Le cadre légal de l'open data des décisions de justice

24 mars 2022

6 min

Les textes posent à la fois le principe de l’open data, son étendue, son calendrier, les règles d’anonymisation et les interdictions en matière de réutilisation de certaines données.

Le cadre légal de l’open data est principalement posé par l’article L. 111-3 du code de l'organisation judiciaire complété par le décret n° 2020-979 du 29 juin 2020 relatif à la mise à disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives, et par l'arrêté du 28 avril 2021 pris en application de l’article 9 du décret précité. Ces textes posent à la fois le principe même de l’open data, son étendue, son calendrier, les règles d’anonymisation et les interdictions en matière de réutilisation de certaines données.

 

Le principe même de l’open data

La loi du 7 octobre 2016 sur la République numérique a prévu la mise à disposition gratuite de toutes les données émanant des administrations publiques, incluant les décisions de justice de l’ensemble des juridictions. La loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 pour la justice, modifiant le dispositif prévu initialement par la loi de 2016, avant même son entrée en vigueur, a créé l’article L. 111-13 du code de l'organisation judiciaire, qui consacre dans son premier alinéa le principe même de l’open data dans les termes suivants :

 

« Sous réserve des dispositions particulières qui régissent l'accès aux décisions de justice et leur publicité, les décisions rendues par les juridictions judiciaires sont mises à la disposition du public à titre gratuit sous forme électronique ».

 

Le principe de l’open data des décisions de justice n’est pas absolu. En effet, seules les décisions rendues publiquement sont en principe concernées, comme le prévoit l’article R. 111-11 du code de l'organisation judiciaire. Sont donc exclues les  décisions rendues en matière gracieuse ou encore celles relatives à l’état et à la capacité des personnes ainsi qu’à la vie privée (article 11-2 de la loi du 5 juillet 1972 dans sa version modifiée par la loi du 23 mars 2019).

 

Par ailleurs, l’article R. 111-11 du code de l'organisation judiciaire prévoit également que certaines décisions devront présenter « un intérêt particulier » pour être mises à disposition du public. Il en va ainsi des décisions pour lesquelles la communication à des tiers est soumise à autorisation préalable, accordée après occultation de tout ou partie des motifs. La mise à disposition peut aussi ne porter que sur un seul extrait. Tel est le cas par exemple en matière de divorce, où seul le dispositif de la décision est diffusable (article 1082-1 du code de procédure civile).

 

Calendrier et délimitation temporelle de l’open data

L’arrêté du 28 avril 2021 fixe le calendrier de mise en ligne des décisions de justice. Il s’échelonne du 1er octobre 2021 pour les décisions rendues par la Cour de cassation et le Conseil d'État au 1er janvier 2026, pour celles rendues par les tribunaux judiciaires en matière civile, par les cours d'appel en matière contraventionnelle et délictuelle, ainsi que celles en matière criminelle.

 

LIRE LA DÉCISION >> Open data : le calendrier (enfin) dévoilé !

 

Les articles R. 111-10 du code de l'organisation judiciaire et R. 741-13 du code de justice administrative prévoient respectivement que les décisions rendues par des juridictions de l’ordre judiciaire sont mises à la disposition du public dans un délai de six mois à compter de leur mise à disposition au greffe de la juridiction alors que celles de l’ordre administrative le sont dans un délai de deux mois à compter de leur date. 

 

La fixation calendrier de mise en ligne des décisions de justice a été aussi l’occasion de limiter l’étendue de l’open data des décisions de justice dans la mesure où l’article 6 de l’arrêté du 28 avril 2021 précise que « le présent arrêté est applicable aux décisions et aux copies sollicitées par des tiers respectivement rendues et délivrées postérieurement aux dates visées aux articles 1er, 2 et 3, ou, en cas de mise à disposition anticipée prévue à l'article 4, à la date de cette dernière ». Cela signifie que l’open data ne vaut que pour l’avenir et n'inclut pas les décisions rendues par le passé.

 

L’occultation des éléments d’identification des personnes physiques

Aux termes de l’alinéa 2 de l’article L. 111-13 du code de l'organisation judiciaire, « les nom et prénoms des personnes physiques mentionnées dans la décision, lorsqu'elles sont parties ou tiers, sont occultés préalablement à la mise à la disposition du public. Lorsque sa divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage, est également occulté tout élément permettant d'identifier les parties, les tiers, les magistrats et les membres du greffe ».

 

Ce texte pose le principe d’un double niveau d’occultation. Le premier est un préalable obligatoire à la diffusion publique de toutes les décisions. Il porte sur les noms et prénoms des personnes physiques mentionnées dans les décisions, lorsqu’elles sont parties ou tiers. Sont donc exclus les personnes morales, y compris si elles ont la qualité de partie ou tiers, ainsi que les professionnels de la justice, tels que les avocats, les magistrats, les greffiers, ou encore les experts judiciaires.

