AOP Hermitage : condamnation d’un exploitant pour acte de contrefaçon

29 avril 2022

5 min

L’usage de la dénomination « Ermitage » par un exploitant ne bénéficiant pas de la protection de l’appellation d’origine est constitutif d’une pratique commerciale trompeuse (TJ Paris, 3 mars 2022).

L’AOP Hermitage protège les vins d’excellence produits dans trois communes de la Drôme (Tain l’Hermitage, Crozes-Hermitage et Larnage) et respectant les conditions posées par un cahier des charges. Cette appellation a été reconnue par décret le 4 mars 1937 et bénéficie aujourd’hui d’une protection au niveau européen. Cette protection est justifiée par la qualité de ces vins qui est le fruit de l’histoire millénaire de la culture de la vigne dans la région. Le troisième président des Etats-Unis, Thomas Jefferson, avait qualifié le vin de l’hermitage de « meilleur vin au monde sans exception » (Cahier des charges de l’appellation d’origine contrôlée « HERMITAGE »)

 

Comme d’autres appellations prestigieuses, l’hermitage (ou ermitage) a renforcé ses mécanismes de protection contre les acteurs qui tentent de capter la renommée de cette AOP. Dans ce jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 3 mars 2022, le syndicat de protection de l’appellation Hermitage a obtenu la condamnation d’un producteur qui commercialisait un vin dénommé « L’ermitage » produit dans l’Aude à plus de 300 kilomètres des vignobles bénéficiant de l’appellation.

 

En 2018, le syndicat de protection de l’appellation Hermitage a adressé un courrier au dirigeant d’une exploitation viticole lui demandant de cesser toute commercialisation de bouteilles portant la mention « L’ermitage ». Le syndicat considérait en effet que cette utilisation par un producteur qui ne bénéficiait pas de l’AOP pouvait créer un risque de confusion. Il demandait par ailleurs au producteur de procéder à la renonciation de ses droits sur les marques verbales qu’il avait déposées et qui comprenaient la dénomination « l’ermitage ».

 

Suite à l’échec des négociations entreprises en vue de trouver un accord amiable, l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) et le syndicat de protection de l’appellation Hermitage ont assigné le vigneron devant le tribunal judiciaire de Paris. Le dirigeant de l’exploitation viticole se défendait d’avoir été l’auteur d’actes de contrefaçon et de pratiques commerciales trompeuses dans la mesure où l’étiquette des bouteilles précisait bien l’AOP dont son vin bénéficie. Il précisait en outre que la dénomination l’ermitage sur ses bouteilles faisant référence à la chapelle « L’Ermitage Saint-Jacques », située à proximité de ses vignes.

 

Le tribunal judiciaire de Paris a fait droit aux demandes de l’INAO et du syndicat considérant qu’en tant qu’exploitant professionnel viticole, le défendeur « ne pouvait ignorer qu’il ne pouvait reproduire une appellation d’origine protégée pour des vins qui n’en remplissaient pas les conditions, et qu’un tel comportement trompait le comportement du consommateur qui s’attendait légitimement à ce que le vin commercialisé sous le nom « L’Ermitage » remplisse les caractéristiques gustatives des vins bénéficiant de l’appellation d’origine protégée et qui sont produits dans les conditions strictes prévues par le cahier des charges ».

 

LIRE LA DECISION >> Tribunal judiciaire de Paris, 3 mars 2022, n° 20/00401

 

L'appellation ne peut pas être considérée comme présentant un caractère générique 

Le tribunal a rejeté les arguments du producteur selon lesquels l’hermitage est un nom générique qui désignait, en l'espèce, la chapelle proche de ses vignes. En effet, l’article L643-1 du Code rural et de la pêche maritime dispose : « L'appellation d'origine ne peut jamais être considérée comme présentant un caractère générique et tomber dans le domaine public ». Dès lors, le nom qui constitue l’appellation d’origine ne pouvait être utilisé pour désigner un produit similaire à celui que l’appellation protège. 

