Le tribunal de commerce interdit au site Reflets.info de publier de nouvelles informations sur le piratage d’Altice par un groupe de hackers (TC Nanterre, 6 octobre 2022).
En août 2022, un groupe de hackers a attaqué le réseau informatique du groupe Altice et a exigé le paiement d’une rançon de plus de 5 millions de dollars.
Suite au refus du groupe Altice de payer la rançon, les hackers ont mis une partie des données piratées en ligne sur le darknet.
En septembre dernier, Reflets.info, journal d’information en ligne spécialisé dans le numérique et la sécurité des systèmes d’information, a publié trois articles sur cette affaire. Ces articles avaient pour objet de relater les circonstances de l’attaque du groupe Altice et d’informer les lecteurs sur la nature des informations mises en ligne par le groupe de hackers.
Le 13 septembre 2022, le groupe Altice a porté plainte contre X pour ces faits de piratage. Parallèlement, le groupe a également engagé une procédure en référé contre la société éditrice du site Reflets.info. Le groupe Altice demandait notamment au président du tribunal de commerce de Nanterre d’ordonner la suppression des trois articles et d’interdire à la société de publier de nouvelles informations se rapportant aux données piratées.
Par une ordonnance de référé du 6 octobre 2022, le tribunal de commerce de Nanterre a rejeté la demande du groupe Altice visant la suppression des articles publiés sur le site Reflets.info. En revanche, le tribunal a ordonné à la société éditrice du site internet de ne pas publier de nouvelles informations.
LIRE LA DÉCISION >> Tribunal de commerce de Nanterre, 6 octobre 2022, n° 2022R00834
L’absence de trouble manifestement illicite résultant d’une violation du secret des affaires
Le groupe Altice demandait au tribunal de commerce d’ordonner la suppression des trois articles publiés par Reflets considérant que : « le traitement du piratage par le journal risque incontestablement d'inciter des personnes mal intentionnées, ou bien même des concurrents, à violer le secret des affaires ».
De son côté, la société éditrice du site internet rappelait que les informations publiées dans les trois articles ne relevaient pas du secret des affaires puisqu’elles concernaient uniquement le train de vie du président du consortium luxembourgeois. La société rappelait également que le groupe Altice avait publié un communiqué de presse suite à l’attaque informatique dans lequel il précisait qu’aucune donnée sensible n’avait été compromise lors de ce piratage.
Par ailleurs, la société éditrice du site internet faisait valoir que les informations s’inscrivaient dans un débat d'intérêt général. Elle rappelait en outre que l ’article L. 151-8 du Code de commerce dispose précisément que : « À l'occasion d'une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n'est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue :
1° Pour exercer le droit à la liberté d'expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse, et à la liberté d'information telle que proclamée dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne
2° Pour révéler, dans le but de protéger l'intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible, y compris lors de l'exercice du droit d'alerte défini à l'article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dans les conditions définies aux articles 6 et 8 de la même loi ;
3° Pour la protection d'un intérêt légitime reconnu par le droit de l'Union européenne ou le droit national ».
Le tribunal de commerce de Nanterre n’a pas fait droit à la demande du groupe Altice de voir ordonner la suppression des articles, considérant que la demanderesse ne rapportait pas la preuve que les informations révélées par le journal relevaient du secret des affaires au sens de l’article L. 151-1 du Code de commerce.
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L’interdiction faite au journal de publier de nouvelles informations
L’article 873 du code de procédure civile qui permet au président du tribunal de prendre des mesures conservatoires pour faire cesser un trouble manifestement illicite l’autorise également à prendre de telles mesures pour prévenir un dommage imminent.
C’est sur ce fondement que le Président du Tribunal de commerce de Nanterre a fait interdiction à la société éditrice du journal Reflets de publier de nouvelles informations.
En effet, le juge des référés a considéré que : « Si une violation évidente du secret des affaires n'est pas justifiée à ce stade, il n'en demeure pas moins que REBUILD.SH a manifesté son intention de poursuivre la publication sur son site " reflets.infos " des informations nouvelles que le groupe HIVE pourrait rendre publiques. Cette volonté affirmée de poursuivre les publications d'informations obtenues frauduleusement par un tiers, fait peser une menace sur les sociétés du Groupe ALTICE face à l'incertitude du contenu des parutions à venir qui pourraient révéler des informations relevant du secret des affaires. Cette menace peut être qualifiée de dommage imminent ».
« Il y a dans cette décision une contradiction majeure puisque le président du tribunal relève que le trouble manifestement illicite résultant d’une violation du secret des affaires ne peut être retenu mais interdit tout de même à Reflets de publier de nouvelles informations au motif qu’elles pourraient hypothétiquement violer ce secret des affaires. Cette interdiction qui a une portée générale, et n’est d’ailleurs accompagnée d’aucune sanction, est infondée et grave. On a le sentiment que le tribunal a voulu contenter chaque partie en donnant en partie raison au groupe Altice tout en refusant d’ordonner la suppression d’articles de presse. Ce faisant, il a rendu une décision qui n’a pas de sens. » - Maître Lorraine Gay, avocate associée du cabinet CABINET NOUVELLES.
De façon surprenante, le tribunal de commerce n’a pas précisé l’interdiction faite à Reflets et s’est contenté d’ordonner à la société qui édite le site internet « de ne pas publier sur le site de son journal en ligne " reflets.infos " de nouvelles informations ». Cette interdiction, dont il est difficile d’analyser les contours, n’est d’ailleurs pas accompagnée d’une astreinte.
La décision a suscité de vives critiques du monde de la presse et notamment du Fonds pour une presse libre qui a lancé un appel pour que « le gouvernement se saisisse d’urgence de cette question au moment où le pouvoir annonce des états généraux sur le droit à l’information ». La décision d’appel qui devrait intervenir dans les jours à venir est donc très attendue.
« Cette ordonnance est une première et elle vient confirmer les craintes formulées lors de la transposition de la directive du 8 juin 2016 sur le secret des affaires. Aujourd’hui, une entreprise peut poursuivre un journaliste devant le tribunal de commerce afin d’obtenir qu’il lui soit fait interdiction de travailler et de faire œuvre d’informer. Nous avons ici l’exemple d’une procédure bâillon qui aboutit à la condamnation d’un média indépendant ». - Maître Lorraine Gay, avocate associée du cabinet CABINET NOUVELLES.
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Juriste et entrepreneur, Pierre-Florian est rédacteur pour le Blog Predictice.