 

Un second niveau d’occultation est également prévu par ce texte pour des motifs tenant à la sécurité ou au respect de la vie privée. Celui-ci est plus large que le précédent, englobant les parties, les tiers, les magistrats et les membres du greffe. Les avocats en revanche en sont de nouveau exclus.

 

Selon les articles R. 741-14 du code de justice administrative et R. 111-12 du code de l'organisation judiciaire, la décision d’occultation est rendue par le président de la formation de jugement ou un magistrat ayant rendu la décision en cause lorsque l'occupation concerne une partie ou un tiers. Lorsqu’elle concerne un magistrat ou un greffier, la décision d’occultation relève du président de la juridiction concernée pour l’ordre judiciaire, et du président de la section du contentieux du Conseil d’Etat, de la cour administrative d’appel ou du tribunal administratif concerné, pour l’ordre administratif. De plus, dans ce second ordre, le membre du Conseil d’Etat ou le magistrat concerné peut décider l’occultation de tout élément de la décision dont la divulgation est susceptible de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation.

 

Toute personne intéressée peut introduire, à tout moment, devant un magistrat de la Cour de cassation désigné par le premier président, ou auprès d’un membre du Conseil d’Etat, désigné par le vice-président du Conseil d’Etat, une demande d'occultation ou de levée d'occultation des éléments d'identification. La décision susceptible d'un recours devant le premier président de la Cour de cassation ou le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat (R. 111-13 du code de l'organisation judiciaire, R. 741-15 et R. 122-13 du code de justice administrative).

 

Lors de son assemblée générale du 3 juillet 2020, le conseil national des barreaux a adopté une motion critiquant notamment le manque de contradictoire en matière d’occultation et l’impossibilité pour les avocats d’avoir accès aux données intègres des décisions. 

 

En outre, aux termes d’une déclaration commune entre le vice-président du conseil d’Etat, le président de l’ordre des avocats aux conseils et le conseil national des barreaux, un engagement a été pris d’associer ces trois institutions à la mise en œuvre des dispositifs de régulation et de contrôle tant des algorithmes utilisés pour l’exploitation des bases de données des décisions de justice que de la réutilisation des informations qu’elles contiennent. A aussi été émis le souhait d’aboutir à la désignation d’une autorité publique chargée de cette régulation et de ce contrôle en lien avec les juridictions administratives et judiciaires ainsi qu’avec l’Ordre des avocats aux conseils et avec le Conseil national des barreaux.

 

De son côté, la Cour de cassation a mis en place un groupe de travail chargé de penser les méthodes d’occultation applicables aux arrêts rendus par elle. Dans son rapport du 15 janvier 2021, le groupe de travail a fait les propositions suivantes :

 

  • un traitement différencié des occultations complémentaires en tenant compte de la nature des contentieux, 
  • l’occultation des nom et prénom des professionnels cités dans la décision à l’exception des détenteurs d’un mandat ad litem
  • un circuit de traitement déterminé dans les chambres de la Cour de cassation, sans trop alourdir la charge de travail des magistrats et des greffiers, 
  • une nécessaire évolution des termes de remplacement des entités occultées pour améliorer l’intelligibilité des décisions pseudonymisées,
  • l’absence de recommandation spécifique pour les occultations des éléments d’identification des magistrats et membres du greffe.

 

L’interdiction de réutiliser certaines données

L’alinéa 3 de l’article L. 111-3 du code de l'organisation judiciaire réglemente quant à lui la réutilisation de certaines données. Selon ce texte, « les données d'identité des magistrats et des membres du greffe ne peuvent faire l'objet d'une réutilisation ayant pour objet ou pour effet d'évaluer, d'analyser, de comparer ou de prédire leurs pratiques professionnelles réelles ou supposées. La violation de cette interdiction est punie des peines prévues aux articles 226-18,226-24 et 226-31 du code pénal, sans préjudice des mesures et sanctions prévues par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ».

 

Ainsi, il est fait interdiction, sous peine de sanctions pénales, de réutiliser les données d’identité des magistrats et des membres des greffes à des fins d’évaluation et d’analyse. Alors que les données permettant de tels usages seront librement disponibles, il est permis de s’interroger sur le caractère dissuasif des sanctions encourues. Ce point avait été longuement débattu lors des débats parlementaires, opposant députés et sénateurs. Au nom du principe de publicité de la justice, la présente solution a été retenue. Dans son avis sur le projet de décret du 29 juin 2020, la CNIL a également attiré l’attention sur ce point délicat.

 

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Cet article a été rédigé par l'équipe de rédaction du Blog Predictice.

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