 

 

« Tout d’abord, le jugement retient l’atteinte à l’appellation (H)Ermitage constituée par l’utilisation, par un producteur de vins, de la dénomination « L’Ermitage » pour commercialiser des vins qui ne bénéficient pas de l’AOP (H)Ermitage, et ce indépendamment du fait que cette dénomination, en plus de désigner la prestigieuse AOP Ermitage constitue également un nom commun emprunté à la langue française définissant le refuge d’un ermite. Cet argument de défense est souvent mis en avant par les utilisateurs de la dénomination et repose même parfois sur une certaine réalité historique, voire cadastrale. Le tribunal vient ici écarter cet argument, en rappelant le caractère exclusif de cette dénomination dans le domaine du vin au profit de l’AOP (H)Ermitage. Le jugement retient également que les agissements litigieux consacrent une pratique commerciale trompeuse et un délit de tromperie » - Maître Emmanuel Baud, associé du cabinet Jones Day, conseil de l’INAO et du Syndicat de protection de l’appellation (H)Ermitage.

 

 

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La mention d’une autre AOP sur la bouteille ne permet pas d’écarter le risque de confusion

L’article 103 du du règlement n°1308/2013 prévoit dans son point 2 qu’une AOP est protégée « contre toute usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit ou du service est indiquée ». L’exploitant ne pouvait donc pas se prévaloir de la mention d’une autre appellation sur la bouteille pour se défendre d’être l’auteur d’actes de contrefaçon.

 

 

« Ensuite, de façon intéressante et toujours en réponse à l’un des arguments, lui aussi souvent avancé par les producteurs de vins utilisant le terme Ermitage ou Hermitage, seul ou en association avec d’autres termes, le jugement rappelle que la présence sur l’étiquette des bouteilles de la mention « Corbières appellation d’origine protégée », précisant ainsi l’AOP dont bénéficiait le vin produit par le défendeur, ne pouvait l’exonérer de sa responsabilité. Selon le défendeur, cette mention permettait d’écarter un éventuel risque de confusion du consommateur. Or le Tribunal rappelle avec force que les textes européens et la jurisprudence de la Cour de Justice prévoient expressément que cette circonstance est indifférente. Car il ne s’agit pas exclusivement en matière de protection des AOP et autres IGP de prévenir un risque de confusion du consommateur, mais également d’empêcher une exploitation indue de la réputation d’une indication géographique et de préserver son intégrité, son exclusivité et son monopole au seul profit de ceux qui pendant des décennies, voire des siècles, ont contribué à sa réputation » - Maître Emmanuel Baud, associé du cabinet Jones Day, conseil de l’INAO et du Syndicat de protection de l’appellation (H)Ermitage.

 

 

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La commercialisation de ces bouteilles a provoqué l’avilissement de l’appellation d’origine

L’exploitant considérait enfin que les demandeurs ne justifiaient d’aucun préjudice dans la mesure où il a cessé d’utiliser la dénomination l’ermitage et qu’il a renoncé aux marques déposées. Le tribunal judiciaire de Paris estime cependant que : « La commercialisation, sur une aussi longue période, d’au moins 10.000 bouteilles de vin ne pouvant bénéficier de l’appellation d’origine Ermitage a banalisé et avili cette appellation, qui a ainsi perdu de son attractivité ». Le tribunal considère également que l’INAO justifie d’un préjudice puisque les agissements de l’auteur ont remis en cause « la politique de valorisation du signe de qualité et d’origine Ermitage que l’INAO est en charge de promouvoir ». 

 

Le tribunal a néanmoins refusé la demande de destruction des bouteilles formulée par les demandeurs compte tenu de la possibilité de les recycler avec de nouvelles étiquettes.

 

 

« Ajoutons que le jugement (toujours susceptible d’appel) condamne lourdement le défendeur en lui ordonnant de payer des dommages intérêts substantiels tant à l’INAO qu’au Syndicat en réparation de leurs préjudices économique et  moral  et en prononçant, sous le bénéfice de l’exécution provisoire et sous astreinte, des mesures d’interdiction de poursuite d’usage de la dénomination « Ermitage », de retrait et de rappel des produits » - Maître Emmanuel Baud, associé du cabinet Jones Day, conseil de l’INAO et du Syndicat de protection de l’appellation (H)Ermitage.

 

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Pierre-Florian Dumez

Juriste et entrepreneur, Pierre-Florian est rédacteur pour le Blog Predictice.

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