La décision du TUE fait resurgir l’interminable saga entre l’éditeur français titulaire de la marque « Ballon d’Or » et la société Golden Balls, bien que cette dernière n’ait été que partie intervenante.
La demande de déchéance formée par Golden Balls
1. La marque « Ballon d’or » (trophée attribué au meilleur joueur de football de l’année) jouit d’une renommée, qui a déjà été confirmée par la chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) dans une précédente décision, lorsqu’elle a rejeté la demande d’enregistrement de la marque postérieure « Golden Balls » pour l’ensemble des produits et des services liés au domaine du sport. (Chambre de recours de l’EUIPO du 5 août 2019 aff. R. 335/2019-4).
À titre de rappel, en 2004, l’éditeur français, détenteur des droits rattachés au « Ballon d’Or », a fait une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne auprès de l’EUIPO, du signe verbal « Ballon d’Or ».
Cet enregistrement concernait notamment, les produits de l’imprimerie, les livres, revues, magazines, ainsi que les services de télécommunication, d’émissions télévisées, d’organisation de compétitions sportives et de remises de trophées, de divertissement, de publication de livres, magazines revues et journaux, montage de programmes radiophoniques et de télévisions, de production de spectacles ou de films.
En septembre 2017, la société britannique Golden Balls a présenté à l’EUIPO une demande de déchéance de la marque « Ballon d’Or », pour défaut d’usage réel et sérieux, sur le fondement de l’article 58-1 a) du règlement sur la marque de l’Union européenne.
Le 7 juin 2021, l’EUIPO a prononcé la déchéance de la marque « Ballon d’Or » pour l’ensemble des produits et des services pour lesquels celle-ci avait été enregistrée, pour défaut d’usage sérieux de la marque, à l’exception des « activités sportives, à savoir l’organisation de compétitions sportives et de remises de trophées, les produits de l’imprimerie, livres, magazines ».
3. La société éditrice française a ainsi formé un recours devant le TUE contre la décision de l’EUIPO, en ce qu’il a prononcé la déchéance de la marque « Ballon d’Or » pour les services de « diffusion de programmes de télévision », « d’émissions télévisées », de « divertissement », de « publication de livres, magazines, revues et journaux », de « montage de programmes de télévision », de « production de spectacles » et de « films ».
4. Le Tribunal rappelle, dans son arrêt, les dispositions des articles 18 et 58 du Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne, qui prévoient que l’absence d’usage sérieux d’une marque, sans justes motifs, pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et pendant une période ininterrompue de cinq ans, emporte la déchéance des droits de son titulaire.
Les mêmes dispositions se retrouvent également à de l’article L.714-5 du Code de la propriété intellectuelle.
La décision du TUE rendue à l'aune des principes jurisprudentiels relatifs à la nécessité de l'usage sérieux d'une marque et à sa preuve
Le Tribunal rappelle le caractère sérieux de l'usage d'une marque de l'Union européenne
À l’appui de son recours, la société éditrice française invoque un moyen unique tiré de la violation des dispositions de l’article 58 du Règlement sur la marque de l’Union européenne.
La société éditrice française estime que l’EUIPO a commis une erreur de droit en considérant, d’une part, qu’elle n’a pas démontré l’usage sérieux de la marque pour les services relevant de la classe 38, à savoir, les services de diffusion de programmes télévisés, d’émission de télévision, et de services de télécommunication en général.
Elle considère, d’autre part, que l’EUIPO n’a pas non plus démontré l’usage sérieux de la marque pour les services relevant de la classe 41, à savoir, les services de divertissement, de montages télévisés, de programmes de télévision, de production de spectacles et de films, de publication de livres, magazines, revues et journaux.
2. En réponse à son recours, le Tribunal rappelle les principes consacrés par la jurisprudence sur la nécessité de l’usage sérieux d’une marque de l’Union européenne et de sa preuve (Point 21 à 25).
2.1. En effet, il rappelle dans un premier temps que l’objectif des dispositions réglementaires susvisées, imposant l’exigence d’un usage sérieux d’une marque pour être protégée, « réside dans le fait que le registre de l’EUIPO ne saurait être assimilé à un dépôt stratégique et statique conférant à un détenteur inactif un monopole légal indéterminé » (Point 21).
