Pas de contrefaçon pour le slogan de la MAAF

11 février 2022

10 min

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L’usage d’un verbe commun dans les paroles d’une chanson sans sa musique ne constitue ni un acte de contrefaçon, ni de parasitisme (TJ Paris, 21 janv. 2022, n°20/00172).

 

« Il n’y a pas de monopole pour les auteurs de la chanson « C’est la ouate » sur la seule notion de préférence. Il est heureux et cohérent que le tribunal judiciaire de Paris ait retenu que le slogan publicitaire de la MAAF, sur la seule locution banale et usuelle “c’est la […] qu’elle préfère”, dissociée de la mélodie d’origine, ne constitue ni contrefaçon, ni parasitisme. » - Karine Rozenblum, associée au sein du cabinet ABCR Avocats et conseil de la MAAF.

 

LIRE LA DÉCISION >> Tribunal judiciaire de Paris, 21 janvier 2022, n°20/00172

Un slogan publicitaire dérivé d’une chanson populaire

En 1986, l'auteur-interprète Caroline Loeb a sorti la chanson « C’est la ouate » coécrite avec Pierre Grillet. Celle-ci a connu un certain succès, s’écoulant à plus de 300 000 exemplaires dans les années 80 et a d’ailleurs été reprise par plusieurs artistes étrangers.

 

Par contrat du 4 novembre 1986, les auteurs et le compositeur de cette chanson ont cédé leurs droits à la société d’édition musicale Universal Music Publishing. En mars 2004, cette dernière a contractuellement autorisé l’ancien agent publicitaire de l’assureur MAAF à réenregistrer et à adapter la chanson « C’est la ouate » à des fins publicitaires, sous certaines conditions.

 

La MAAF a donc repris la mélodie et les paroles du refrain « C’est la ouate que je préfère » de la chanson afin d’en tirer son célèbre slogan publicitaire « Efficace et pas chère, c’est la MAAF que je préfère ». Ses spots publicitaires pastichant l’univers musical et coloré de l’émission « Palace » des années 80 ont rencontré un vif succès. Ainsi, après la sortie des premiers spots publicitaires, « la notoriété spontanée de MAAF passe de 26 % à 41 %, propulsant la marque du 4ème au 2ème rang des sociétés d’assurances les plus connues du public. Elle est élue par IPSOS dès 2005, publicité préférée des Français » (Les publicités MAAF). Après deux renouvellements, le contrat a pris fin en mars 2019.

 

« En 2018, la MAAF a totalement bouleversé son axe de communication, avec un changement complet de son identité visuelle, mélodique et textuelle, abandonnant l’univers de la série Palace et des comédies musicales chantées, pour se placer sur celui de la parodie des films d’espionnage dans l’esprit des films OSS 117. Elle ne conservait pour certains de ses spots publicitaires que sa signature relative à la préférence MAAF, en s’affranchissant des paroles et de la musique de la chanson “C’est la ouate” » - Karine Rozenblum, associée au sein du cabinet ABCR Avocats et conseil de la MAAF.

 

En 2018, les nouveaux spots publicitaires de la MAAF se sont éloignés du style comédie musicale pour s’inscrire dans un « univers spectaculaire, drôle et transgressif, en parodiant les films d'espionnage » (Les publicités MAAF). Les différentes saynètes à la OSS 117 se concluaient pour certaines par une nouvelle réplique parlée et non chantée : « Rien à faire, c’est la Maaf qu’il/elle préfère ! »Le compositeur et les coauteurs y ont vu une contrefaçon, voire du parasitisme, et ont adressé une mise en demeure à l’assureur en juin 2019 afin qu’il mette fin à cette exploitation considérée litigieuse. L’assureur leur a répondu que cette nouvelle campagne de publicité ne constituait pas une adaptation de la chanson « C’est la ouate ». En décembre 2019, les ayants-droits de la chanson ont alors saisi le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de droit d’auteur et, subsidiairement, actes de parasitisme.  

 

Les ayants-droits ont ainsi sollicité à titre principal que leur œuvre soit reconnue comme étant originale et protégée à ce titre par des droits d’auteur et qu’il soit jugé que l’usage fait de la réplique « Rien à faire, c’est la Maaf qu’il/elle préfère » constitue une adaptation contrefaisante par reproduction et représentation de l’œuvre musicale « C’est la ouate » leur occasionnant des préjudices patrimoniaux et moraux.  

 

En défense, la MAAF a, au contraire, sollicité qu’il soit jugé que la phrase « Rien à faire, c’est la MAAF qu’il/elle préfère » ne constitue pas une contrefaçon de la chanson « C’est la ouate » et qu’elle et son ancienne agence de publicité n’ont pas commis d’actes de parasitisme.

