Est frauduleux le dépôt d’une marque par une entreprise qui avait connaissance de la procédure de reconnaissance d’une IGP (TJ Lyon, 5 avril 2022).
Le consortium des salaisons d’Auvergne, association chargée de la défense et de la protection de l’IGP « Saucisson sec d’Auvergne / Saucisse sèche d’Auvergne », a assigné l’un de ses adhérents fondateurs devant le tribunal judiciaire de Lyon afin de demander l’annulation d’une marque. En effet, ce membre avait déposé à l’INPI la marque semi figurative « Louis Auvergne » en 1998, soit antérieurement à la reconnaissance de l’IGP, mais postérieurement au processus qui visait à obtenir cette protection et dont il avait connaissance.
Le consortium reprochait à l’entreprise d’avoir déposé frauduleusement cette marque concomitamment au processus de reconnaissance de l’IGP afin d’utiliser la dénomination « Auvergne » pour des produits ne pouvant satisfaire aux critères de l’IGP. Le défendeur considérait, pour sa part, que la marque « Louis Auvergne » avait été déposée antérieurement au dépôt de la demande de protection de l’IGP auprès de la Commission européenne, de sorte que sa bonne foi ne pouvait être remise en cause.
« Dans cette affaire l’INAO et le Consortium des Salaisons d’Auvergne sollicitaient à titre principal l’annulation pour fraude et l’interdiction d’usage par un producteur de saucissons de la marque “Louis Auvergne” déposée et exploitée pour des saucissons ne bénéficiant pas de l’IGP “Saucisson sec d’Auvergne”. Le Tribunal, après examen méticuleux des circonstances de l’espèce, annule la marque "Louis Auvergne" constatant que celle-ci avait été déposée frauduleusement, en 1998, en connaissance par son déposant du projet de future reconnaissance de l’IGP "Saucisson sec d’Auvergne", intervenue en 2015, soit presque 20 ans après ce dépôt de marque. » - Maître Emmanuel Baud, associé du cabinet Jones Day, conseil de l’INAO et de l’association Consortium des Salaisons d’Auvergne.
LIRE LA DECISION >> Tribunal judiciaire de Lyon, 5 avril 2022 n° 18/11459
La connaissance de la procédure de reconnaissance de l’IGP caractérise le dépôt frauduleux de la marque
Pour faire droit à la demande tendant à l’annulation de la marque, le tribunal considère que : « L'annulation d'une marque pour fraude ne suppose pas la justification de droits antérieurs sur le signe litigieux mais la preuve d'intérêts sciemment méconnus par le déposant. L'appréciation du caractère frauduleux du dépôt commande de prendre en considération tous les facteurs pertinents propres au cas d'espèce et existants au moment du dépôt, notamment la connaissance qu'avait le déposant de l'usage antérieur d'un signe identique ou similaire pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux visés à l'enregistrement, son intention d'empêcher le tiers d'utiliser ce signe ou de lui opposer sa marque par la suite et le degré de protection juridique dont bénéficie le signe antérieur » (TJ Lyon, 5 avril 2022, p. 7).
Le tribunal précise par ailleurs que l’exception de l'article 14.2 du règlement n° 1151/2012 qui organise la coexistence entre une marque antérieure et une appellation d’origine : « ne peut être retenue qu’au bénéfice du déposant de bonne foi ». Or ce dépôt intervenu en 1998, soit trois après la demande d’Indication Géographique Protégée permet au déposant de s’aménager une protection afin d’apposer la dénomination « Auvergne » pour ses produits ne correspondant pas au cahier des charges de l’IGP. Le tribunal estime donc que le dépôt de la marque est frauduleux dans la mesure où le déposant faisait partie de l’organisme qui avait initié la procédure de reconnaissance de l’AOP de sorte qu’il en avait nécessairement connaissance.
