Synthèse du rapport du CSPLA sur les NFT

18 octobre 2022

9 min

NFT marché de l'art
L’été dernier, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique a publié un rapport sur les NFT. Dans cet article, Anita Delaage évoque les différentes questions soulevées par le CSPLA.

 

Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (ou « CSPLA », une instance consultative chargée de conseiller le Ministère de la culture, notamment sur les nouvelles questions posées aux droits d’auteur et droits voisins par l’essor du numérique) a publié cet été un rapport sur les jetons non fongibles (« non fongible tokens » ou « NFT » en anglais).

 

D’un point de vue général, une réflexion sur les NFT semble nécessaire du fait de l’intérêt grandissant des marchés et du public pour ces derniers (à titre d’exemple, en 2021, le terme a été élu mot de l’année par le dictionnaire anglophone Collins et le volume de transactions réalisées sur la blockchain Ethereum aurait atteint 44 milliards de dollars).

 

Quant à l’implication du CSPLA, elle paraît particulièrement justifiée du fait de l’impact important des NFT sur le milieu culturel, tous secteurs confondus, des arts visuels au cinéma en passant par la musique. En effet, ces derniers créent de nombreuses opportunités, en termes financiers (en créant de la rareté dans le domaine des œuvres numériques, normalement reproductibles à l’infini, les NFT permettent de créer de la valeur), de lien avec le public (les NFT peuvent permettre aux artistes d’atteindre de nouveaux publics, sensibles à des usages plus ludiques) ou encore de contrôle (en facilitant, par exemple le versement de rémunérations dues aux auteurs).

 

Dans une réflexion relativement dense et exhaustive, ne négligeant ni les effets environnementaux ni les enjeux sociaux-économiques liés aux NFT, la commission du CSPLA en charge du rapport tient une position assez prudente, fournissant finalement peu de réponses définitives sur la plupart des questions soulevées mais apportant des pistes de réflexion bienvenues dans l’attente d’éclaircissements législatifs et/ou jurisprudentiels, qu’elle appelle de ses vœux sur le long terme.

 

Dans un souci de synthèse, seront ici principalement détaillées les réflexions du Conseil sur (i) la définition des NFT, (ii) les acteurs impliqués dans leur création et leur échange ainsi que (iii) les droits impactés par l’avènement des NFT, avec un focus sur la propriété intellectuelle.

 

1. Définition du NFT

Comme pour toute innovation, le préalable à l’application d’un quelconque régime est de définir clairement quel est son objet.

 

1.1 Définition technique

Un NFT est défini au sein du rapport comme un « jeton cryptographique émis dans la blockchain associé à un “smart contract“ ».

 

La blockchain est une technologie permettant d’horodater, de stocker et de transférer des informations de manière sécurisée et décentralisée. Elle garantit ainsi aux détenteurs de NFT un titre de droit virtuel (le jeton), unique et infalsifiable sur une ressource (ex : un fichier) que ce titre symbolise.

 

Les smart contracts, quant à eux, sont des programmes informatiques qui, associés à un jeton d’une blockchain, lui confèrent des propriétés et des fonctions qui le rendent unique. Ils contiennent des informations telles que l’adresse de l’émetteur, le nom du jeton, ses propres fonctions ainsi qu’un lien vers le fichier sous-jacent auquel il est rattaché. Les fonctions du smart contract s’exécutent automatiquement, dès que les conditions préalablement codées sont enregistrées sur la blockchain. Il est donc possible d’associer l’activation d’une condition (ex : si une catastrophe naturelle survient) à l’intervention d’un résultat (ex : 10.000€ sont transférés sur le compte d’un assuré).

 

Le processus de création d’un NFT revient donc à associer un objet – réel ou virtuel – à un jeton lui-même associé à un programme (le smart contract) d’une blockchain et y apposer une signature numérique.

 

1.2 Qualification juridique 

Comme le souligne à juste titre le rapport, la qualification juridique des NFT est particulièrement ardue, du fait notamment de la complexité de la technique brièvement décrite ci-dessus.

