Réparation du préjudice d’anxiété lié à l’amiante : 2 ans pour agir

21 janvier 2022

10 min

préjudice d'anxiété
L’action en réparation du préjudice d’anxiété d’un salarié exposé à une substance se prescrit par deux ans (CPH Albertville, 13 janv. 2021 ; CA Chambéry, 18 nov. 2021)

La résistance de l’amiante à la chaleur et à la tension ainsi que son prix bon marché ont contribué à la rendre incontournable au sein des usines à partir du XIXème siècle. Si ce composant est remarquable pour la construction, celui-ci est extrêmement toxique. L’inhalation de ses particules fines engendre des pathologies mortelles qui peuvent se révéler des années après l’exposition au produit. De nombreux opérateurs d’usine sont aujourd’hui confrontés à une véritable marée d'actions judiciaires en réparation des préjudices de leurs salariés exposés à l’amiante.

 

En l’espèce, le demandeur a occupé le poste de mécanicien au sein d’une usine de 1970 jusqu’à sa retraite en 2009. Cette usine a pour activité principale la fabrication de produits métallurgiques, notamment en acier inoxydable et a été inscrite sur la liste des établissements ayant utilisé de l’amiante pour la période allant de 1967 à 1996 par un arrêté du 23 décembre 2014, publié le 3 janvier 2015.

 

Cette inscription ouvre un droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) pour les salariés concernés. Ce dispositif permet ainsi aux salariés exposés de cesser leur activité professionnelle à partir de 50 ans et de bénéficier d’un revenu de remplacement jusqu’à la liquidation de leurs droits à la retraite.

 

Dix ans après la fin de son contrat de travail, l’ancien salarié de ce site a saisi le conseil de prud'hommes (CPH) d'Albertville afin de solliciter la somme de 20.000 € en réparation de son préjudice d'anxiété généré son inquiétude permanent de déclarer à tout moment une maladie liée à l'amiante.

 

Le préjudice d’anxiété, un préjudice d’origine jurisprudentiel 

Le préjudice d’anxiété a été découvert par la jurisprudence afin de caractériser et de réparer le préjudice moral généré par une inquiétude constante de développer et déclarer une maladie. Depuis 2010, la Cour de cassation reconnaît l’existence d’un tel préjudice pour les salariés ayant travaillé dans des usines qui ont traité de l’amiante. En effet, pour la Cour de cassation, le fait d'avoir été possiblement exposé à l’amiante génère une « situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante » (Cass. soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241). Les dommages alloués ont vocation à indemniser le coût du suivi psychologique du salarié ainsi que les frais occasionnés par le bouleversement de ses conditions d’existence. 

 

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En l’espèce, le demandeur invoquait justement le préjudice d’anxiété qu’il subirait en raison de son inquiétude de développer une maladie liée à l’amiante après avoir travaillé près de 40 ans dans l’usine d’aciérie. 

 

« La reconnaissance du préjudice d’anxiété de développer une maladie liée à l’amiante, par des arrêts du 11 mai 2010, a été le commencement de l’ouverture d’une boîte de Pandore contre les entreprises, car tout salarié qui n’avait pas développé une maladie s’est retrouvé à même d’agir pour obtenir des dommages-intérêts, dès lors qu’il travaillait sur un site reconnu comme ayant utilisé de l’amiante par l’État. C’est ainsi que des milliers de recours ont été formés et de nombreuses sociétés ont fait faillite. » - Sylvie Gallage-Alwis, associée au sein du cabinet Signature Litigation et conseil de l’employeur. 

 

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L’assouplissement progressif des conditions pour agir en justice 

La Cour de cassation limitait initialement la reconnaissance du préjudice d'anxiété aux salariés justifiant du fait d'avoir été exposé à l’amiante au sein d’un des établissements classés amiante conformément à l’article 41 de la loi 98-1194 du 23 décembre 1998 et listés au sein de l’arrêté du 7 juillet 2000 fixant la liste des établissements et des métiers de la construction et de la réparation navales susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité dans sa version en vigueur au 17 juillet 2021 (en ce sens : Cass. soc., 25 septembre 2013 n° 12-12.883 ; Cass. soc., 2 avril 2014 n° 12-29.825 ; Cass. Soc. 3 mars 2015, n° 13-26.175). Elle a cependant progressivement abandonné l’exigence incombant au salarié de rapporter la preuve de contrôles et examens médicaux réguliers afin de caractériser l’existence de son préjudice (Cass. Soc. 4 décembre 2012, n° 11-26.294).