 

La phrase chantée « c’est la ouate qu’elle préfère » est bien originale

La détermination de l’originalité d’une œuvre est importante puisque son auteur jouit de droits de propriété incorporels exclusifs sur celle-ci du moment qu’elle est originale (article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle). Ce droit de propriété est composé d’attributs intellectuels et moraux, mais également patrimoniaux, ce qui permet à son auteur d’être reconnu comme créateur, mais également d’en tirer des profits. 

 

Les demandeurs ont fait valoir que la MAAF avait précédemment admis l’originalité de leur chanson dans le cadre des contrats d’exploitation et que leur œuvre bénéficie d’une présomption d’originalité tant pour sa musique que pour ses paroles. De plus, selon eux, si l’expression « De toutes les matières, c’est la Ouate qu’elle préfère » a été de nombreuses fois parodiée, ces adaptations ne peuvent lui retirer son originalité, notamment du fait du rythme particulier de son prononcé.  

 

En défense, l’ancienne agence de publicité de l’assureur a formellement contesté le caractère original et l’empreinte de personnalité des demandeurs sur la base du seul refrain « De toutes les matières, c’est la Ouate qu’elle préfère…C’est la Ouate ». Puis, s’appuyant sur la jurisprudence constante, l’assureur a considéré que le caractère d’originalité est d’ordre public, échappe à la volonté individuelle des parties et qu’il ne peut se déduire d’un contrat conclu entre les parties. 

 

S’agissant de la charge de la preuve de l’originalité de l’œuvre, les juges ont rappelé qu’aux termes de l’article L. 112-2, 5° du Code de la propriété intellectuelle, les compositions musicales, avec ou sans paroles, sont bien considérées comme des œuvres de l’esprit. Il est de jurisprudence constante que cette protection ne s’applique qu’aux œuvres concrètes et originales (Cass. 1re civ., 11 février 1997, n°95-13.176). Les juges ont retenu, conformément à la jurisprudence (en ce sens, CA Paris, 10 septembre 2008 ; CA Paris, 26 mars 2008), qu’il appartient au demandeur de caractériser l’originalité de l'œuvre dont il demande la protection en justice : « lorsque la protection est contestée en défense, l’originalité doit être explicitée et démontrée par celui qui s’en prétendant auteur, qui doit permettre l’identification des éléments au moyen desquels cette preuve est rapportée […] » (jugement p.9). Ainsi, ils ont estimé qu’il revenait bien aux auteurs de la chanson de démontrer l’originalité de la phrase chantée « de toutes les matières c’est la ouate qu’elle préfère », sur laquelle leur demande en contrefaçon était fondée. 

 

Les demandeurs ont alors avancé que l’originalité de l’expression litigieuse résulte, d’une part, du rythme apporté à cette expression dans la chanson « C’est la ouate » et, d’autre part, de la construction de cette phrase en rimes avec le reste du refrain. Ainsi, la combinaison du rythme de la mélodie et de la succession de rimes traduirait la personnalité de leurs auteurs et donc l’originalité de l’œuvre. Les juges ont accueilli ce raisonnement, si bien qu'il ne pouvait être soutenu « que les caractéristiques de la seule phrase “de toutes les matières c’est la ouate qu’elle préfère “ ne sont pas protégeables » (jugement p.9).

 

« Pour la chanson “C’est la ouate”, seule la combinaison de sa mélodie et de ses paroles peut caractériser une originalité dès lors que nombre de chansons bien plus anciennes utilisent la locution et la structure “C’est […] que je préfère” que ne peuvent pas ni légitimement ni juridiquement revendiquer les auteurs de la chanson des années 80» - Karine Rozenblum, associée au sein du cabinet ABCR Avocats et conseil de la MAAF.

 

Les juges ont considéré que « la combinaison de la phrase “de toutes les matières c’est la ouate qu’elle préfère” avec la mélodie de la chanson dont elle est extraite, est protégeable au titre du droit d’auteur » (jugement p.10), sans qu’ils n’aient à « se prononcer sur l’illégitimité pour les défenderesses à contester aujourd’hui l’originalité d’un apport personnel conventionnellement tenu pour constant par les parties » (jugement p.9).

