Annulation pour dol d’une promesse de vente d’un terrain à bâtir

22 juillet 2022

4 min

Le promettant qui n’informe pas le bénéficiaire de la promesse de vente que le terrain à bâtir est exploité par un tiers dans le cadre d’un prêt à usage commet un dol justifiant son annulation (CA Paris, 10 juin 2022)

 

Le 9 décembre 2015, une SCI a consenti une promesse unilatérale de vente à deux sociétés d’une parcelle de terre à usage de terrain à bâtir. Cette promesse prévoyait le versement d’une indemnité d’immobilisation de 140 000 euros et stipulait que le terrain devait être libre de toute occupation.

 

Quelques jours avant la date d’expiration de la promesse, un agriculteur a informé les bénéficiaires qu’il avait déposé une demande d’autorisation d’exploitation auprès du préfet et qu’il entretenait et exploitait ce terrain depuis 2001. Les bénéficiaires n’ont donc pas levé leur option et ont demandé au promettant de leur restituer le montant de l’indemnité d’immobilisation.

 

 

« Dans ce dossier, l'absence d'occupation du terrain était une condition déterminante du consentement des bénéficiaires de la promesse qui souhaitaient y aménager un lotissement d'activités commerciales et artisanales. À ce titre, les bénéficiaires avaient engagé d'importants frais d'étude.

Or, quelques semaines avant la date d'expiration de la promesse, un agriculteur s'est manifesté et a indiqué aux bénéficiaires être titulaires d'une autorisation d'entretien et d'exploitation du terrain depuis 14 ans.

Les bénéficiaires ont alors demandé des explications à la promettante qui a nié l'existence d'une quelconque autorisation octroyée à cet agriculteur. La réitération par acte authentique n'a donc pu avoir lieu. » - Maître Amandine Labro, avocat au Barreau de Paris en droit immobilier et droit commercial

 

 

Les bénéficiaires ont assigné la société promettante afin d’obtenir la restitution de l’indemnité d’immobilisation. Ils considéraient en effet que la SCI avait manqué à son obligation précontractuelle d’information et était l'auteur d'un dol dans la mesure où elle ne pouvait ignorer l’occupation du terrain par l’agriculteur. Ils faisaient également valoir que le promettant savait que le caractère inoccupé du terrain était une information déterminante pour les bénéficiaires. Les bénéficiaires demandaient ainsi au tribunal de reconnaître que la dissimulation de l’occupation du terrain revêtait un caractère dolosif justifiant l’annulation de la promesse de vente.

 

Le 29 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Paris a rejeté les demandes des sociétés bénéficiaires de la promesse de vente. En effet, les juges ont considéré qu’il n’était pas établi que le promettant avait connaissance de l’exploitation du terrain par l’agriculteur depuis 2001. Par ailleurs, le tribunal a relevé que le promettant avait notifié son intention à ce dernier de ne pas lui permettre d’exploiter le terrain en question dès lors qu’il avait eu connaissance de la demande d’autorisation d’exploitation. Les juges ont donc estimé que : « compte tenu de cette réponse adressée à la Direction départementale des territoires de Haute-Garonne et du manque de sérieux apparent des demandes de M. X, la SCI n’était pas tenue d’informer les bénéficiaires de la promesse de la demande d’autorisation d’exploiter le terrain formée par ce dernier. Elle n’a donc pas manqué à son obligation d’information précontractuelle ».

 

LIRE LA DÉCISION >> Tribunal judiciaire de Paris, 29 octobre 2020, n° 18/00825

 

Les bénéficiaires ont relevé appel de cette décision et ont apporté de nouveaux éléments permettant de prouver que le promettant avait connaissance du prêt à usage qui avait été consenti à l’agriculteur par les anciens propriétaires du terrain en 2001.

 

Le défaut d’information relatif à l’exploitation du terrain est constitutif d’un dol

 

« Devant la Cour d'Appel de Paris, le débat portait essentiellement sur l'existence du prêt à usage consenti à cet agriculteur et son régime, la connaissance de son existence par la promettante avant la signature de la promesse et la qualification du dol ayant vicié le consentement des bénéficiaires.

L'agriculteur était également partie à la procédure. Alors qu'il apportait la preuve de l'entretien et de l'exploitation du terrain depuis des années par ses soins, la promettante n'a pu démontrer le contraire, notamment les actes d'entretien qu'elle aurait accomplis elle-même. Les bénéficiaires avaient de leur côté pu établir, par la production de photos aériennes, l'exploitation continue du terrain depuis des années. Les bénéficiaires ont également réussi à mettre en évidence que la promettante avait nécessairement connaissance de l'existence de ce prêt à usage dès lors que le groupe coté en bourse auquel elle appartenait avait acquis à la barre du tribunal les actifs corporels, incorporels et immobiliers (dont le terrain) d'une société en liquidation judiciaire, et avait embauché son dirigeant qui avait lui-même octroyé l'autorisation à l'agriculteur.

Enfin, les bénéficiaires ont démontré que le prêt à usage qui faisait l'objet, chaque année depuis 2001, d'une reconduction tacite n'a jamais été dénoncé par la promettante. » - Maître Amandine Labro, avocat au Barreau de Paris en droit immobilier et droit commercial

 

 

LIRE LA DÉCISION >> Cour d’appel de Paris, 10 juin 2022, n°20/18524

 

 

Le 10 juin 2022, la Cour d’appel de Paris a infirmé le jugement du Tribunal Judiciaire au motif que la promettante « ne pouvait ignorer que ce terrain était exploité puisque, n'ayant elle-même accompli aucun acte d'entretien, l'état du terrain révélait cette exploitation et qu'il était ainsi établi que la promettante, qui ne justifiait pas avoir pris les mesures pour mettre fin à ce prêt et permettre la libération du terrain au jour de la réalisation de la vente, n'avait pas informé les bénéficiaires de la réalisation de la situation du terrain occupé par l'agriculteur ».  La cour d’appel a considéré que la dissimulation de cette information déterminante pour les bénéficiaires était constitutive d'un dol justifiant la nullité de la promesse. Par conséquent, les juges ont condamné la SCI à restituer l'indemnité d'immobilisation et à indemniser les bénéficiaires des frais d'études qu’ils avaient engagés. La cour d’appel a également débouté le promettant de son appel en garantie contre l’agriculteur, considérant qu’il avait occupé le terrain au titre d’un prêt à usage renouvelé par tacite reconduction.

 

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Pierre-Florian Dumez

Juriste et entrepreneur, Pierre-Florian est rédacteur pour le Blog Predictice.

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