 

Ainsi, les salariés non éligibles à l'ACAATA étaient privés de tout recours en réparation de leur préjudice d'anxiété, car la Cour de cassation refusait la possibilité de solliciter une indemnisation au titre du manquement de l’employeur à son l'obligation de sécurité (Cass. soc., 27 janv. 2016, n°15-10.640 ; Cass. soc., 26 avr. 2017, n°15-19.037).

 

Par la suite, la chambre sociale de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en 2019 et allégé les conditions de recevabilité de la demande en réparation du préjudice d’anxiété. Désormais, le salarié exposé à l’amiante dans le cadre de son activité professionnelle n’a plus à justifier d’un sentiment général d’anxiété, du fait qu’il effectue des examens médicaux réguliers ou encore que son état constant d’anxiété a bouleversé ses conditions d’existence. Ainsi, en avril 2019, la Cour de cassation a reconnu aux salariés qui ont été exposés à l'amiante, mais qui ne travaillaient pas dans un établissement figurant sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l’ACAATA, la possibilité d’agir en réparation de leur préjudice d’anxiété sur la base du manquement de leur employeur à son obligation de sécurité : « il y a lieu d’admettre, en application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, que le salarié qui justifie d’une exposition à l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n’aurait pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée » (Cass. A.P. , 5 avr. 2019, n°18-17.442).

 

Ainsi, l'arrêt du 5 avril 2019 instaure un régime double régime de responsabilité pour les salariés exposés à l’amiante. D'une part, pour les salariés qui bénéficient de l’ACAATA, il suffit de démontrer d'avoir travaillé dans un établissement listé par l’arrêté ministériel. D'autre part, les salariés des établissements qui ne sont pas inscrits sur cette liste, doivent, eux, justifier d'une exposition à l'amiante. Dans cette hypothèse, leur employeur doit rapporter la preuve qu’il a mis en œuvre toutes les mesures de prévention adéquates pour prévenir une exposition à l’amiante.

 

En septembre 2019, la chambre sociale a également accepté l’action en réparation du préjudice d'anxiété lié aux expositions à « une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave », et non plus seulement à l’amiante (Cass. soc., 11 septembre 2019, n° 17-24.879). 

 

De plus, la Cour de cassation a reconnu l'application du régime de responsabilité de droit commun afin de permettre aux salariés justifiant d'une exposition à l'amiante d'agir contre leur employeur sur la base de l'obligation de sécurité, même si l'établissement ne fait pas partie de ceux ouvrant droit au bénéfice de l’ACAATA (Cass. soc., 11 septembre 2019, n° 17-24.879 et 17-26.879 ; Cass. soc., 20 nov. 2019, n°18-19.578).  

 

Enfin, par cinq arrêts du 23 octobre 2021, la Cour de cassation a rappelé que « la seule exposition au risque créé par une substance nocive ou toxique n’est pas suffisante pour caractériser la reconnaissance du préjudice d’anxiété » et que celui-ci ne peut être reconnu, d’une part, lorsque le salarié démontre que son employeur a manqué à son obligation de sécurité et, d’autre part, lorsque son état de santé du salarié laisse pressentir la « déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante [ou une autre substance toxique] avec le risque d'une pathologie grave pouvant être la cause de son décès » (Cass., soc., 13 octobre 2021 n° 20-16.617, 20-16.585, 20-16.584, 20-16.593 et 20-16.583).

 

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En l’espèce, l’ancien salarié du site de métallurgie a fait valoir devant le conseil de prud'hommes d'Albertville que l’usine de son ancien employeur avait été listée comme ayant utilisé de l’amiante et qu’il risquait de développer une pathologie grave. Néanmoins, le sujet principal d'opposition reposait sur la détermination du délai de prescription pour agir en réparation de ce préjudice. 

