Condamnation d’un magazine qui a reproduit une photo Instagram

6 mai 2022

5 min

illustration chronique judiciaire instagram
Le droit exclusif d’une personne sur son image lui permet de s’opposer à la reproduction de ses photos Instagram dans un magazine de presse (TJ Paris, 13 avril 2022)

 

« L’utilisation des réseaux sociaux n’est pas incompatible avec la protection du droit à l’image de leurs utilisateurs. C’est ce que vient d’affirmer le Tribunal judiciaire de Paris en condamnant un magazine ayant publié des photographies « volées » sur le compte Instagram d’un influenceur. Cette décision rappelle que l’exclusivité d’une personne sur son droit à l’image ne cesse pas, même lorsque celle-ci a choisi de rendre publiques certaines images sur les réseaux sociaux. Et la circonstance que l’utilisateur confère certains droits à la société détentrice du réseau social ne permet pas à tout tiers de se saisir de ces droits. » - Maître Valentine Squillaci, associée du cabinet M7 Avocats.

 

 

En mars 2020, un influenceur a accepté la proposition d’un magazine de publier une interview dans laquelle il racontait son quotidien de père de famille créateur de contenu sur Instagram. Cette interview a été publiée par le magazine en juin de la même année, accompagnée de huit photos provenant de son compte Instagram. Ces photos le présentaient avec sa compagne, elle aussi influenceuse, et son fils. N’ayant pas donné suite au mail du magazine précédant la publication le sollicitant pour donner son « autorisation d’exploitation de l’image », il a assigné l’éditeur de presse devant le tribunal judiciaire de Paris. Le couple estimait que la publication non autorisée de ces photographies constituait une atteinte à leur droit à l’image et à leur droit d’auteur.

 

Pour se défendre d’avoir porté atteinte au droit sur l’image de l’influenceur, le magazine avançait deux arguments principaux. Il considérait d’une part que la participation du créateur de contenu à une interview relative à son compte Instagram valait autorisation tacite de publier des photographies issues de ce compte. Il observait d’autre part que les conditions générales d’Instagram permettent aux tiers de partager le contenu publié sur la plateforme.

 

Le tribunal a rejeté ces arguments et a condamné le magazine à indemniser le couple d’influenceurs et leur enfant compte tenu de l’atteinte à leur droit sur l’image. En revanche, le tribunal n’a pas retenu l’atteinte à leur droit d’auteur considérant que les photographies en question ne pouvaient être qualifiées d'œuvre de l’esprit au sens de l’article L112-2 du Code de la propriété intellectuelle.

 

LIRE LA DECISION >> Tribunal judiciaire de Paris, 13 avril 2022, n° 21/03690

 

L’absence d’autorisation tacite de reproduire les photographies

Le tribunal judiciaire de Paris estime d’abord que le magazine ne peut pas se prévaloir d’une autorisation tacite de reproduire les photographies publiées sur le compte Instagram de l’influenceur. En effet, sa participation à l’interview publiée par le magazine ne peut pas suffire à établir cet accord tacite d’autant que la journaliste en charge de cet article n’avait eu aucun contact avec la compagne de l’influenceur qui apparaît, elle aussi, sur les photographies. Par ailleurs, la journaliste avait envoyé des « formulaires d’autorisation d’exploitation de l’image », auxquels l’influenceur n’avait pas donné suite, de sorte que le magazine ne pouvait se prévaloir d’un accord prétendument tacite entre les deux parties. Enfin, la publication d’une photographie d’un mineur suppose l’autorisation expresse de ses deux parents.