Cette décision est conforme à la jurisprudence du tribunal qui avait annulé le 2 août 2017 une marque déposée frauduleusement en connaissance de la procédure de reconnaissance de l’AOC Mâconnais. Dans cette affaire, le tribunal s’était fondé sur les nombreux articles de presse qui avait évoqué cette procédure pour dire que le producteur de fromage ne pouvait ignorer la reconnaissance future de l’AOC (TGI Lyon, 2 août 2017).
Le tribunal estime enfin que le défendeur ne peut se fonder sur la marque « Établissements Philis/Louis Auvergne Salaisonnier » déposée en 1988 pour soutenir l’existence d’un droit antérieur à la procédure de reconnaissance de l’IGP. Le tribunal considère en effet que cette marque est trop éloignée dans ses termes de la marque déposée dix ans plus tard. Le défendeur ne peut donc pas soutenir qu’il a exploité la marque « Louis Auvergne » de façon ininterrompue et sous forme identique entre 1988 et 1998.
La mention précisant que le produit ne relève d’aucune dénomination géographique ne permet pas d’écarter la contrefaçon
Le tribunal fait également droit à la demande visant à reconnaître que le dépôt et l’exploitation du signe « Auvergne » est un acte constitutif de contrefaçon. En effet, l'article 13 .1, du Règlement 1151/2012 du 21 novembre 2012 protège les IGP contre toute évocation : « même si l'origine véritable des produits ou des services est indiquée ». Le fait d’utiliser le terme « Auvergne » pour désigner des produits comparables aux produits protégés par l’IGP caractérise donc la contrefaçon. En revanche, pour les autres produits visés au dépôt de la marque (notamment les poissons et volailles) la contrefaçon ne peut être retenue. Ainsi, le tribunal estime que : « Associé à la vente de saucissons, alors que l'IGP a été reconnue pour les saucissons secs d'Auvergne/saucisses sèches d'Auvergne, le terme « AUVERGNE » inclus dans l'expression l'exploitée « Louis AUVERGNE » constitue une évocation illicite de l'IGP « Saucisson sec d'Auvergne/Saucisse sèche d'Auvergne » (TJ Lyon, 5 avril 2022, p. 12)
« Le tribunal reconnaît la contrefaçon de l’IGP du fait de l’utilisation du signe "Louis AUVERGNE" pour des produits ne relevant pas de l’IGP, nonobstant l’emploi sur leur emballage de la mention "Produit ne relevant d'aucune dénomination géographique". Le Tribunal relève, comme son homologue parisien dans l’affaire "L’Ermitage", que cette circonstance est inopérante au regard des textes et de la jurisprudence européens » - Maître Emmanuel Baud, associé du cabinet Jones Day, conseil de l’INAO et de l’association Consortium des Salaisons d’Auvergne.
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Le tribunal condamne donc le défendeur à réparer le préjudice subi par l’INAO et l’association Consortium des Salaisons d’Auvergne du fait de ces actes de contrefaçon. Il accède également à la demande du consortium de voir réparer son préjudice moral subi du fait des tensions internes nées de cette procédure initiée contre l’un de ses membres « historique ». Il rejette en revanche la demande du chef de concurrence déloyale considérant que l’atteinte à l’IGP a été indemnisée sur le terrain de la contrefaçon et que les demandeurs ne démontrent pas l’existence de faits distincts.
« Le Tribunal ordonne, lui aussi sous le bénéfice de l’exécution provisoire, l’interdiction de la poursuite des agissements contrefaisants, le retrait des circuits commerciaux des produits litigieux, diverses mesures de publication. Enfin le Tribunal condamne le défendeur au paiement, au profit de l’INAO et du Consortium des Salaisons d’Auvergne, de sommes provisionnelles conséquentes dans l’attente de la détermination de l’entier préjudice subi par l’INAO et le Consortium après communication par les Établissements Philis des éléments économiques permettant de déterminer ce préjudice. Cette décision est susceptible d’appel » - Maître Emmanuel Baud, associé du cabinet Jones Day, conseil de l’INAO et de l’association Consortium des Salaisons d’Auvergne.
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Juriste et entrepreneur, Pierre-Florian est rédacteur pour le Blog Predictice.