Covid-19 : réintégration d’une infirmière non vaccinée

1 juillet 2022

4 min

Infirmière non vaccinée contre le covid-19
Soignant non vacciné : le conseil de prud’hommes de Paris a annulé en référé la suspension du contrat de travail par l’employeur qui n’a proposé de reclassement (CPH Paris, 16 juin 2022).

 

Depuis le 15 septembre 2021, les professionnels de santé et le personnel des établissements de santé et des établissements médico-sociaux sont soumis à une obligation vaccinale contre le covid-19. La loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire prévoit en effet la suspension du contrat de travail de cette catégorie de salariés. Cette suspension s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération et prend fin dès lors que le salarié présente un certificat de statut vaccinal ou un certificat de rétablissement. En effet, bien que le pass vaccinal ait été suspendu le 14 mars 2022, l’obligation vaccinale reste en vigueur pour les professionnels de santé.

 

Un nombre important de salariés a contesté ces suspensions devant les juridictions civiles et administratives. Si aucune décision n’a été rendue au fond, plusieurs conseils de prud’hommes se sont prononcés en référé et, dans certains cas, ont donné raison aux salariés suspendus. En l’espèce, le conseil de prud’hommes de Paris a annulé la suspension d’une infirmière qui travaillait à l’Institut Curie et ordonné sa réintégration.

 

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L’annulation de la suspension d’une infirmière non vaccinée

En l’espèce, une infirmière de l’institut Curie a été suspendue par son employeur le 23 septembre 2021 avec effet rétroactif au 17 septembre 2021. Elle exerçait en tant qu’infirmière à temps partiel et assurait une consultation en sophrologie dans cet institut qui est à la fois un ensemble hospitalier et un centre de recherche.

 

En novembre 2021, cette salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Paris en référé. Le conseiller salarié et le conseiller employeur n’ont pas réussi à se départager de sorte qu’il appartenait à un magistrat professionnel de se prononcer. En effet, l’article R1454-29 du Code du travail prévoit qu’ « en cas de partage des voix au sein de la formation de référé, l'affaire est renvoyée à une audience présidée par le juge départiteur. Cette audience est tenue sans délai et au plus tard dans les quinze jours du renvoi ».

 

Par une ordonnance rendue le 9 juin 2022, le juge départiteur a fait droit à la demande de la salariée et a annulé la suspension de son contrat de travail. Le juge a également ordonné sa réintégration et condamné l’institut Curie à lui verser les salaires non perçus.

 

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« Cette ordonnance revêt une importance majeure dans le cadre du contentieux sanitaire en cours concernant un certain nombre de professionnels de la santé. C’est la première décision d’un conseil de prud’hommes en France, prise en référé départage par un magistrat professionnel, qui annule purement et simplement la suspension d’une infirmière qui n’était ni en arrêt-maladie ni en congé et qui ordonne sa réintégration. Pour cela, le juge s’est fondé sur l’absence de proposition de reclassement. En d’autres termes, l’employeur aurait dû proposer à cette infirmière qui n’était pas vaccinée contre le covid-19 un reclassement avant de la suspendre. » - Maître Tarek Koraitem, fondateur du cabinet Koraitem Law.

 

 

Une décision motivée par l’absence de proposition de reclassement de la salariée

En l’espèce, le juge départiteur a considéré que « l’institut Curie n’établit pas avoir, à tout le moins, recherché les possibilités de maintenir l’emploi et, par là, le salaire de Madame X, notamment par recherche d’affectation sur des missions ponctuelles au sein de l’établissement de santé, de reclassement interne au sein d’un centre de recherche et/ou de formation, et/ou mise en place du maintien de son activité de sophrologue par tout moyen ».

 

C’est donc l’absence de proposition de reclassement qui fonde la décision du juge départiteur. Pourtant, cette obligation n’est pas prévue par la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. En effet, l’article 14 dispose seulement qu’il incombe à l’employeur d’informer le salarié réfractaire à la vaccination des moyens de régulariser sa situation.

 

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Le juge départiteur a cependant considéré que la lecture combinée de l’article L 1132-1 du code du travail qui prohibe toute discrimination directe ou indirecte notamment en raison de l’état de santé du salarié, et l’article L1222-1 qui impose l’exécution de bonne foi du contrat de travail impose une telle obligation à l’employeur. Il estime ainsi qu’ « il résulte de la combinaison de toutes ces dispositions que l’employeur qui envisage de faire application de la loi N° 2021-1040 du 5 août 2021 au titre d’une suspension du contrat de travail, doit au préalable et en tout état de cause, dans le cadre d’une exécution loyale du contrat de travail, et de la priorité de maintien de l’emploi et des revenus substantiels que constituent les salaires, explorer l'ensemble des solutions possibles afin de poursuite du contrat de travail et de maintien de la rémunération. À défaut, il caractérise un trouble manifestement illicite ». En d’autres termes, il appartenait à l’employeur de rechercher des solutions permettant à la salariée d’exécuter une tâche qui ne serait que ponctuelle dans l’établissement de santé ou de la reclasser dans le centre de recherche. Le juge départiteur ne sanctionne donc pas la suspension en elle-même, mais le fait pour l'institut Curie de l'avoir appliquée sans tenter de rechercher une solution alternative.

 

La question se pose de la portée de cette ordonnance. On peut notamment se demander si le fonctionnement particulier de l'institut Curie qui associe un ensemble hospitalier et un centre de recherche a pu motiver la décision du juge départiteur. Par ailleurs, cette salariée exerçait également en tant que sophrologue, activité qui aurait pu être maintenue sans déroger aux dispositions de la loi du 5 août 2021. Néanmoins, force est de constater que le magistrat a entendu donner une portée générale à cette ordonnance en posant le principe selon lequel l’employeur doit explorer les solutions possibles permettant le maintien de l’emploi du soignant non vacciné. On peut donc se demander si ce principe n’a pas vocation à s’appliquer dans de nombreux cas de figure. 

 

Par ailleurs, on peut s'interroger sur les contours de ce principe d'exécution loyale du contrat. L'employeur qui signifierait simplement au salarié que son reclassement est manifestement impossible pourrait-il échapper à cette sanction de l'annulation de la suspension ? Quoi qu'il en soit, de nombreuses questions demeurent en suspens sur ce sujet qui va alimenter le contentieux en cette fin d'année 2022.

 

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Pierre-Florian Dumez

Juriste et entrepreneur, Pierre-Florian est rédacteur pour le Blog Predictice.

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