Cacophonie jurisprudentielle sur le sort des soignants non vaccinés

5 novembre 2021

6 min

vaccination obligatoire
Le défaut de vaccination peut être sanctionné par une suspension du soignant, même s'il était en congé maladie au moment de l’obligation de vaccination (TA Besançon, 11 oct. 2021).

L’obligation de vaccination ou de pass sanitaire pour certaines professions

L’article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire et le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire ont défini un calendrier de déploiement de l’obligation vaccinale, ainsi que trois critères fixant son champ d’application. Il s’agit du lieu d’exercice de la profession (dont quatorze catégories d’établissements de santé, sociaux et médico-sociaux), de la profession ou de l’activité exercée, et des conditions de travail des personnes qui interviennent dans les mêmes locaux que des professionnels soumis à l’obligation vaccinale, hors tâches ponctuelles.

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Sont ainsi concernés par l’obligation vaccinale les salariés ou agents publics qui exercent dans le domaine médico-social et sanitaire (les professionnels médicaux ou paramédicaux exerçant aussi bien en hôpital, qu’en clinique ou en Ehpad), les professionnels en contact avec des personnes vulnérables (pompiers ou ambulanciers) ou encore les professionnels navigants et militaires affectés aux missions de sécurité civile.

 

À compter du 30 août 2021 et jusqu’au 15 novembre 2021, ces derniers sont ainsi soumis à l'obligation de présentation d’un schéma de vaccination complet ou d’un pass sanitaire. Plus précisément, concernant l’obligation vaccinale, les professionnels concernés ont eu jusqu'au 15 septembre 2021 pour être complètement vaccinés, ou jusqu'au 15 octobre 2021 s'ils avaient déjà reçu une première dose. Entre-temps, ceux-ci pouvaient fournir à leur employeur un certificat de rétablissement, un test de non-contamination ou un certificat médical de contre-indication. Selon une FAQ du ministère du travail, l’employeur est parfaitement en droit de demander la preuve à un salarié de sa vaccination ou de son pass sanitaire dès lors que la loi le prévoit.

 

Depuis le 16 octobre 2021, le défaut de justification de schéma vaccinal complet ou de pass sanitaire en l’absence de contre-indication médicale a des conséquences sur le contrat de travail des salariés ou agents concernés. Dans un premier temps, et en accord avec l’employeur, le salarié peut poser des jours de repos ou de congés. À défaut, l’employeur lui notifie l’interdiction d’exercer son activité et la suspension immédiate de son contrat de travail. Cette suspension entraîne une interruption de rémunération à compter de sa notification au salarié ou à l'agent jusqu’à sa régularisation. Selon une circulaire du 10 août 2021 portant sur les mesures issues de la loi relative à la gestion de la crise sanitaire applicables aux agents publics de l'État, l’employeur peut en tout état de cause engager une procédure disciplinaire à l’encontre de son employé.

 

Néanmoins, le non-respect de l’obligation vaccinale ne peut fonder un licenciement. Ce principe a été critiqué par de nombreux spécialistes, estimant que le gouvernement laissait les employeurs gérer une situation impossible. Ainsi, F. Aknin, associé chez Capstan, explique :  « En réalité, la loi impose à l’employeur de gérer les conséquences d'une obligation vaccinale qui ne dit pas son nom, mais sans lui donner les moyens idoines, à savoir la possibilité de recourir à un licenciement sui generis»

 

Sans surprise, le risque de suspension sans rémunération a récemment fait l’objet de plusieurs recours devant les juridictions administratives afin de contester leur légalité et leur application.

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Une multiplication des recours contre la suspension de contrats de travail de soignants en arrêt

Dans un jugement du 11 octobre 2021, le tribunal administratif de Besançon a rejeté un référé-suspension formé par une aide-soignante en arrêt de travail et dirigé contre la décision de suspension de ses fonctions pour ne pas avoir satisfait à l’obligation vaccinale.

 

Dans sa requête, l’aide-soignante demandait au juge des référés d’annuler l’exécution de la décision du directeur de l’hôpital Nord Franche-Comté l’ayant suspendue de ses fonctions pour manquement à l’obligation vaccinale, alors qu’elle était, à cette date, en arrêt de travail. De plus, elle sollicitait sa réintégration immédiate et le versement de la rémunération qu’elle estimait lui être due depuis son éviction.

 

Pour le juge des référés, si la loi ne fait pas elle-même « obstacle à l’application, pour les fonctionnaires bénéficiant d’un congé de maladie, d’une législation spécifique subordonnant le maintien de leurs droits, et en particulier de leur droit à rémunération, au respect d’autres conditions » (jugement p.4), celle-ci ne prévoit pas pour autant « de distinction, s’agissant de l’obligation vaccinale qu’elle édicte, selon que les fonctionnaires concernés seraient, ou non, en congé de maladie. » (jugement p.5). Ainsi pour cette juridiction, lorsque des fonctionnaires bénéficiaient d’un congé de maladie à la date de l’entrée en vigueur de l’obligation vaccinale mais n’ont pas justifié, à cette même date, avoir satisfait à cette obligation, « l’administration a le droit de les suspendre de leurs fonctions et d’interrompre le versement de leur rémunération » (jugement p.5).