 

D’emblée, soulignons que le NFT ne bénéficie, à ce jour, d’aucune définition juridique officielle.

 

C’est donc par une appréciation négative de ce que n’est pas un NFT que le CSPLA tente dans un premier temps de définir les contours de cet « objet juridique non identifié ».

 

  • Le NFT n’est pas, sauf rares exceptions, une œuvre

 

Rappel : la doctrine et la jurisprudence s’accordent pour qualifier d’œuvres protégeables les créations répondant aux critères (i) de l’intervention humaine, (ii) de la tangibilité – les idées n’étant pas protégées tant qu’elles n’ont pas été mises en forme – et (iii) d’originalité – condition remplie lorsque la création exprime la personnalité de son auteur ou est marquée d’une intention intellectuelle de sa part, traduite par des choix personnels.

 

Il est essentiel de conserver à l’esprit que le NFT ne contient en principe pas l’œuvre. Ainsi, même si cette dernière est susceptible d’être protégée par le droit de la propriété intellectuelle, cela n’a pas d’impact sur la qualification du jeton. Pour accéder à la qualification d’œuvre protégeable, le NFT devrait lui-même être considéré comme original, ce qui parait particulièrement compliqué, sa création relevant d’un processus de codage informatique fortement contraint et automatisé.

 

Ainsi, sauf les rares cas où le NFT contiendrait l’œuvre (par exemple dans le cas des œuvres « onchain » précise le rapport) ou alors si le développeur du smart contract a codé de manière particulièrement originale, le CSPLA rejette l’idée qu’un NFT puisse être considéré comme une œuvre.

 

  • Le NFT n’est, normalement, pas le support d’une œuvre

Le rapport entre le NFT et l’œuvre ne correspond qu’à la présence d’un lien accompagné, le cas échéant, d’une adresse web vers sa reproduction ou sa représentation. Ainsi, le jeton paraît difficilement pouvoir être qualifié de support. Toutefois, cela pourrait être différent dans le cas précis où le NFT inclut bien l’œuvre qui n’existerait pas indépendamment du jeton.

 

  • Le NFT n’est pas un certificat d’authenticité

 

Le CSPLA souligne que le NFT est technologiquement neutre et ne consacre donc pas l’authenticité de ce qu’il contient.

 

La mission tente ensuite de définir ce que pourrait être un NFT :

 

  • Le NFT pourrait être considéré comme un contrat

 

Une sous-division doit être effectuée dans l’analyse du NFT comme contrat :

 

En l’absence de conditions générales d’une plateforme ou de conditions particulières qui lui seraient associées.

 

Dans ce cas, il paraît difficile de considérer que le NFT, par le seul biais du smart contract qui lui est attaché a une valeur contractuelle.

 

En effet, malgré son nom, le smart contract ne contient quasiment jamais les éléments auxquels les parties s’obligent.

 

En présence de conditions générales.

 

Dans ce cas, le smart contract peut être considéré comme un accessoire au contrat principal et constitue un mode d’exécution des conditions générales de la plateforme en question.

 

En présence de conditions particulières.

 

Dans ce cas, il est possible de considérer que l’ensemble formé par le smart contract et les conditions particulières auxquelles il renvoie a bien une valeur contractuelle.

 

Dans tous les cas, il est tout de même rappelé que, pour être contraignant, le contrat doit être compréhensible par les deux parties. Ainsi, le cas où il serait rédigé sous forme de code dans un langage informatique dont la compréhension suppose des capacités techniques particulières peut interroger.

 

  • Le NFT pourrait être considéré comme un instrument de gestion des droits

 

Rappel : l’article L331-5 du Code de la propriété intellectuelle (ou « CPI ») encadre, en substance, la mise en place de mesures techniques empêchant ou limitant les utilisations non autorisées d’œuvres.

 

Pour le CSPLA, les NFT pourraient, en théorie, jouer ce rôle de verrou technique même si, en pratique, cela ne semble pas être le cas.

