Par un arrêt du 21 mars dernier, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a opéré un revirement majeur et inattendu en droit de la construction. Elle revient sur sa solution arrêtée en 2017 et juge que les éléments équipements adjoints à un ouvrage existant relèvent de la responsabilité contractuelle de droit commun à l’exclusion des garanties légales du constructeur (3ème Civ., 21 mars 2024, n°22-18694)
Si les articles 1792-2 et 1792-3 du code civil visent les éléments d’équipement, la question s’est régulièrement posée des conditions sous lesquelles un élément d’équipement relève de la garantie décennale ou de la garantie biennale de bon fonctionnement.
Qu’en est-il notamment des éléments d’équipement qui ne sont pas d’origine c’est-à-dire ceux qui ne sont pas posés lors de la construction de l’ouvrage mais qui sont installés, par remplacement ou par adjonction, sur un ouvrage déjà existant ?
Jusqu’en 2017, il était retenu que l’impropriété à destination provoquée par les dysfonctionnements d’un élément d’équipement adjoint à la construction existante ne relevait pas de la garantie décennale des constructeurs.
Puis, selon un revirement de jurisprudence en 2017, la Cour de cassation a jugé que les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la garantie décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (3ème Civ., 15 juin 2017, n°16-19640 et 3ème Civ., 14 septembre 2017, n°16-17323).
Il s’agissait exactement de la solution qui avait été retenue par l’arrêt objet du pourvoi dans une affaire où un incendie ayant détruit une maison était imputable à un insert installé dans une cheminée.
L’arrêt a été cassé non sans que la troisième chambre civile fasse preuve de pédagogie.
Elle explique que les objectifs à l’origine du revirement de jurisprudence en 2017 n’ont pas été atteints.
La Cour de cassation poursuivait tout d’abord un objectif de simplification.
Toutefois, elle a ensuite été amenée à juger que les désordres affectant un élément d’équipement adjoint à l’existant et rendant l’ouvrage impropre à l’existant ne pouvait relever de la garantie décennale que lorsqu’ils trouvaient leur siège dans un élément d’équipement au sens de l’article 1792-3 du code civil, c’est-à-dire un élément d’équipement destiné à fonctionner (3ème Civ, 13 juillet 2022, n°19-20231).
Cela a abouti à multiplier les qualifications attachées aux éléments d’équipements et les régimes de responsabilité qui leur sont applicables, au risque d’exclure des garanties légales du constructeur les dommages causés par les équipements d’origine. Pas de simplification donc.
La Cour de cassation cherchait ensuite à inciter les installateurs d’éléments d’équipement susceptibles de relever de la garantie décennale à souscrire l’assurance obligatoire des constructeurs et ce, afin d’assurer une meilleure protection des maitres de l’ouvrage qui réalisent des travaux de rénovation ou d’amélioration de l’habitat existant.
Toutefois, la consultation des acteurs du secteur a révélé que la solution énoncée en 2017 n’a pas eu l’effet escompté, dont en termes de protection ou de meilleure indemnisation des maitres d’ouvrage.
C’est sur la base de ces considérations juridiques et pratiques que la troisième chambre civile déclare qu’il est nécessaire de renoncer à cette jurisprudence.
Par son arrêt, elle juge que si les éléments d'équipements installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l'assurance obligatoire des constructeurs.
Cette nouvelle jurisprudence s’applique aux instances en cours, dès lors qu’elle ne porte pas une atteinte disproportionnée à la sécurité juridique ni à l’accès au juge.
Quel est l’impact de cette solution ?
Les installateurs d’équipements en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne sont plus soumis à l’obligation de souscrire une assurance constructeur et ne sont plus tenus à la garantie décennale.
Si l’élément d’équipement cause un dommage à l’ouvrage, le maitre d’ouvrage devra caractériser le manquement contractuel constitutif d’une faute à l’origine du dommage pour engager la responsabilité contractuelle de droit commun de l’installateur (articles 1231 et suivants du code civil).
Cette action à l’encontre de l’installateur et/ou de son assureur devra être engagée dans un délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer (article 2224 du code civil).
Dans sa lettre publiée sur le site de la Cour de cassation, la troisième chambre civile estime que ce revirement de jurisprudence ne prive pas les maitres de l’ouvrage de tout recours. S’ils ne peuvent plus bénéficier de l’assurance obligatoire des constructeurs, ils pourront être indemnisés du sinistre causé par l’élément d’équipement adjoint à l’existant par leur assureur habitation, en cas de réalisation d’un évènement garanti, ou par l’assureur de l’installateur, si ce dernier a souscrit la garantie facultative correspondante ou est assuré en vertu d’une police d’assurance responsabilité civile.
La troisième chambre prend ensuite le soin de préciser les règles désormais applicables aux éléments d’équipement d’origine, d’une part, de ceux installés sur un ouvrage existant, d’autre part.
Cet exercice de pédagogie de la Cour confirme que le régime applicable aux éléments d’équipements est complexe et que l’objectif de simplification doit être poursuivi.
Cet arrêt anticipe une solution proposée par l’avant-projet de réforme des contrats spéciaux dont l’article 1792-7 dispose que « ne sont pas considérés comme des éléments d'équipement d'un ouvrage au sens des articles 1792, 1792-2 et 1792-3 : […] 2° les éléments d’équipement installés sur existant ».
Ce revirement serait-il donc un appel au législateur afin qu’il poursuive la réforme des contrats spéciaux ?
Marine Chevallier et Louise Fourcade accompagnent les professionnels de l’assurance et les entreprises dans leurs contentieux de droit des assurances, de la responsabilité civile et des risques industriels.