 

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L’irrecevabilité de l’action en réparation pour dépassement du délai de prescription

Confronté à un très grand nombre d’instances menées par d’anciens ou actuels salariés, l’employeur a soutenu que le délai pour agir sur la base du préjudice d’anxiété est de deux ans conformément aux dispositions de l'article L.1471-1 du Code du travail. Le demandeur, lui, a soutenu que la Cour de Cassation ne s'est en réalité jamais prononcée sur la question de la prescription biennale et qu’un flou juridique subsiste quant à une possible différence de prescription entre les sites listés et non-listés. 

 

Le conseil de prud'hommes a tout d’abord rappelé que le délai de droit commun applicable aux actions délictuelles et contractuelles est de cinq ans en vertu de l'article 2224 du Code civil. De plus, selon l'article 2222 du Code civil, « en cas de réduction de la durée du délai de prescription [...], ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. » (jugement du CPH, p.5). Or, l'article L.1471-1 du Code du travail, introduit par la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, dispose que : « Toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit [...] Les deux premiers alinéas ne sont toutefois pas applicables aux actions en réparation d'un dommage corporel causé à l'occasion de l'exécution du contrat de travail  [...] » (jugement du CPH, p.5). Ce texte précise donc que le délai de prescription biennale n'est pas applicable aux actions en réparation d'un dommage corporel causé à l'occasion de l'exécution d'un contrat de travail.

 

Se posait donc la question de déterminer si le préjudice d'anxiété est un préjudice corporel ou non. À ce titre, le conseil de prud'hommes a retenu que le préjudice d’anxiété « se définit comme un préjudice moral » (jugement du CPH, p.5) et donc non corporel. En effet, la chambre sociale de la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser en 2020 que le préjudice d’anxiété est bien relatif à l'exécution du contrat de travail et relève de l'exécution du contrat de travail (Cass., soc., 8 juillet 2020, n° 19-13.167). Dès lors, elle applique le délai de prescription de deux ans à l'action en indemnisation du préjudice d'anxiété.

 

De plus, le site exploité par l’employeur a été inscrit sur la liste des établissements le 3 janvier 2015, et ce, uniquement pour la période allant du 1er janvier 1967 au 31 décembre 1996. Or, selon le conseil de prud'hommes, cette date de publication « est également celle du point de départ du délai de prescription de l'action en réparation de ce préjudice » (jugement du CPH, p.6). Dès lors, il a été considéré que « les salariés de l'entreprise auraient eu connaissance à compter de 2007 qu'une procédure était en cours en vue de faire classer le site [...] au moyen des communications syndicales, d'une décision de classement prise par le directeur général du travail, des rapports du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou d'articles de presse » (jugement du CPH, p.6).

 

Si le conseil de prud'hommes d’Albertville a bien reconnu que le demandeur a travaillé sur le site de 1970 à 2009, soit pendant la période visée par l’arrêté listant le site, celui-ci n’a introduit sa demande que le 19 novembre 2019, « soit 4 ans et 10 mois après la publication de l'arrêté ministériel du 3 janvier 2015 » (jugement du CPH, p.6). Or, selon le raisonnement du conseil de prud'hommes, puisqu’il s’agit de la réparation d’un préjudice moral et non de la réparation d’un dommage corporel, « l'action intentée [...] est soumise à la prescription biennale de l'article L.1471-1 du Code du travail » (jugement du CPH, p.6). La demande de l’ancien salarié aurait donc dû intervenir avant le 3 janvier 2017.

 

« La jurisprudence en matière de préjudice d’anxiété est devenue extrêmement favorable au cours des années aux salariés avec des présomptions de faute, préjudice et lien de causalité prononcées par la Cour de cassation contre l’employeur – un régime de responsabilité totalement dérogatoire. On aurait donc pu s’attendre à un régime dérogatoire en matière de prescription. Tel n’a pas été le cas, sûrement pour contenir l’hémorragie que ces recours ont constituée. » - Sylvie Gallage-Alwis, associée au sein du cabinet Signature Litigation et conseil de l’employeur. 

 

Par conséquent, sa demande étant irrecevable car jugée prescrite, le demandeur a été débouté de l’ensemble de ses demandes.

