Revue de décisions de première instance inédites rendues au cours de l'année 2021.
Droit social
Contrat de travail
Claire Fougea, associée chez Bryan Cave Leighton Paisner : « La salariée licenciée sollicitait dommages et intérêts pour licenciement nul, et subsidiairement sans cause réelle sérieuse, considérant avoir été licenciée en violation de sa liberté d'expression et en tout état de cause pour des motifs non avérés. La salariée sollicitait également des dommages et intérêts pour harcèlement moral dans l’objectif manifeste de pouvoir s'affranchir des plafonds du barème de l’article L 1235-3 du code du travail.
L’intérêt de ce jugement réside dans le montant particulièrement faible des dommages et intérêts alloués par le Conseil de Prud’hommes.
En effet, après avoir jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, le Conseil de Prud’hommes n'a accordé que trois mois de dommages et intérêts à la salariée licenciée malgré ces dix-sept ans d'ancienneté, considérant sans doute - mais sans pour autant l'évoquer expressément dans le jugement - que la salariée ayant retrouvé un emploi en cours de préavis et ayant perçu une indemnité de licenciement calculée sur ses dix-sept années d'ancienneté - le préjudice résultant de son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ne saurait justifier que lui soit accordé plus que le minimum prévu par le barème.
Par conséquent, si un salarié licencié, dont le licenciement est jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse, a retrouvé un emploi en cours de préavis, le Conseil de Prud’hommes peut considérer que son ancienneté, même importante, ne justifie pas que lui soit accordé à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, plus que le minimum prévu par le barème de l'article L.1235-3 du code du travail.
Ce jugement a fait l’objet d’un appel auquel la salariée a renoncé par la suite. »
Emilie Dutrain, associée chez Versant Avocats : « Le Conseil de prud’hommes de Nanterre a rendu un jugement en date du 13 avril 2021 portant, notamment, sur une demande de nullité du licenciement en raison d’une violation des droits de la défense.
L’ancien salarié s’appuie sur l’article 7 de la Convention n°158 de l’OIT qui dispose qu’« un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu’on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées ».
Il fonde la violation de ses droits à la défense sur deux arguments :
- l’absence d’objet dans la convocation à entretien préalable ne lui permettant pas d’avoir connaissance des griefs qui lui étaient reprochés ;
- la fourniture tardive de son dossier personnel (30 minutes avant l’entretien préalable) dans lequel il ne retrouvait aucune preuve des griefs reprochés.
Si le Conseil de prud’hommes de Nanterre n’a pas statué sur le fond de la demande en considérant que cette demande était tardive, ne se rattachait pas aux prétentions originaires et présentait un caractère de nouveauté par rapport à la saisine initiale, il est intéressant de rapprocher ce jugement d’un arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles du 21 octobre 2021, n° 19/00172.
La Cour a en effet débouté un ancien salarié de sa demande de nullité sur le même fondement. Elle a jugé qu’aucune violation des droits de la défense ne pouvait être caractérisée dès lors que l'employeur avait indiqué à l’ancien salarié les motifs de la décision envisagée et avait recueilli ses explications lors de l'entretien préalable. Elle a précisé que le fait pour l'employeur d’avoir explicité les griefs retenus contre l’ancien salarié lors de l’entretien préalable et la possibilité pour ce dernier de les discuter, suffisait à considérer que la procédure était de nature à garantir les droits de la défense. »
Thibault Meiers, associé chez Dechert LLP : « L’existence d’un contrat de travail était revendiquée par le président d’une société après la révocation de son mandat social. Ce dernier s’appuyait sur une promesse de contrat de travail pour tenir le rôle de “Président / Dirigeant Social” qui lui avait été soumise en amont des relations contractuelles et qu’il avait acceptée. La société résistait en invoquant que la nature même du contrat proposé était antinomique avec le mandat offert.
La juridiction prud’homale a donné raison à l’employeur. Faisant application de l’article 12 du code de procédure civile, selon lequel il incombe au juge de donner ou restituer l’exacte qualification aux faits et actes litigieux indépendamment de celle attribuée par les parties, le conseil de prud’hommes d’Angers a estimé que : « […] Les éventuelles maladresses, au cours des échanges, dans la formulation ou même éventuellement l’ignorance de l’incompatibilité entre le mandat de dirigeant social et celui de salarié (hors fonction distincte) ne suffisent pas à caractériser un contrat de travail. Compte tenu des éléments produits il apparaît que le contrat de travail n’aurait eu aucun objet, ce qui exclut la possibilité qu’un contrat de travail ait été conclu puis suspendu. […] ».
Philippe Axelroude, associé chez Willway Avocats : « Ce jugement vient rappeler que c’est toujours au salarié d’informer son employeur de son invalidité.