Au contraire, le Tribunal souligne le fait que le registre doit refléter fidèlement l’utilisation effective de la marque sur le marché afin de distinguer ses produits et services dans la vie économique (arrêt du 11 avril 2019, Fomanu/EUIPO – Fujifilm Imaging Germany T-323/18). (Point 21)
LIRE LA DÉCISION >> Tribunal de l'Union européenne, 11 avril 2019, Fomanu/EUIPO – Fujifilm Imaging Germany, T-323/18
Comme le précisent justement certains, « il est impératif que le droit des marques ne se transforme pas en arme anticoncurrentielle au profit de son titulaire » (Yann Basire, Les Grands arrêts de la propriété intellectuelle, 2020).
2.2. Dans ses points 22 et 23, le Tribunal, se réfère à la jurisprudence constante, en précisant la signification de l’usage sérieux d’une marque de l’Union européenne.
En effet, au sens de l’article 58 du Règlement sur la marque européenne, la marque doit être utilisée conformément à sa fonction essentielle, qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée et qui doit être exploitée commercialement dans la vie des affaires (arrêt du 3 juillet 2019, Viridis Pharmaceutical/EUIPO, C-668/17 P, EU:C:2019:557).
Ainsi, il revient aux juges et à l’administration d’apprécier, au cas par cas, le caractère sérieux de l’usage de la marque, en prenant en considération l’ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l’exploitation commerciale de la marque dans la vie des affaires. Ces faits et circonstances recouvrent notamment les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l’étendue et la fréquence de l’usage de la marque (arrêt du 4 avril 2019, Hesse et Wedl & Hofmann/EUIPO, T-910/16 et T-911/16, EU:T:2019:221; arrêt du 8 juillet 2004, Sunrider/OHMI – Espadafor Caba , T-203/02, EU:T:2004:225).
Le Tribunal rappelle également aussi la nécessité d’apporter la preuve de l’usage sérieux
Dans les points 24 et 25, le Tribunal rappelle le principe selon lequel il est attendu du titulaire d’une marque de rapporter des preuves d’usage pour l’ensemble des produits et services désignés dans les registres. À défaut de preuve, une déchéance partielle des droits est prononcée pour les produits ou services pour lesquels aucune preuve n’aurait été rapportée (article 58-2 du Règlement sur la marque de l’Union européenne).
En effet, la preuve doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une utilisation effective et suffisante de la marque sur le marché concerné. (arrêts du 12 décembre 2002, Kabushiki Kaisha Fernandes/OHMI – Harrison T-39/01, EU:T:2002:316, et du 6 octobre 2004, Vitakraft-Werke Wührmann/OHMI – Krafft T-356/02, EU:T:2004:292).
LIRE LA DÉCISION >> Tribunal de l'Union européenne, 6 octobre 2004, Vitakraft-Werke Wührmann/OHMI – Krafft, T-356/02
Le Tribunal rappelle que la preuve peut être apportée en produisant des emballages, des étiquettes, des barèmes de prix, des catalogues, des factures, des photographies, etc.
Par conséquent, c’est à l’aune de ces principes que le TUE a prononcé la déchéance partielle de la marque « Ballon d’Or ».
La déchéance partielle de la marque « Ballon d’Or »
La déchéance pour la marque, pour les services de télécommunication, de montage de programmes de télévision, de production de spectacles et de films, de publication de livres, magazine, revues et journaux
1. Avant d’apprécier si le titulaire de la marque a ou non fait un usage sérieux de sa marque, le Tribunal interprète selon une jurisprudence constante, la liste des produits et services pour lesquels la marque est enregistrée.
2. En effet, le Tribunal constate qu’il ressort de la description des services relevant de la classe 38, que la diffusion de programmes télévisés faisant partie des services de télécommunication, doivent tous permettre à au moins une personne de communiquer avec une autre par un moyen sensoriel.
Or, le Tribunal confirme que la société éditrice française n’avait pas démontré entretenir un réseau de télécommunication utilisable par des tiers et constate donc l’absence de preuve de l’usage sérieux des services susvisés.
Il en est de même pour les services de « montage de programmes de télévision », de « production de spectacles » et de « production de films », relevant de la classe 41 et pour les services de « publication de livres, magazines revues et journaux.
