Le critère d'ordre de licenciement lié à l’âge doit être associé à des difficultés de réinsertion sur le marché du travail pour être objectif (CA Toulouse, 22 avril 2022).
Une manipulatrice en radiologie a été embauchée par un cabinet médical employant moins de dix salariés en 2010. Elle a bénéficié d’un premier congé maternité en 2014 et d’un second entre septembre 2016 et janvier 2017. À la suite de ces congés, elle a demandé la mise en place d’un congé parental d’éducation. En novembre 2017, son employeur l’a convoquée à un entretien préalable de licenciement pour motif économique compte tenu de la baisse du chiffre d’affaires de l’entreprise. Ce licenciement est intervenu le 7 décembre de la même année.
Après avoir demandé la communication des critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse pour contester son licenciement.
L’obligation d’établir des critères d’ordre
Lors d’un licenciement pour motif économique collectif ou individuel, l’employeur a l’obligation d’établir des critères d’ordre afin de s’assurer que le choix du salarié licencié est objectif et non discriminatoire. En l’espèce, la salariée considérait que son employeur n’avait pas respecté l’articulation des critères légaux d’ordre du licenciement. Elle supposait également l’existence d’une discrimination liée à la succession de ses deux maternités et de ses demandes de congé parental d’éducation.
L’article L1233-5 du Code du travail dispose que : « Lorsque l'employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l'absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements, après consultation du comité social et économique. Ces critères prennent notamment en compte :
1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ;
2° L'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise ;
3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ;
4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie.
L'employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l'ensemble des autres critères prévus au présent article. »
L’article L1233-7 du Code du travail dispose quant à lui que : « Lorsque l'employeur procède à un licenciement individuel pour motif économique, il prend en compte, dans le choix du salarié concerné, les critères prévus à l'article L. 1233-5. »
En l’espèce, le cabinet comptait trois salariés dont deux manipulatrices en radiologie. Pour déterminer laquelle de ces deux personnes serait licenciée, l’employeur a retenu les critères suivants dans cet ordre : l'âge, les charges de famille, la situation matrimoniale, l’ancienneté et la polyvalence.
Dans un jugement du 8 juillet 2020, le conseil de prud’hommes de Toulouse relève que le critère relatif à la situation matrimoniale a fait la différence dans la mesure où la seconde salariée était en instance de divorce au moment de la procédure. Il ne constate pas de violation du principe de non-discrimination dans l’articulation des critères d’ordre et déboute la salariée licenciée de l’ensemble de ses demandes.
LIRE LA DÉCISION >> Conseil de prud'hommes de Toulouse, 8 juillet 2020, n° 18/00874
La manipulatrice en radiologie a interjeté appel de cette décision. En appel, les juges ont étudié chaque critère afin d’analyser leur caractère objectif. Les débats se sont notamment concentrés sur le critère lié à l’âge retenu par l’employeur.
Le critère lié à l’âge doit être associé à des difficultés de réinsertion sur le marché de l’emploi
Pour rappel, l’âge est un critère légal au sens de l’article L1233-5 du Code du travail en présence de salariés âgés dans la mesure où leur réinsertion professionnelle peut être difficile. En l’espèce, les deux salariés étaient âgés de 34 et 40 ans de sorte que leur situation propre n’entrait pas dans ce cadre. En revanche, la liste de l’article L1233-5 n’étant pas limitative, l’employeur peut retenir le critère de l’âge même en l’absence de salariés particulièrement âgés pour différencier des salariés très proches. L’employeur avait ainsi considéré que la seconde manipulatrice en radiologie qui avait la quarantaine et qui était un parent isolé aurait davantage de difficultés pour retrouver un travail. Il lui avait ainsi attribué un point supplémentaire à ce titre.
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Pour décider que l’employeur n’a pas respecté les critères d’ordre, la Cour d’appel de Toulouse relève d’abord que la différence d’âge entre les deux salariées était faible. Surtout, les juges considèrent que l’employeur a fait une erreur d’appréciation dans la mesure où il a retenu le fait que la seconde salariée était un parent isolé pour lui attribuer un point supplémentaire lié à l’âge. En effet, la situation familiale étant déjà prise en compte par les autres critères, l’employeur ne pouvait pas faire de nouveau référence à cette situation pour différencier les salariés sur ce critère. Ainsi, le critère de l’âge ne pouvait être retenu que s’il était associé à des difficultés particulières de réinsertion sur le marché du travail.
Les juges ont ainsi considéré que : « Si Monsieur A, comme il l’a déclaré, a privilégié la situation familiale, il ne pouvait aller au-delà des critères déjà pris en compte au titre de la situation maritale et des charges de famille, en ajoutant un critère lié à l’âge, sans référence à une exigence particulière de difficulté d’insertion professionnelle, au regard de la faible différence d’âge entre les salariées alors que l’expérience allant de pair avec l’âge était plus favorable à Madame B ».
LIRE LA DÉCISION >> Cour d'appel de Toulouse, 22 avril 2022, n° 20/02158
« Dans les petites structures comme celle de l’espèce, la motivation économique du licenciement est difficilement contestable puisqu’il suffit à l’employeur de prouver une baisse du chiffre d’affaires ou de l’activité sur un trimestre. Contester l'articulation des critères d’ordre est donc un axe de travail supplémentaire pour l’avocat pour obtenir un dédommagement. Dans ce dossier, l’employeur avait décidé de récompenser l’autre salariée qui avait “sauvé l’entreprise” (propos de l’employeur lors de l’entretien préalable) en remplaçant ma cliente qui avait eu le défaut de partir en congé maternité deux fois de suite puis en congé parental d'éducation. Il ne s’agissait donc pas d’une application objective des critères légaux d’ordre de licenciement mais plutôt d’une application subjective, pour faire en sorte que la salariée qui avait pourtant le plus d’ancienneté obtienne le minimum de points et soit élue au licenciement suite à la suppression de son poste. C’est quelque chose dont on parle assez peu mais qui doit être systématique pour l’avocat dans le cadre d’un licenciement personnel ou collectif pour motif économique. » - Maître Jérémie Aharfi, avocat de la salariée licenciée.
L’indemnisation du préjudice de perte injustifiée de l’emploi
La sanction d’une application déloyale des critères d’ordre n’est pas l’annulation du licenciement mais la réparation du préjudice subi du fait de la perte de l’emploi. Il ne s’agit donc pas pour le juge d’appliquer le barème Macron puisque le licenciement n’est pas requalifié. Il appartient aux juges de chiffrer le préjudice subi par le salarié du fait de la perte de son emploi pour lui octroyer des dommages et intérêts. Pour cela, les juges se fondent notamment sur l’ancienneté du salarié et sur la réinsertion professionnelle pour se prononcer. En l’occurrence, après avoir constaté que la salariée licenciée avait bénéficié de plusieurs allocations auprès de Pôle Emploi, la Cour d’appel de Toulouse a condamné l’employeur à lui verser 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, ainsi que 1735 euros au titre de la prime d’ancienneté et 2500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile
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Juriste et entrepreneur, Pierre-Florian est rédacteur pour le Blog Predictice.