En vertu du principe du secret médical, si le salarié n’en informe pas son employeur, il ne peut considérer que celui-ci sera au courant de sa situation par un autre moyen.
De plus, l’employeur ne peut pas être considéré comme informé de l’état d’invalidité du salarié lorsque, lors de ses visites médicales, celui-ci est déclaré apte au travail par la médecine du travail.
La salariée a interjeté appel de la décision. »
Frédéric Chhum, associé chez Chhum Avocats : « Après 20 ans d’ancienneté, un contrôleur de gestion de GIE Informatique Caisse des dépôts et consignation est licencié.
Trois griefs lui sont reprochés :
- le refus de participer aux réunions d’équipes et de travail organisées par la Direction ;
- le non respect des horaires de travail ;
- le refus de se soumettre aux directives de sa hiérarchie.
Le Conseil de Prud’hommes de Créteil considère que ces griefs ne sont pas fondés, de sorte que licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Il condamne le GIE Informatique Caisse des dépôts et consignation à payer au contrôleur de gestion la somme de 47 551,20 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause et 1300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. »
Frédéric Chhum, associé chez Chhum Avocats : « Dans un jugement définitif du 13 décembre 2021, le Conseil de prud’hommes de Paris, statuant en départage, octroie à une journaliste de France Télévisions 46.606 euros au titre de l’inégalité de traitement salariale et de l’exécution déloyale du contrat de travail.
Le juge départiteur considère que la salariée “prouve, par la confrontation de sa situation aux données NAO une différence de salaire de 1.231 euros par année d’ancienneté” et que “l’absence de fourniture de travail aux conditions contenues dans le contrat de travail établit le caractère déloyal de l’exécution du contrat de travail”. »
Accords collectifs
Antoine Vivant, associé chez Vivant Avocats : « À l’occasion de la contestation de la validité d’une disposition d’un accord collectif conclu au sein d’une Unité économique et sociale (UES), le syndicat demandeur qui n’avait attrait que la société-mère de l’UES s’est vu opposer l’irrecevabilité de sa demande. En effet, il aurait dû assigner l’ensemble des sociétés de l’UES.
Dans cette espèce, le tribunal judiciaire de Marseille rappelle à bon droit qu’à peine d’irrecevabilité, toutes les sociétés d’une UES doivent être assignées dans le délai imparti. À défaut de l’avoir fait, le syndicat a donc perdu son droit d’agir. »
Procédures collectives
Tribunal de commerce de Marseille, 11 janvier 2022, n° 2021R00328 : suspension de l’applicabilité d’une clause d’agrément en cas de conflit d’intérêts dans le cadre d’une cession
Thomas Chaboureau, collaborateur chez DWF : « Dans le cadre de la liquidation judiciaire du groupe Bernard Tapie et de la cession consécutive de sa participation majoritaire dans le journal La Provence, le Président du tribunal de commerce de Marseille a suspendu le droit d’agrément dont disposait le conseil d’administration du journal par vote à l’unanimité sur le futur cessionnaire.
Bien que la jurisprudence admette l’opposabilité des clauses d’agréments en matière de procédure collective, le juge marseillais a justifié sa décision par l’absence d’ “impérative objectivité du vote” de deux administrateurs du journal qui représentent les intérêts de L’Avenir Développement, société détenue par Xavier Niel, l’un des candidats à l’acquisition. »
Droit commercial
Tribunal judiciaire de Grenoble, 6 septembre 2021, n° 19/01040 : nécessité pour le bailleur d’assurer les parties privatives du local commercial lorsque le contrat stipule une clause de renonciation à recours
Edouard de Mellon, collaborateur chez DELSOL Avocats : « Dans cette espèce, le bail commercial conclu entre les parties contenait une clause de renonciation à tout recours entre elles en cas de dommages aux biens causés par un incendie. Le tribunal rappelle que cette clause, qui emporte renonciation du bailleur à se prévaloir des effets de la responsabilité légale du locataire résultant de l’article 1733 du code civil, ne peut être écartée qu’en cas de faute lourde, défini comme “un comportement d’une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur à l’accomplissement de ses obligations contractuelles”, rappelant ainsi la définition de la faute lourde classiquement retenue par la Cour de cassation.