Le Tribunal affirme que la marque « Ballon d’Or » n’a pas été proposée à des tiers sur ce marché de services, afin de créer des débouchés dans le cadre d’une utilisation publique et extérieure de cette marque.
En effet, le Tribunal se réfère à la jurisprudence constante, concernant la qualification des services de « montage de programmes de télévision », de « production de spectacles » et de « production de films », relevant de la classe 41. Il a déjà été jugé que « les services de montage et de production de programmes télévisés ainsi que les services de production de spectacles s’adressaient aux professionnels du secteur de l’audiovisuel » et, s’agissant en particulier des services de production, qu’ils s’adressaient notamment aux auteurs ou aux réalisateurs de films (arrêt du 2 octobre 2013, Cartoon Network/OHMI – Boomerang TV (BOOMERANG), T-285/12 et arrêt du 24 mai 2011, Space Beach Club/OHMI – Flores Gómez (SpS space of sound)).
LIRE LA DÉCISION >> Tribunal de l'Union Européenne, 24 mai 2011, n° T-144/10
Or, le Tribunal a constaté que la société éditrice française ne démontrait pas, en l’espèce, avoir fourni ou proposé de tels services de montage et de production sur le marché sous la marque contestée.
En effet, selon le Tribunal, le montage et la production du concours « Ballon d’or » par la société éditrice française, en vue de sa diffusion à la télévision et sur Internet « n’impliquent pas en tant que tels que l’usage sérieux de la marque a été établi pour des services de « montage de programmes de télévision », de « production de spectacles » et de « production de films » fournis sur le marché desdits services ». (Point 68)
Le Tribunal reprend l’argument de l’EUIPO, selon lequel le montage et la production du concours « Ballon d’Or » constituent plutôt des actes d’exploitation du service d’organisation du concours fourni par la société éditrice.
Ainsi, la société éditrice n’a pas fourni à des tiers, ni des services de montage de programmes de télévision, ni des services de production de spectacles et de films, ni même des services de publication de livres, magazines, revues et journaux sous la marque « Ballon d’Or ».
Concernant les services de publication de livres, magazines, revues et journaux, le Tribunal reprend l’argument soulevé par l’EUIPO, de sorte que s’il avait été fait droit à l’argumentation de la requérante, la classification de Nice n’aurait pas établi de distinction entre les services de publication de livres, compris dans la classe 41 et les livres ou magazines, compris dans la classe 16.
Par conséquent, le Tribunal estime que la société éditrice française n’a pas établi l’usage sérieux de la marque en cause pour les services susvisés et confirme donc la déchéance de la marque pour ces services.
Néanmoins, le Tribunal reconnaît l’usage de la marque « Ballon d’Or » pour les services de divertissement
L’EUIPO avait considéré à tort que l’usage sérieux de la marque « Ballon d’Or » n’était pas établi pour ces services, au motif que l’organisation d’une cérémonie de remise de prix ne relevait pas « du divertissement ».
Or, selon le Tribunal, l’organisation d’une cérémonie de remise de prix sous la marque « Ballon d’Or », telle que le concours « Ballon d’Or », a comme objectif principal le divertissement et doit ainsi être qualifiée de prestation d’un service de divertissement.
En effet, l’organisation du concours « Ballon d’Or » ne se limite pas à la simple remise du trophée car il existe une véritable organisation d’un spectacle offert sur le marché, sous la marque « Ballon d’Or » et relevant du divertissement.
Le Tribunal considère donc que l’EUIPO a commis une erreur de droit, en considérant qu’une cérémonie de remise de prix telle que celle du concours « Ballon d’Or » ne relevait pas de la définition du divertissement.
Par conséquent, le Tribunal annule la décision de l’EUIPO, en ce qu’elle a déclaré la déchéance de la marque « Ballon d’Or » pour les services de divertissement.
En somme, il découle de cette décision, la nécessité pour une marque de ne pas se maintenir artificiellement et de manière oisive dans les registres de l’EUIPO.
Il en résulte aussi que l’essence même d’une marque implique un effort de commercialiser des produits et services à destination d’une clientèle.
La renommée d’une marque n’échappe pas à cette règle.
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Dalila MADJID, Avocate au Barreau de Paris exerçant depuis 2008, concentre ses activités sur le droit de la propriété intellectuelle et de l’Internet.