L'accord sur le télétravail a été signé : l'analyse de Henri Guyot

28 novembre 2020

4 min

Henri Guyot
Le projet d'accord entre les partenaires sociaux sur le télétravail vient d’être signé. 5 questions à Henri Guyot, associé du cabinet BRL Avocats, pour un éclairage sans langue de bois.

Pourriez-vous vous présenter en quelques mots s’il vous plaît ?

 

Je suis avocat associé au sein de brL Avocats. Nous sommes huit associés et une quarantaine d’avocats. Notre activité est exclusivement dédiée au droit social et aux ressources humaines. Nous intervenons en contentieux, en conseil et en formation. Nous répondons aux besoins spécifiques de toutes les entreprises privées ou publiques.

Au sein du cabinet, je pilote le département nouvelles technologies, qui inclut deux sujets d’actualité : le télétravail et le RGPD.

Pour ma part, je conseille mes clients sur la mise en place du télétravail depuis une dizaine d’années, depuis à une époque où le télétravail n’était pas la norme. Depuis, bon nombre d’accords ont été signés et j’ai abordé le sujet tant dans des articles juridiques que des formations pratiques. Surtout, je pratique moi-même le télétravail avec mes équipes.

 

Selon le protocole national, le télétravail est à présent la règle, si l’activité le permet. L’employeur est-il seul à décider si l’activité peut être exercée en télétravail ?

 

Le texte de l’accord est clair. « Dès lors qu’un salarié informe l’employeur de sa volonté de passer au télétravail, l’employeur peut, après examen, accepter ou refuser sa demande. » C’est donc à l’employeur de se prononcer.

 


Afin d’encadrer la pratique, les critères d’éligibilité du salarié peuvent être définis. Le fait d’objectiver ce point dans un accord collectif ou une charte permet d’objectiver un éventuel refus que l’employeur devra motiver.

À ce titre, il convient de souligner que l’ANI a la prudence de ne pas considérer comme télétravaillables tous les postes pour lesquels les salariés ont pu, dans le cadre du maintien de l’activité au cours des deux confinements, exercer en télétravail.

Plusieurs critères peuvent être mobilisés : le degré d’autonomie et le poste occupé du salarié concerné sont les deux principaux.

Au vu de ce dernier critère, il est possible de prévoir des règles différentes selon les services ou les départements de l’entreprise.

Dans tous les cas, la prudence commande d’associer les partenaires sociaux à la définition des postes. Un mapping des postes peut utilement être utilisé.

 

LIRE AUSSI >> M. d'Allende : "Le dialogue social est un outil de compétitivité stratégique"

 

À l’inverse, l’employeur peut-il m’imposer, hors contexte Covid-19, un passage en situation de télétravail ?


Rappelons que pendant le confinement, la Ministre du travail, Élisabeth Borne, a annoncé des contrôles et des sanctions pour ceux qui ne passeraient pas en télétravail.

Hors ce contexte, les salariés ne peuvent se voir imposer le télétravail. À ce titre, l’ANI précise que « le refus du salarié d’accepter le télétravail n’est pas, en soi, un motif de rupture du contrat de travail. »

À l’inverse, si le télétravail fait partie des conditions d’embauche, le salarié peut ultérieurement postuler à tout emploi vacant, s’exerçant dans les locaux de l’entreprise et correspondant à sa qualification. Il bénéficie d’une priorité d’accès à ce poste.

Dit autrement, contrairement aux salariés qui bénéficient du télétravail en cours d’exécution de leur contrat de travail, ce n’est que si un poste se libère dans les locaux de l’entreprise qu’il pourra être mis fin au télétravail. Il s’agit donc d’une entorse au caractère volontaire du télétravail.

Qu'en est-il de la protection de la santé des salariés en situation de télétravail ?


Vous avez raison de poser la question en ce sens que les télétravailleurs peuvent dans leur globalité exprimer un certain ras le bol de l’isolement. D’une façon générale, tous s’accordent à dire que malgré le télétravail des temps collectifs doivent être prévus.

Surtout, outre les publics fragiles, deux types de population ont été identifiés comme particulièrement en souffrance avec le 100% télétravail imposé.