 

La publication d'une photo sur internet ne permet pas aux tiers de l'utiliser librement

Le tribunal rejette également l’argument du défendeur qui considérait que l’accord implicite de l’influenceur pouvait se déduire de la publication initiale des photographies sur son compte Instagram. Il considère que « le fait que les photographies aient été initialement publiées sur son compte Instagram par G. ne permet pas à une société tiers de les reproduire, hors de leur cadre et contexte initiaux, sans l’autorisation de ce dernier et des personnes y figurant. Il sera à cet égard souligné que les extraits des conditions d’utilisation du service Instagram évoquant la possibilité de partage des contenus publiés sur un compte Instagram, cités par la défense, sont issus d’une partie concernant le « partage sur les produits Facebook » et qu’il ne peut par conséquent en être déduit que tout média tiers pourrait reproduire, en dehors de sa finalité première et sans l’accord de son titulaire, toute image publiée sur le dit compte. » (TJ Paris, 13 avril 2022, n° 21/03690, p. 8)

 

Ainsi, si les conditions générales d’Instagram prévoient bien que le créateur de contenu donne à la plateforme une licence non-exclusive et transférable pour diffuser le contenu, cet accord n’offre aucun droit à des tiers.

 

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« Cette décision est salutaire et conforme à la jurisprudence du Tribunal qui avait déjà eu l’occasion d’affirmer dans une situation similaire que le droit exclusif d’une personne sur son image lui permet de s’opposer à sa reproduction sans son autorisation expresse et spéciale, de sorte que chacun a la possibilité de déterminer l’usage qui peut en être fait en choisissant notamment le support qu’il estime adapté à son éventuelle diffusion. » (Tribunal de Grande Instance de Paris chambre de la presse - Jugement du 12 septembre 2000, Charlotte R. épouse Jean-Michel J. / Sarl DF Presse) » - Maître Valentine Squillaci, associée du cabinet M7 Avocats.

 

 

L’existence d’un préjudice patrimonial du fait de l’activité et de la notoriété de l’influenceur

Pour rappel, le droit sur l’image est une création prétorienne fondée sur l’article 9 du Code civil dans le sillage du droit au respect de la vie privée (A. Lepage, Répertoire de droit civil, De certains droits de la personnalité en particulier, Dalloz, 2021). S’il a pu être envisagé que le droit sur l’image ne pouvait venir qu’en appui du droit au respect de la vie privée, il est aujourd’hui protégé de façon autonome. Ainsi, par un arrêt du 12 décembre 2000, la Cour de cassation a estimé que « l'atteinte au respect dû à la vie privée et l'atteinte au droit de chacun sur son image constituent des sources de préjudice distinctes, ouvrant droit à des réparations distinctes » (Cass., Civ. 1ère, 12 déc. 2000, n° 98-21.161). 

 

Le créateur de contenu peut donc obtenir réparation en l’absence d’atteinte à son droit au respect de la vie privée.

 

Après avoir constaté que le magazine ne pouvait se prévaloir d’une quelconque autorisation tacite de reproduire ces photographies, le tribunal considère que  « l'utilisation de l'image d'une personne sans autorisation est de nature à provoquer chez son titulaire un dommage moral et, le cas échéant, un préjudice patrimonial lorsque l'intéressé aura, par son activité ou sa notoriété, conféré une valeur commerciale à son image. » (TJ Paris, 13 avril 2022, n° 21/03690, p. 8)

 

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Ce jugement est le reflet d’un contentieux grandissant sur la reproduction par des tiers de contenu publié sur les réseaux sociaux. Ainsi, de l’autre côté de l’Atlantique, plusieurs juges se sont penchées sur la question du partage de photographies via la fonction « embed » d’Instagram. En effet, la question se pose de savoir si ce bout de code, qui permet de partager du contenu Instagram sur son site sans l’héberger sur ses serveurs, offre une sous-licence empêchant le créateur de faire valoir ses droits relatifs à son copywright. Dans une première décision d’avril 2020, un juge de New-York avait ainsi considéré que le site qui avait repris le code embed pouvait s’appuyer sur les conditions générales d’utilisation d’Instagram qui lui octroyait une sous-licence (Sinclair v. Ziff Davis, LLC Dist. Court, SD New York 13/04/2020). Mais, deux mois plus tard, un juge du même district avait estimé dans une autre affaire que la question de l’existence d’une telle sous-licence pouvait faire débat (MacGucken v. Newsweek, LLC, Dist. Court, SD New York 01/06/20). Cette question est toujours en suspens devant les juridictions américaines. 

 

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Pierre-Florian Dumez

Juriste et entrepreneur, Pierre-Florian est rédacteur pour le Blog Predictice.

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