 

Rappel : l’article L331-11 du CPI prévoit, en substance, la protection des informations concernant le régime des droits afférents à une œuvre, c’est-à-dire les informations permettant de l’identifier, elle ou son titulaire, ainsi que les informations sur ses conditions et modalités d’utilisation.

 

On pourrait alors considérer que les NFT contiennent de telles mesures.

 

  • Le NFT pourrait être considéré comme un titre de droits

 

Le rapport souligne que le NFT peut être assimilable à un bien meuble incorporel, qui correspond à un titre de propriété sur le jeton inscrit dans la blockchain, auquel peuvent être associés d’autres droits sur le fichier numérique vers lequel il pointe.

 

Cette définition s’accorderait par ailleurs avec l’ambition des NFT de devenir l’avenir de la propriété notamment dans les métavers.

 

Finalement, le Conseil opte, à ce stade (laissant la porte ouverte à une évolution), pour une qualification juridique « souple » du NFT comme « un titre de droit sur un jeton mais aussi sur un fichier, dont l’objet, la nature et l’étendue varie en fonction de la volonté de son émetteur exprimée par les choix techniques et éventuellement juridiques associés au smart contract ».

 

Cette qualification entraîne plusieurs conséquences, notamment fiscales et réglementaires.

 

Si, à terme, une qualification juridique certaine, si besoin ad hoc, pourra permettre d’apporter des réponses claires, dans l’attente, la mission propose d’assimiler les NFT à des actifs numériques.

 

Cela permet d’appliquer, en termes de fiscalité directe, le régime des plus-values réalisées par des particuliers ou celui des bénéfices non commerciaux en fonction de la qualification professionnelle ou non professionnelle des opérations.

 

En matière de fiscalité indirecte, la vente de jeton est a priori soumise à la TVA au taux normal, dès leur production, sur la base de leur valeur à ce moment-là.

 

La réglementation financière, est également un point crucial tant les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme associés aux NFT, notamment dans le domaine de l’art, sont élevés. Pourtant, une nouvelle fois, la grande diversité des jetons existants rend très difficile une approche globale. Ceci dit, la commission semble accepter que les acteurs du monde des NFT, lorsqu’ils rentrent dans la qualification d’actifs numériques, peuvent être soumis à certaines obligations pesant sur les prestataires de services sur actifs numériques (enregistrement auprès de l’AMF, etc.).

 

2. Présentation et problématiques liées aux acteurs opérant sur le marché des NFT

 

2.1 Les titulaires de droits

 

La place des auteurs ou de leurs ayants droit, centrale dans la gestion des NFT « rattachés » à des œuvres, implique la distinction entre plusieurs situations :

 

  • L’association de NFT à des œuvres « natives » du crypto-art par l’artiste.

Celle-ci ne pose pas de problème particulier. Si l’artiste émet le NFT et procède à la définition des clauses contractuelles du smart contract, il n’y a pas de raison de conclure que ses droits ne seraient pas respectés.

 

  • L’association de NFT par les auteurs à leurs œuvres « non natives ».

 

Dans ce cas, le principal point de vigilance concerne les cas de cession antérieure des droits.

 

Rappel : l’auteur a la possibilité de céder tout ou partie de ses droits patrimoniaux sur ses œuvres par le biais d’un contrat dont le contenu est strictement encadré par l’article L131-3 du CPI.

 

Les NFT n’ayant pas été prévus dans les anciens contrats de cession, le rapport prévoit un certain nombre de litiges à venir à ce sujet. Ainsi, une bonne pratique est désormais de penser à les y intégrer.

 

  • L’association de NFT à des œuvres « tombées dans le domaine public ».

 

Rappel : contrairement aux droits moraux (qui perdurent indéfiniment), les droits patrimoniaux dont jouissent les auteurs s’éteignent 70 ans après leur décès.

 

Dans ce cas, le droit d’auteur ne devrait pas poser de problème, sous réserve de respecter leur droit moral de l’auteur et les potentiels droits voisins dont pourraient jouir d’autres participants (interprètes, etc.).

