Enseignant en école de commerce : pas de lien de subordination

16 septembre 2022

4 min

professeur d'anglais
Le lien de subordination entre une école et un professeur ne peut être établi dès lors que ce dernier organise librement son temps de travail et ses enseignements (CA Paris, 6 avril 2022).

 

Entre janvier 2013 et juin 2015, un professeur d’anglais a donné des cours dans une école de commerce sous le statut de travailleur indépendant. En octobre 2015, l’école de commerce a mis un terme à la relation qui la liait à ce professeur. En effet, l’école lui reprochait un certain nombre de griefs et s’appuyait sur le très faible taux de satisfaction de ses élèves quant à ses enseignements. En décembre de la même année, le professeur a saisi le Conseil de prud’hommes de Paris afin de faire requalifier la relation en contrat de travail. Il demandait également au Conseil de prud’hommes de condamner l’école pour licenciement abusif.

 

L’école a d’abord contesté la compétence de la juridiction prud'homale considérant que le professeur avait le statut de travailleur indépendant et qu’il exerçait dans d’autres établissements de l’enseignement supérieur. Par ailleurs, l’école estimait qu’aucun lien de subordination ne pouvait être établi dans la mesure où le professeur avait la liberté d’organiser son planning et ses cours de la façon dont il l’entendait. Selon l’école, la présomption simple de non-salariat fixée par l’article L8221-6 du code du travail pour les personnes inscrites au registre des entreprises ne pouvait donc pas être renversée en l’absence de ce lien de subordination.

 

Par un jugement rendu le 16 janvier 2019 en formation de départage, le Conseil de prud’hommes de Paris a fait droit à la demande en requalification considérant que le lien de subordination était établi. Le Conseil a ainsi estimé que le professeur : « était engagé par des bons de commande, précisant la nature des cours ou examen, et les plannings des interventions, avec la liste des dates, horaires et lieux. Il devait suivre un programme de cours. Les notes aux professeurs comprenaient plusieurs pages d’instructions précises. Un programme détaillé comprenant l’ensemble du contenu de la formation, le contenu des examens et les matériels pédagogiques leur était attribué. Des directives précises étaient également données pour les examens oraux. Sa rémunération était fixée unilatéralement par l'PAG ». Le conseil de prud’hommes a donc considéré que ces éléments permettaient d’apporter la preuve que l’école de commerce exerçait bien un pouvoir de direction et de contrôle établissant un lien de subordination.

 

En revanche, le Conseil de prud’hommes n’a pas fait droit à la demande du salarié de reconnaître que le licenciement était abusif. En effet, le juge a considéré que les griefs qui avaient conduit l’école à mettre fin à la relation de travail constituaient une cause réelle et sérieuse de licenciement. Le Conseil de prud'hommes a également écarté la demande relative au travail dissimulé considérant que l'intention frauduleuse ne peut se déduire de l'application erronée du statut de travailleur indépendant. In fine, l'employeur n'a donc été condamné qu'à payer les différentes charges patronales.

 

LIRE LA DÉCISION >> Conseil de prud’hommes de Paris, 16 janvier 2019, n° 15/14558

 

La liberté offerte au professeur pour l’organisation de son planning et de ses cours permet d’écarter l’existence d’un lien de subordination.

 

Le professeur a interjeté appel de la décision du Conseil de prud’hommes. Avant de se pencher sur le caractère abusif ou non du licenciement, il appartenait à la cour d’appel de revenir sur la question de la qualification du contrat de travail. La cour a d’abord relevé que le professeur avait la liberté de choisir son temps de travail, notamment en fonction des engagements pris dans d’autres établissements. Selon les pièces versées au dossier, il avait refusé à plusieurs reprises des modules de cours incompatibles avec son emploi du temps et il indiquait à la responsable de formation les plages horaires durant lesquelles il pouvait dispenser ses cours. L’école précisait également que certains cours avaient été annulés par avenant lors du départ en vacances du professeur. Ces éléments ont ainsi permis aux juges de déterminer que l’école de commerce n’imposait pas au professeur son planning.

 

Par ailleurs, la cour a relevé que le professeur jouissait également d’une certaine liberté pour le contenu de ses cours. Ainsi, si la responsable pédagogique fournissait aux enseignants un support pédagogique permettant de s'assurer d’un enseignement homogène entre les élèves, elle ne leur donnait comme seule instruction que de veiller à utiliser certains supports de cours, comme des articles de presse et des vidéos, afin de faciliter leur apprentissage. Contrairement au Conseil de prud’hommes, la cour d’appel n’a donc pas considéré que l’école donnait à son professeur des directives précises permettant d’établir un lien de subordination et de requalifier la relation en contrat de travail. La cour d’appel a ainsi estimé que : « Pris dans leur ensemble, ces éléments ne permettent pas d’établir un lien de subordination entre monsieur X et l’association Ipag ni par conséquent l’existence d’un contrat de travail. Aussi, le Conseil des prud’hommes n’étant que le juge du contrat de travail ne pouvait statuer sur la rupture des relations qui relève d’autres juridictions. Il convient d’infirmer le jugement rendu par le Conseil des prud’hommes et de débouter monsieur X de toutes ses demandes ».

 

LIRE LA DÉCISION >> Cour d'appel de Paris, 6 avril 2022, n° 19/02582

 

 

 « Cet arrêt de la Cour d’appel de Paris intervient après une procédure démarrée en 2015 par un professeur d’anglais qui a cherché à faire requalifier sa prestation en contrat de travail. Si le contrat de travail a été retenu par le Conseil de Prud'hommes, ce dernier avait condamné l’École de commerce à ne payer que les charges patronales. Le demandeur, insatisfait, a interjeté appel. La cour d’appel a infirmé la décision rendue en première instance. En effet, elle a, notamment, constaté que le temps de travail n’a pas été imposé par l’École de commerce mais par le professeur d’anglais en fonction de ses autres engagements. Aucun lien de subordination n’a finalement été reconnu ! Une décision heureuse pour les établissements d’enseignement supérieur et de formation ayant recours à des prestataires. » - Maître Rachel NIZET, avocate fondatrice du Cabinet NIZET AVOCAT et conseil de l’école de commerce

 

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Pierre-Florian Dumez

Juriste et entrepreneur, Pierre-Florian est rédacteur pour le Blog Predictice.

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