 

« Ce jugement est, à notre sens, contraire à un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 27 novembre 2001 (pourvoi n°99-20.996) qui avait retenu que les juges du fond n’avaient pas à se prononcer sur l’originalité d’un apport personnel des auteurs d’une œuvre, dès lors que des parties l’ont considéré conventionnellement comme telle pendant des années. Dès lors que la MAAF avait contracté avec les ayants-droits de l’œuvre pendant quinze avec leur autorisation, il est surprenant de retenir que leurs droits d’auteur s’éteignent lorsque la musique est retirée de la publicité et le texte transformé conservé. » - Me Jean-Marie Guilloux, associé au sein du cabinet Guilloux Guesnier et conseil des auteurs.

 

L’originalité de l’œuvre et l’existence d’un droit d’auteur étant caractérisés, il appartenait ensuite aux juges de déterminer si l’assureur et son agence de publicité ont commis un acte de contrefaçon en utilisant de manière parlée l’incise « Rien à faire, c’est la MAAF qu’il préfère » dans ses nouvelles publicités.

 

La reprise de la chute d’une phrase d’une chanson sans la musique ne constitue pas une contrefaçon

Les demandeurs ont estimé que l’utilisation de la réplique « Rien à faire, c’est la Maaf qu’il/elle préfère ! » dans la saga publicitaire de la MAAF, constitue une adaptation non autorisée du refrain de leur œuvre, et donc un acte de contrefaçon, malgré l’absence de reprise de la musique. 

 

Selon les dispositions des articles L. 122-1 et L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle, le droit d’exploitation de l’auteur comprend à la fois son droit de représentation de l’œuvre et son droit de reproduction, compris largement pour inclure la traduction, l’adaptation ou encore la transformation de l’œuvre. Celui qui procède à une représentation ou une reproduction intégrale ou partielle de l’œuvre sans le consentement de son auteur, de ses ayants-droits ou de ses ayants-cause commet ainsi un délit de contrefaçon puni par la loi (article L.335-2 du Code de la propriété intellectuelle).

 

L’assureur, lui, a fait valoir que la phrase poursuivie limitée à la notion de préférence est une phrase banale, déjà largement retrouvée dans des chansons anciennes, utilisant des termes issus du langage courant, prononcée dans une incise parlée, et non chantée et que, par conséquent, selon lui, il n’y a pas de contrefaçon, ni de la chanson « C’est la Ouate » dans son ensemble, ni de l’une de ses phrases. 

 

Il appartenait alors aux juges de déterminer si l’utilisation des phrases « Rien à faire, c’est la Maaf qu’il/elle préfère » et « Rien à faire, c’est la Maaf que je préfère » issues de certains des spots publicitaires de la MAAF constituait une contrefaçon de chanson « C’est la ouate », « c’est-à-dire de la combinaison de la phrase “de toutes les matières c’est la ouate qu’elle préfère” avec la mélodie de la chanson dont elle est extraite » (jugement p.11).

 

Dans ses motifs, le tribunal a rappelé que, bien que « la contrefaçon s’apprécie selon les ressemblances et non d’après les différences, elle ne peut toutefois être retenue lorsque les ressemblances relèvent de la reprise d’un genre et non de la reproduction de caractéristiques spécifiques de l’œuvre première » (jugement, p.11). En l’espèce, les juges ont considéré, d’une part, que « la mélodie qui accompagnait précédemment la phrase dont l’utilisation avait été autorisée par les demandeurs » (jugement p.11) n’avait pas été reprise dans les spots publicitaires et, d’autre part, que seule la chute de la phrase issue de la chanson, c’est-à-dire le verbe préférer conjugué au présent, avait été conservée. Ils en ont alors déduit que « cette seule reprise ne peut être considérée comme la contrefaçon de l’expression litigieuse dans sa combinaison originale, dès lors qu’aucune autre des caractéristiques revendiquées n’a été utilisée. » (jugement p.11). Ainsi, la phrase poursuivie ne serait pas constitutive d’un acte de contrefaçon, dès lors qu’il ne s’agit que de l’utilisation d’une expression courante et la mélodie de la chanson d’origine n’y est pas associée. 

 

« Mes clients ne s’attendaient pas à ce jugement, car la MAAF a sollicité leur accord écrit pendant quinze ans afin de pouvoir reprendre et transformer le refrain de l’œuvre musicale “c’est la Ouate que je préfère” en “c’est la MAAF que je préfère”. Si la MAAF a décidé de ne pas conserver la mélodie de la chanson dans sa nouvelle campagne publicitaire, elle a bien mis en avant dans sa communication que ces nouvelles publicités reprenaient la phrase culte “c’est la MAAF que je préfère” qui avait fait le succès de ses publicités précédentes, et ce, sans solliciter l’accord des ayants-droit. Le tribunal judiciaire de Paris a estimé que, puisque la musique n’est pas reproduite, l'œuvre n’est pas reprise. Or, une chanson est une œuvre de collaboration dont les paroles et la musique sont indissociables, sauf à en faire une utilisation différente. En l’espèce, la destination restait publicitaire, la dissociation retenue par le tribunal constitue donc une première. Il ne faudrait pas que l’on puisse considérer dans le futur que le fait de ne pas reproduire la musique d’une œuvre tout en conservant le texte entraîne la perte d’un degré de protection pour ses auteurs». – Me Jean-Marie Guilloux, associé au sein du cabinet Guilloux Guesnier et conseil des auteurs.