 

  • L’association de NFT à des œuvres protégées par d’autres personnes que l’auteur.

    Il s’agit du cas le plus complexe. Il est alors nécessaire d’identifier le(s) titulaire(s) de droit sur l’œuvre.

 

2.2 Les plateformes d’échange

 

Rappel : aussi bien au niveau européen que national, les acteurs du numérique qui démontrent qu’ils n’ont qu’un rôle passif dans l’échange d’informations bénéficient d’un régime allégé de responsabilité.

 

En outre, aux termes de la directive 2019/790/UE le fournisseur de services de partage de contenus en ligne est le fournisseur d'un service de la société de l'information dont l'objectif principal ou l'un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public l'accès à une quantité importante d'œuvres protégées par le droit d'auteur ou d'autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs, qu'il organise et promeut à des fins lucratives. L’article 17 de ce même texte fait peser sur ces acteurs des obligations particulières en termes de protection du droit d’auteur (tentative d’obtention d’une autorisation des titulaires de droit, etc.).

 

Les plateformes d’échange de NFT se revendiquent en général comme des places de marché mettant en relation les vendeurs et acheteurs de jetons, ce qui leur permet dans une large mesure de limiter leur responsabilité en termes de violation de droit d’auteur à compter du moment où elles retirent promptement le contenu lorsque celui-ci leur est notifié.

 

La mission met cependant en doute ce rôle de « simple » intermédiaire technique, soulignant que, d’un point de vue pragmatique, elles constituent actuellement les seuls sites où sont exposés ensemble et de manière aisément accessible les fichiers numériques associés aux NFT et qu’elles peuvent jouer un rôle actif dans la production du jeton, en proposant même dans de nombreux cas de l’inscrire elles-mêmes dans la blockchain. De plus, ce sont elles qui permettent les transactions en euros, prennent en charge la conversion et assument le versement des commissions prévues par le smart contract  lors des transactions successives.

 

On peut donc légitimement s’interroger sur leur rôle dans l’acte de communication au public ou de mise à disposition du public des contenus potentiellement illicites. 

 

Se pose aussi la question de l’application du nouveau régime de responsabilité en matière de protection des droits d’auteur à l’encontre des fournisseurs de service de partage de contenus en ligne puisqu’une grande partie de l’activité de ces plateformes consiste à exposer les NFT mis en vente sous la forme de « galeries numériques ».

 

Pourtant, sur ce point, la mission est plus nuancée. Les plateformes pourraient en effet être considérées comme des « places de marché en ligne », ces dernières étant explicitement exclues du champ d’application de la directive. En outre, il n’est pas certain que leur objectif principal est bien de stocker et donner au public l’accès à une quantité importante d’œuvres protégées, surtout que les différentes plateformes opérant actuellement sur le marché se présentent différemment. Une fois de plus, compte tenu de la diversité des plateformes, il est difficile d’apporter une réponse univoque.

 

2.3 Les utilisateurs

 

Un des enjeux importants, en plus de la sécurité des plateformes ainsi que leur pérennité (qu’adviendra-t-il des jetons si les plateformes d’échange disparaissent ?), repose sur la sécurité utilisateurs (qui sont aujourd’hui la cible de nombreuses escroqueries).

 

Plus précisément, lorsque l’utilisateur est un consommateur (à savoir, en droit français, toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, peu important par ailleurs son niveau de compétence et d’expertise), le droit français exige qu’il soit particulièrement protégé, ce qui peut aller à l’encontre de la culture très libertaire de la blockchain qui, comme le souligne la commission, repose sur le principe du « DYOR » (do your own research).

 

3. Droits impactés par les NFT

 

Rappel : conformément aux articles, L121-1 et suivants du CPI, les auteurs jouissent sur leurs œuvres de droits moraux (droit au respect de l’œuvre, droit à la paternité, etc.) et droits patrimoniaux (principalement droits de reproduction et de représentation).