Dans un contentieux récurrent en matière de locaux commerciaux, ce jugement rappelle aux bailleurs la nécessité de veiller à l’assurance de leurs parties privatives. En effet, l’assurance souscrite par le syndic pour le compte du bailleur ne concernait que les parties communes de l’immeuble, mais pas les parties privatives, de sorte que ni l’assureur du preneur (en raison de la clause de renonciation à recours), ni l’assureur de l’immeuble ne couvrait les dommages causés aux parties privatives appartenant au bailleur… qui doit donc en assumer toutes les conséquences. »
Droit des sociétés
Tribunal de commerce d’Annecy, 31 août 2021, n° 2020J00063 : dans le cadre d’une cession de titres, appréciation de la notion de prix dérisoire au sens de l’article 1169 du code civil au regard de l’opération d’ensemble
Edouard de Mellon, collaborateur chez DELSOL Avocats : « Statuant sur une demande de nullité d’une cession des titres d’une société à l’euro symbolique, fondée à la fois sur le dol et sur la notion de contrepartie dérisoire définie par le nouvel article 1169 du Code civil, le tribunal de commerce d’Annecy rappelle opportunément, d’une part, la nécessité de démontrer le caractère intentionnel de la tromperie alléguée, condition trop souvent passée sous silence, et, d’autre part, que la notion de prix dérisoire doit s’analyser au regard du contexte global de la cession qui, en l’espèce, s’inscrivait dans le cadre d’une opération dont le périmètre dépassait celui de la seule cession litigieuses, de sorte que le prix symbolique trouvait sa justification au regard de l’opération d’ensemble.
Il s’agit là d’une application pragmatique et prudente du nouvel article 1169 du Code civil, qui ne saurait trouver à s’appliquer automatiquement en cas de prix symbolique. »
Droit des assurances
Tribunal judiciaire du Mans, 8 octobre 2021, n° 21/00168 : caractère non engageant d’un procès-verbal pour un assureur malgré la signature de son expert
Romain Bruillard, associé chez PHPG Avocats : « Cette décision illustre la difficulté qu’ont parfois les juges du fond à appréhender la valeur probante d’un procès-verbal de constatations relatives aux causes et circonstances et à l’évaluation des dommages. Saisi d’une demande de provision, le juge des référés estime que l’assureur “ne peut être considéré comme engagé par la signature de ce document par son expert”. Or, en principe, la jurisprudence majoritaire retient qu’un assureur dont l’expert avait signé un tel procès-verbal est lié par les constats y figurant (CA Angers, 22 mars 2016, RG n°15/00990 ; CA Aix-en-Provence, 14 mai 2020, RG n° 19/09513). »
Droit international privé
Tribunal de commerce de Nantes, 7 Avril 2021, n° 2021000042 : échec de mise en oeuvre du privilège de juridiction prévu par l’article 14 du code civil en raison de l’existence d’une clause attributive de juridiction
Georges Sioufi, associé chez SRDB Law Firm : « Une assignation en redressement judiciaire a été délivrée par un déposant franco-libanais à l’encontre d’une banque libanaise n’ayant elle-même aucun actif en France.
La compétence au titre de l’article 14 du code civil n’est pas retenue par les juges au motif que les documents d’ouverture de compte signés par le déposant comportaient une clause attribuant compétence aux tribunaux de Beyrouth. Cette clause attributive de juridiction n’a pas été jugée abusive par les juges consulaires au sens des articles 1171 du Code civil et L.212-1 du Code de la consommation.
L’affaire est actuellement pendante devant la Cour d’Appel de Rennes. Les premiers juges n’ayant pas eu l’occasion de se prononcer sur la demande de redressement judiciaire, on peut se projeter en se demandant comment, en pratique, se déroulerait le redressement judiciaire d’une banque étrangère n’ayant aucun actif en France, si celui-ci était décidé par la Cour. »
Droit pénal
Tribunal correctionnel d’Orléans, 20 octobre 2021, n° 21293000002 : relaxe d’un prévenu en raison du caractère sommaire du test ne permettant pas de démontrer que les produits sont des stupéfiants
Robin Binsard, associé chez Binsard Martine Associés : « Le tribunal a relaxé le prévenu, car les enquêteurs avaient omis d’effectuer un test du taux de THC des produits présentés comme des stupéfiants.
C’est une décision d’une parfaite rigueur juridique, car sans certitude sur le taux de THC, il est impossible d’affirmer que les produits sont stupéfiants et tombent sous le coup de la loi pénale. »
Yann Herrera, associé chez Herrera Avocat : « Ce jugement illustre l’indépendance des procédures fiscales et pénales.
Dans ce dossier, un gérant était poursuivi pour fraude fiscale à la suite d’une plainte de l’administration fiscale et d’un redressement fiscal définitif de sa société.
L’administration faisait valoir que le redressement n’ayant pas été contesté, le gérant ne pouvait qu’être condamné pénalement et réclamait solidarité avec les sommes dues par la société.
Le Tribunal ne l’a pas suivie et a relaxé le gérant. »
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Docteure en droit et diplômée de l'Essec, Eloïse est rédactrice en chef du Blog Predictice.