 

Par conséquent, le tribunal judiciaire de Paris a rejeté les demandes des auteurs de la chanson formées au titre des actes de contrefaçon.

 

La locution poursuivie ne constitue pas non plus un acte parasitisme

À titre subsidiaire, les demandeurs ont souhaité que le tribunal judiciaire de Paris reconnaisse que l’assureur et son ancienne agence de publicité avaient commis un acte de parasitisme en reprenant leur chanson à succès. Selon eux, l’utilisation de la phrase « Rien à faire, c’est la Maaf qu’il/elle préfère » constitue un agissement parasitaire susceptible de créer confusion dans l’esprit du public et donne l’impression que la MAAF continue d’avoir leur accord pour exploiter la chanson. L’article 1240 du Code civil permet d’agir en responsabilité civile délictuelle contre ces comportements déloyaux visant à tirer profit de la valeur économique créée par autrui et à obtenir un avantage concurrentiel injustifié.

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En réponse, l’assureur a estimé que la chanson était tombée en « désuétude », ce qui exclut tout acte de parasitisme, qui suppose une atteinte à la valeur économique de l’œuvre et une usurpation de notoriété. Il a en outre expliqué que tous les anciens éléments de sa saga publicitaire type « Palace » ont été abandonnés et qu’il s’était doté d’une nouvelle identité, visuelle, textuelle et mélodique. Ainsi, selon la MAAF, l’expression « c’est la MAAF qu’il/elle préfère », sans reprise de l’air, ni du rythme du refrain de la chanson « C’est la ouate » constitue une expression courante, qui ne peut faire l’objet de droits protégés par la propriété intellectuelle.

 

Les juges ont tout d’abord reconnu qu’il « ne peut être pertinemment contesté que la phrase chantée “De toutes les matières, c’est la Ouate qu’elle préfère” ne constitue pas une valeur économique alors qu’elle a fait l’objet d’une autorisation d’utilisation entre 2004 et 2020 contre le paiement d’une somme forfaitaire […] » (jugement p.13). De plus, la phrase « Y’a rien à faire c’est la MAAF qu’il/elle préfère » dans ses spots publicitaires « traduit la volonté de maintenir le lien avec la campagne précédente, dont il n’est pas contesté qu’elle a grandement participé au succès des services proposés par la MAAF » (jugement p.13). Toutefois, les juges ont considéré le slogan utilisé « en l’absence d’association avec la mélodie » (jugement p.13) ne peut être considéré « comme une valeur économique attribuable aux auteurs de la chanson “C’est la Ouate”, dont il ne reprend que les seuls mots “c’est la () qu’elle préfère” sur lesquels [les demandeurs] ne peuvent exiger de se voir reconnaître un monopole » (jugement p.13) sur cette suite de mots. 

 

Dans sa motivation, le jugement a en outre retenu que « la notoriété de ce slogan, qui justifie sa reprise au sein de la nouvelle campagne publicitaire de la MAAF, est le fruit de ses propres investissements et non de ceux des auteurs, ce qui ne peut être contesté au vu des campagnes publicitaires massives » de l’assureur (jugement p.13).

 

De plus, le tribunal a également accueilli l’argument de l’assureur selon lequel la nouvelle saga publicitaire avait justement eu pour objectif de changer son positionnement afin d’attirer une nouvelle clientèle en s’écartant de manière voulue du sillage de la chanson « C’est la ouate ». 

 

Dès lors, l’expression « rien à faire, c'est la MAAF qu'il/elle préfère » ne témoignerait que de la volonté de l’assureur de maintenir une continuité avec ses publicités précédentes. Aussi, les demandes fondées sur le parasitisme ont également été rejetées.

 

Les demandeurs ont cependant fait part de leur décision d'interjeter appel. Il appartiendra alors à la Cour d’appel de Paris d’apprécier si cette locution parlée sans reprise de la mélodie de la chanson des auteurs est susceptible de caractériser un acte de contrefaçon. 

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Calypso Korkikian

Diplômée de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de Sciences Po, Calypso rédige des contenus pour le Blog Predictice.

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