 

De manière attendue, le CSPLA rappelle que la production, l’émission et la circulation des NFT associés à des œuvres protégées sont pleinement soumises au respect du droit de la propriété intellectuelle.

 

Si la production (entendue comme l’opération consistant à créer un jeton et un fichier numérique destiné à lui être associé) du NFT au sens strict, puisqu’il ne contient pas l’œuvre, n’est pas en elle-même soumise au respect des droits d’auteur, elle nécessite toutefois que l’œuvre soit reproduite pour qu’un lien puisse être établi entre elle et le jeton. Cependant, cette reproduction devrait, si elle en respecte les critères, entrer dans l’exception de copie privée, prévue à l’article L122-5 du CPI, impliquant que le jeton devrait pouvoir être produit sans accord de l’auteur. 

 

Par ailleurs, concernant la possibilité de considérer une telle reproduction comme une dénaturation, le CSPLA prend une position assez classique, estimant que seuls les cas où le fichier numérique n’est pas une copie fidèle ou une copie de mauvaise qualité pourraient être considérés comme portant atteinte au droit moral des auteurs.

 

En revanche, l’émission (entendue comme l’association du fichier numérique au smart contract du jeton inscrit dans la blockchain via un lien URL) du NFT associé au fichier numérique créé suppose l’accord indispensable de l’auteur ou de ses ayants droit, au titre de leur droit de reproduction (dès lors que le smart contract associé au fichier est frappé dans la blockchain, l’émetteur du NFT ne peut plus bénéficier de l’exception de copie privée s’il destine son jeton à de futures transactions), et de leur droit de représentation (dans la mesure où le fichier numérique associé au NFT a vocation à être communiqué au public, a minima sur la plateforme d’échange).

 

Une fois l’application de ces droits établie, se pose la question de leur épuisement.

 

Rappel : Conformément à l’article L122-3-1 du CPI, « dès lors que la première vente d'un ou des exemplaires matériels d'une œuvre a été autorisée par l'auteur […], la vente de ces exemplaires de cette œuvre ne peut plus être interdite […] ».

 

S’appuyant sur les conclusions d’un ancien de ses rapports, le CSPLA estime que « la mise à disposition d’une œuvre aux fins de téléchargement ne relève pas du droit de distribution, en sorte qu’aucun épuisement ne saurait lui être opposé et qu’il ne peut être procédé à la “revente” de fichiers d’œuvres protégées sans porter atteinte aux droits de reproduction et de communication au public y afférent »

 

Aussi, la fourniture par téléchargement, via le NFT, d’un fichier numérique relèverait du droit de « communication au public », qui ne peut pas faire l’objet d’un épuisement des droits.

 

Les cessions et revente des NFT ne sont par ailleurs pas en reste.

 

Si la création « sauvage » de NFT sur une œuvre sur laquelle on ne détient pas de droit n’est pas légale, c’est bien lors des ventes et acquisitions successives que le risque d’atteintes à la propriété intellectuelle est le plus important.

 

En effet, dans la majorité des cas, le premier acheteur d’un NFT ne se voit pas transférer les droits sur le fichier numérique associé au NFT dont il détient le titre de propriété. Le NFT ne permet qu’un accès au fichier et, sans véritable cession de droits ou de licence, par exemple par le biais d’un lien dans le smart contract renvoyant vers un contrat en bonne et due forme, seul un usage privé, excluant toute exposition sur les réseaux sociaux et les métavers, est possible. 

 

Mais même dans ce cas, rien n’empêche le détenteur initial d’un NFT qui en aurait acquis les droits de les revendre à des tiers puis de revendre le NFT à un nouvel acquéreur qui ne sera pas informé de cette cession et pourra penser qu’il a acheté l’ensemble des droits associé au NFT. En réalité, les possibilités d’imbroglios juridiques sont nombreuses.

 

Une des solutions envisagées par la mission est la conclusion d’un contrat de licence attribuant aux seuls détenteurs successifs de NFT le droit d’exploiter l’œuvre, sans dissocier ce droit de la possession du jeton, ce qui aurait le mérite d’attribuer des droits réels à tout détenteur de NFT, et non au détenteur initial.

