de travail ou invalidité car il estime que l’assuré lui a menti sur son état de santé. Il faut alors se demander si l’assureur a bien posé des questions précises, personnalisées. Si l’assuré a seulement signé une déclaration disant qu’il est en bonne santé, l’assureur ne peut pas lui reprocher d’avoir menti, faute de réponse inexacte à une question précise.
Enfin, il y a aussi des cas pour lesquels je statue en équité : un peu plus de 3 %. Le contrat d’assurance a été strictement respecté par l’assureur, et pourtant j’estime qu’il faut donner raison à l’assuré, car sinon nous arrivons à une situation absurde, voire choquante.
Comment statuez-vous en équité ? Quels sont les principes qui vous guident ?
Il n’y a pas d’objectif chiffré ou de stratégie de développement. C’est au cas par cas. Je vous donne un exemple : l’assuré a une voiture décapotable, l’assureur accorde sa garantie bris de glace. La vitre est brisée. Selon l’expert, le remplacement de la vitre ne peut se faire tout seul, et il faut changer l’ensemble du toit. L’assureur refuse, car il s'est engagé à ne garantir que la vitre. Or, la philosophie de l’assurance dommage, c’est de remettre l’assuré dans la situation antérieure au sinistre. Il a décidé d’assurer ce modèle de voiture, il a donné sa garantie bris de glace, j'ai estimé que l'assureur devait prendre en charge le remplacement de tout le toit.
De même, dans le cadre d’un contrat d’assurance logement, un dégât des eaux survient et l’assurée se reloge dans un hôtel 3 étoiles sans en parler à l’assureur. Ce dernier lui refuse alors tout remboursement, lui reprochant de ne pas s’être adressée à lui en premier lieu, afin qu’il lui indique des hôtels 2 étoiles, conformément au contrat. J’ai estimé que même si l’assurée n’avait pas scrupuleusement respecté le contrat, l’assureur devait l’indemniser à hauteur de ce qui avait été prévu, pour un hôtel 2 étoiles.
Il y a parfois des cas où la situation est dramatique. Ainsi, le cas d'une enseignante qui avait été agressée dans sa salle de classe. Elle avait reçu des projectiles, avait été insultée... Certes, elle n'était pas physiquement blessée mais elle était tombée en dépression. Lorsqu'elle a demandé la prise en charge de ses échéances, l’assureur a refusé, car le contrat ne couvrait que les accidents corporels. Ainsi, si elle avait été physiquement blessée, il aurait pris en charge les échéances, mais comme elle n'était « que » traumatisée, il refusait.
Comme dans le contrat il n’y avait pas de définition de l’accident corporel et qu’elle n’avait pas d’antécédent de dépression, j’ai considéré que ce traumatisme était la conséquence de l’agression et j’ai invité l’assureur à prendre en charge le sinistre.
Comment vos décisions en équité sont-elles reçues par les assureurs ?
Ils se posent des questions légitimes. Si on s’éloigne du contrat, où allons-nous ? À l’inverse, les consommateurs trouvent que 3% d’avis rendus en équité, c’est très peu !
Je ne suis pas juge et mes décisions ne s’imposent pas. En pratique, elles sont suivies à 99,9% par les assureurs. Cela prouve la qualité de l’équipe juridique de la Médiation. Elle fait autorité.
Depuis six mois que je suis là, il y a eu seulement deux cas dans lesquels le professionnel a refusé de me suivre : un cas avec un courtier, pour lequel nous avons considéré qu’il n’avait pas bien respecté son devoir de conseil. Le second cas concerne un assureur de protection juridique qui refusait la prise en charge d’un litige au motif que le contrat était résilié alors que la réclamation conditionnant la mise en jeu de la garantie était bien survenue pendant la période de validité du contrat. Nous lui avons dit qu’il devait intervenir, ce qu’il a refusé de faire.
En tant que Médiateur, j’essaie de me tenir à égale distance des assurés et des assureurs. Nous sommes indépendants et impartiaux dans les « propositions de solutions » que nous faisons.
Depuis combien de temps la Médiation de l’assurance existe-t-elle ?
Une directive européenne de 2013 a imposé pour toute entreprise en contact avec le public d’avoir un système de médiation. Profitant de la fusion entre la FFSA et la GEMA, nous avons créé la Médiation de l’assurance en 2015.
Nous sommes « le dernier des services réclamations ». Nous avons une vue d’ensemble des problèmes et une grille d’analyse commune pour tous les assureurs. Nous essayons par ailleurs de faire beaucoup de pédagogie auprès de tous les publics intéressés par ces questions : les associations de consommateurs, les assureurs, les assurés et les étudiants, en publiant des études de cas tous les quinze jours.
Il est important de faire de l’éducation à l’assurance. Dans bien des cas les assurés nous saisissent car ils sont indignés mais à tort, souvent parce qu’ils n’ont pas assez lu leur contrat au moment de le souscrire. On ne peut pas prendre une assurance automobile minimale, « au tiers », et demander la prise en charge de ses dommages matériels. Chacun doit être responsable.
Nous assistons à une volonté de recul du contentieux judiciaire au profit des modes alternatifs de résolution. La création de La Médiation de l'assurance témoigne également de cette volonté. Pensez-vous qu’étant donné l’état actuel de l’institution judiciaire, la justice est désormais mieux administrée sans intervention du juge ?
L'intérêt de la médiation est d’être souple et rapide, car selon le code de la consommation, nous avons trois semaines pour nous prononcer sur la recevabilité de la saisine, puis trois mois pour trancher le débat, excepté pour les cas complexes.
De plus, la médiation est gratuite pour l’assuré puisque financée par les professionnels (assureurs, courtiers…). L’assuré peut nous saisir directement, ou se faire représenter par une association de consommateurs ou par un avocat.
La quasi-totalité des litiges s’arrête au moment où nous proposons une solution, ce qui favorise le désengorgement les tribunaux.
À ce propos, sur le Blog Predictice, nous avons publié une interview de Maître Guillaume Aksil, qui vient de remporter cinq victoires devant le tribunal de commerce en faveur de restaurateurs opposés à AXA France. En ce qui vous concerne, est-ce que vous avez vu passer des dossiers de restaurateurs qui réclamaient le paiement de la garantie pertes d’exploitation ?
Les dossiers commencent à nous arriver sur ce sujet sensible, quelques dizaines, concernant des restaurateurs et d’autres types de commerce. Nous avons aussi des dossiers relatifs à des annulations de voyage en raison de la crise sanitaire.
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Docteure en droit et diplômée de l'Essec, Eloïse est rédactrice en chef du Blog Predictice.