D’abord les jeunes travailleurs, tout juste diplômés, qui vivent seuls, travaillent, mangent et dorment dans des petits appartements. L’exercice n’est pas aisé, il l’était d’autant moins pendant les épisodes de confinement.

Ensuite, il y a également les télétravailleurs avec de jeunes enfants. Il est difficile de performer en télétravail à défaut d’école ou de mode de garde ou même lorsque les enfants arrivent à 16h15… Cette situation induit un stress très important : les parents de jeunes enfants peuvent exprimer des difficultés à assumer leur charge de travail sauf à reprendre le travail en soirée.

Une telle situation est acceptable sur une courte durée, lorsqu'elle est motivée par l’idée de solidarité. C'est plus difficile lorsque la situation semble s’éterniser. C’est extrêmement difficile lorsqu’en outre une politique de modération salariale est annoncée. À tout le moins, une dissonance entre la force de travail mise en œuvre et le retour sur investissement peut être exprimée.

 

Même si l’ANI négocié ne cible pas particulièrement ces deux populations, les partenaires sociaux ont exprimé l’impératif de porter une attention particulière à l’articulation entre le présentiel et le distanciel afin de préserver les fonctionnements collectifs et l’efficacité des organisations du travail.

 


Outre le dialogue avec les partenaires sociaux, la prévention des risques passe essentiellement par la formation des salariés en télétravail, de leurs collègues mais surtout de leurs managers.

Les thèmes sont variés : l’adaptation des modalités de réalisation de l’activité, l’autonomie du salarié en télétravail, le séquençage de la journée de télétravail, le respect du cadre légal relatif à la durée du travail et à la déconnexion, l’utilisation régulée des outils numériques et collaboratifs. Guides pratiques ou e-learning, l’essentiel est de transmettre le savoir-être au collaborateur.

Faut-il indemniser le salarié qui exerce en télétravail ?


Il s'agit d’un sujet délicat : dans le cadre des questions/réponses publiées par le ministère du travail à l’occasion du confinement, le gouvernement a clairement répondu qu’il n’y avait pas lieu d’indemniser les salariés.

Cette revendication se fait pourtant entendre de plus en plus. Nombreux sont les salariés et leurs représentants qui nous posent cette question car ils estiment que le télétravail forcé pendant une longue période mériterait d’être indemnisé.

Les arguments sont pertinents de part et d’autre : le salarié économise les frais de transport, de restauration du midi tout en continuant de percevoir le remboursement des frais d'abonnement de transport et des tickets restaurant.

Les frais supplémentaires exposés par le télétravail sont très modestes. En effet, l’accès à internet en illimité n’expose pas le télétravailleur à un surcoût et la consommation d’électricité pour une centaine de jours de télétravail par an peut être estimée à 1€ par mois pour un ordinateur portable classique.

En fait, nous touchons là un point structurel de notre droit du travail. Aujourd’hui, nous avons des packages de rémunération construits pour des salariés qui se rendent dans les locaux de l’entreprise : remboursement d’abonnement transport, voiture de fonction, tickets restaurants…

Ce mode de rémunération pourrait être modernisé et l’avantage en nature ne plus être conditionné au fait de se rendre sur un lieu donné pour son travail.

 

Ces avantages pourraient être remplacés ou tout ou partie par un « efficiency bonus ». L’octroi d’une enveloppe de frais destinés à améliorer l’efficacité au travail du collaborateur. Cette indemnité serait utilisée par le collaborateur à son initiative pour répondre exactement à ses besoins : louer un espace de co-working, payer un repas, améliorer le confort de son espace de travail à la maison, se rendre dans les locaux de l’employeur…

 


Bref, il est possible de répondre aux nouvelles sujétions induites par le choix du salarié de recourir au télétravail sans surcoût pour l’entreprise.

 

LIRE AUSSI >> Contrôles de l’activité partielle : quels sont les risques encourus ?
Les relations de travail à l'heure de la pandémie - regards d'experts
Picture of Éloïse Haddad Mimoun
Éloïse Haddad Mimoun

Docteure en droit et diplômée de l'Essec, Eloïse est rédactrice en chef du Blog Predictice.

Accueil  ›   Actualités juridiques  ›  L'accord sur le télétravail a été signé : l'analyse de Henri Guyot

Chaque mois, retrouvez l’essentiel de l’actualité juridique analysée par les meilleurs experts !