 

Ces reventes successives interrogent également sur l’application du droit de suite.

 

Pour rappel : Aux termes de l’article L122-8 du CPI, les auteurs de certaines œuvres graphiques et plastiques ont le droit de percevoir une rémunération sur chaque revente de leur travail.

 

Le Conseil apporte alors 2 précisions :

 

  • Les jetons ou les fichiers qui leurs sont associés pourraient théoriquement donner prise au droit de suite, à condition évidemment d’en respecter les conditions, notamment de n’être conçus qu’à 12 exemplaires
  • Les smart contracts pourraient constituer un outil de mise en œuvre effective du droit de suite, s’ils pouvaient intégrer l’application automatique de son paiement lorsque les conditions sont réunies (implication d’un professionnel du marché de l’art dans l’opération, etc.)

Une fois établie la liste des droits, la commission se penche sur leur mise en œuvre concrète. En effet, comme souvent avec l’évolution de la technologie, assurer le respect des règles peut être compliqué. 

 

D’un point de vue purement juridique, l’absence de territorialisation de NFT et la présence dans les CG des plateformes d’achat et de vente de clauses attributives de juridiction et de loi applicable, la plupart du temps à l’étranger, ne simplifie pas l’application des droits. Cependant, le CSPLA souligne que cela ne signifie pas que le droit français ne trouvera pas à s’appliquer à des jetons associés à des œuvres rattachés à la France, par exemple du fait de la nationalité de leur auteur.

 

Techniquement, identifier le potentiel contrefacteur est un autre challenge compliqué dans l’univers de la blockchain qui favorise l’anonymat.

 

La commission suggère notamment, pour assurer l’effectivité d’une sanction à l’encontre d’un NFT, de le « brûler » (burn), opération consistant à l’envoyer vers une adresse inutilisable dont on ne détient pas la clé privée, ce qui permet d’empêcher son transfert ou sa modification soit le fait d’actionner une fonction du smart contract et qui permet d’empêcher définitivement son transfert vers une autre adresse publique. 

 

Ces solutions nécessitent cependant que des actions soient prises au préalable (création d’une adresse inutilisable vers laquelle renvoyer les œuvres considérées comme contrefaisantes, imposition de certaines fonctionnalités dans les smart contract)  pour permettre leur mise en œuvre.

 

En outre, si le NFT peut être « neutralisé », ce n’est pas le cas du fichier contrefaisant, qui n’est pas concerné par le « burn ». Il convient alors de la réaliser une opération distincte d’« unpin » (qui peut s’apparenter à une sorte de déréférencement).

 

On peut ainsi d’ores et déjà noter l’intérêt que pourraient représenter ces contrats en termes de propriété intellectuelle, en automatisant le versement des redevances. Le rapport note pourtant qu’à ce jour, cette automatisation est quasi-inexistante, même si certaines plateformes ont, a minima, développé un standard technique de smart contract qui permet de signaler le taux de redevance et son destinataire, même si le transfert de fonds proprement dit n’est pas automatique.

 

Conclusion

 

Comme le souligne le rapport, les NFT repensent le rapport à l’art, interrogeant les concepts même de possession et de propriété. Particulièrement difficiles à appréhender, ils doivent tout de même être régulés.

 

Le Conseil termine donc son rapport avec une liste de propositions ayant pour objectif de sécuriser le dispositif pour tirer pleinement profit de cette innovation dans le secteur culturel en cohérence avec les grands objectifs de la politique culturelle. Celles-ci contiennent notamment des suggestions en termes d’information des différents acteurs, de qualification législative des NFT, le développement d’outils permettant une plus grande transparence sur le marché des NFT, la prise en compte des impacts environnementaux.

 

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Anita Delaage

Anita Delaage est avocate au Barreau de Paris et exerce en droit de la propriété intellectuelle et du numérique. Elle est également chargée d’enseignement à Paris-Dauphine, SUPDEPROD, l’ELIJE et à l'ESG

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