LIRE LA DÉCISION >> Tribunal administratif de Besançon, 11 octobre 2021, n° 2101694

Dans le même sens, le tribunal administratif de Toulouse a retenu le 22 octobre 2021 que le placement d’un agent public en congé de maladie ne l’exonère pas de son obligation vaccinale et justifie une suspension.

LIRE LA DÉCISION >> Tribunal administratif de Toulouse, 22 octobre 2021, n° 2105971

En début de semaine, le 2 novembre 2021, le tribunal administratif d'Orléans a également validé la suspension de douze soignants pour ce motif.

 

Le tribunal administratif de Bordeaux a, pour sa part, considéré qu’une suspension d’agent exerçant son activité dans un établissement de santé et détenant un mandat syndical ne constituait pas une atteinte manifestement illégale à la liberté syndicale par une ordonnance rendue le 29 septembre 2021. Dans cette affaire, une représentante syndicale non-vaccinée arguait de la nécessité d'assister à la prochaine réunion du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Les juges retiennent que si la requérante par « ses missions de conseil, de soutien et d’accompagnement des agents hospitaliers, adhérents ou non de son syndicat, est en contact direct avec ses collègues qui, exerçant quant à eux de manière effective leur profession de santé, ont des rapports immédiats avec les malades. Dans ces conditions, Mme A... ne peut pertinemment exciper de la décharge de services qui lui a été accordée au titre de ses engagements syndicaux pour se soustraire aux mesures imposées par les articles 13 et 14 de la loi du 5 août 2021 » (jugement §8). 

LIRE LA DÉCISION >> Tribunal administratif de Bordeaux, 29 septembre 2021, n° 2104958

Des solutions divergentes retenues par les juridictions de première instance

Contrairement à la position des tribunaux administratifs de Besançon, de Bordeaux ou encore d’Orléans, plusieurs juridictions ont annulé la suspension de contrats de travail de soignants non-vaccinés. 

 

Dans un jugement du 4 octobre 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a en effet retenu qu’un agent public hospitalier ne peut être suspendu de ses fonctions pour non-respect de son obligation vaccinale alors qu'il est en congé maladie. Cette position a été réitérée par la juridiction dans un jugement du 21 octobre 2021.

LIRE LA DÉCISION >> Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 4 octobre 2021, n° 2111794

Puis, par un jugement du 26 octobre 2021, le juge administratif des référés de Grenoble a annulé la suspension du contrat de travail de neuf agents des hôpitaux Drôme Nord, retenant que ceux-ci étaient en arrêt maladie au moment de l’entrée en vigueur de l’obligation vaccinale, et considérant qu’un doute sérieux subsistait quant à la légalité de cette suspension. Il a alors été enjoint aux hôpitaux Drôme Nord de verser aux requérants la rémunération à laquelle ils avaient droit dans le cadre d’un arrêt de travail et d’assimiler cette période d’absence à une période de travail effectif.

LIRE LA DÉCISION >> Tribunal administratif de Grenoble, 26 octobre 2021, n°2106636

C’est aussi la solution retenue par le tribunal administratif de Rennes dans plusieurs jugements en référé du 28 et 29 octobre 2021 considérant que le congé de maladie est un droit qui ne peut être entaché par une mesure de suspension.

 

Les tribunaux administratifs de Melun et de Nancy ont également retenu des solutions similaires. 

 

Des annulations de suspension admises pour d’autres motifs que le congé maladie

Le 22 octobre 2021, le tribunal administratif de Lyon a jugé que la suspension du contrat de travail de salariés intervenant dans les cuisines des CHU de Saint-Etienne et du centre hospitalier de Roanne était de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la suspension, étant donné que ceux-ci travaillaient dans une annexe extérieure à l’hôpital. Le critère des conditions de travail, ici la localisation, prévu par la loi du 5 août 2021, n’était donc en l’espèce pas rempli.

 

Le tribunal administratif de Bastia a, lui, prononcé le 20 octobre 2021 un non-lieu pour la suspension du contrat de travail d’une aide-soignante non-vaccinée, cette décision ayant été prise par la directrice intérimaire de l’hôpital de Calvi qui n’avait pas la compétence pour ordonner une telle mesure. 

 

Une insécurité juridique créée par la cacophonie jurisprudentielle 

Face à ces divergences jurisprudentielles, une décision du Conseil d’État serait souhaitable afin de clarifier la légalité de la suspension des contrats de travail des professionnels concernés par l’obligation vaccinale et en arrêt maladie lors de son entrée en vigueur.

 

Pour rappel, le Sénat a refusé d’adopter une proposition de loi du groupe socialiste instaurant une vaccination obligatoire contre le SARS-CoV-2 au même titre que les onze vaccins déjà obligatoires pour la population générale le 13 octobre 2021.

 

Enfin, l’on rappellera également que la CEDH a rejeté plusieurs requêtes contestant l’obligation vaccinale liée à la Covid-19 ainsi que l’instauration du pass sanitaire (CEDH, 25 août 2021, Abgrall c. France, n° 41950/21 ; CEDH, 9 septembre 2021, Kakaletri et autres c. Grèce, n°43375/21 ; CEDH, 9 septembre 2021, Theofanopoulou et autres c. Grèce, n° 43910/21 ; CEDH, 7 octobre 2021, Guillaume Zambrano c. France, n°41994/21).

 

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Calypso Korkikian

Diplômée de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de Sciences Po, Calypso rédige des contenus pour le Blog Predictice.

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