 

LIRE LA DÉCISION >> Conseil de Prud'hommes d’Albertville, 13 janvier 2021, n°19/00260

 

La contestation du délai de prescription biennal en appel

Insatisfait de cette décision, l’ancien salarié de l’usine a interjeté appel le 1er février 2021, et demandé que son action en réparation soit déclarée recevable en raison de son exposition à l'inhalation des fibres d'amiante durant son activité professionnelle au sein de la société défenderesse, et de l’application d’un délai de prescription quinquennal. En défense, l’employeur a sollicité la confirmation en tous points du jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Albertville. 

 

Tout l’enjeu de cet appel était ainsi de déterminer quelle disposition, et donc quel délai de prescription, sont applicables à l’action en réparation du préjudice d’anxiété de salariés exposés à l’amiante sur un site listé.

 

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La Cour de cassation avait tout d’abord considéré que le délai de prescription était de cinq ans conformément au droit commun (Cass. soc., 29 janv. 2020, n°18-15.388). Cependant, en juillet 2020, la chambre sociale a précisé que, lorsqu’elle est invoquée par un salarié qui n’a pas travaillé dans un établissement classé, l’action en responsabilité de droit commun contre l’employeur doit s’exercer dans un délai de deux ans à compter de « la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l’amiante », sans que ce point de départ ne puisse être antérieur à la date à laquelle cette exposition a pris fin (Cass. soc., 8 juillet 2020, n° 18-26.585 ; Cass. soc., 12 nov. 2020, no 19-18.490).

 

En l’espèce, la cour d’appel de Chambéry a tout d’abord souligné le fait que, quel que soit le délai de prescription retenu, soit la prescription biennale de l'article L.1471-1 du Code du travail, soit la prescription quinquennale de l'article 2224 du Code civil, son point de départ n’est pas contesté. Il est ainsi fixé au jour de la connaissance du risque à l'origine de l'anxiété, soit le jour de l'arrêté ministériel inscrivant le site sur la liste des établissements permettant la mise en œuvre du régime de l'ACAATA, à savoir le 3 janvier 2015. En effet, pour les salariés éligibles au dispositif d’ACAATA, il est de jurisprudence constante que le point de départ du délai de prescription est fixé à la date de la publication du premier arrêté ministériel inscrivant l'établissement sur la liste (Cass. soc., 19 novembre 2014, n°13-19.263 ; Cass. soc., 29 janvier 2020, n°18-15.388 et 18-15.396).

 

L’affirmation d’un délai de prescription biennal pour réparer le préjudice d’anxiété 

Se ralliant à la jurisprudence de la Cour de cassation, les juges d’appel ont estimé que l'action en réparation du préjudice d’anxiété d’un salarié, possiblement exposé à l’amiante dans un établissement listé par arrêté ministériel, pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante « se rattache à l'exécution du contrat de travail et plus spécialement à un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité à laquelle il est tenu en vertu du contrat de travail en application de l'article L. 4121-1 du code du travail » (arrêt d’appel, p.3). En outre, pour la cour, l'inscription de l'établissement sur la liste n’instaure « pas un régime spécifique de responsabilité mais fait simplement reposer l'indemnisation du préjudice d'anxiété sur une double présomption jurisprudentielle » (arrêt d’appel, p.4). 

 

LIRE LA DÉCISION >> Cour d’appel de Chambéry, 18 novembre 2021, n°21/00179

 

Cette double présomption est constituée, d’une part, de « la présomption d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat en raison de l'inscription de son établissement sur la liste [...] » (arrêt d’appel, p.4) et, d’autre part, de « la présomption d'un préjudice subi par le salarié, quel que soit le poste qu'il occupe, en lien avec le manquement » (arrêt d’appel, p.4).

 

« Cet arrêt est intéressant, car si la prescription était initialement de 30 ans, elle a été réduite à cinq ans avec la réforme de la prescription civile et est ensuite devenue de deux ans (recours relatif à l’exécution du contrat de travail), à compter de l’arrêté ministériel listant le site comme ayant utilisé de l’amiante par l’État. Nombreux ont été les demandeurs qui ont argué qu’une telle réduction de ce délai allait à l’encontre des intérêts des salariés qui se seraient retrouvés privés de leur droit d’accès au juge et à un procès équitable. En droite lignée avec de rares arrêts de la Cour de cassation rendus à ce sujet, la cour d’appel de Chambéry a accepté l’application du délai de prescription de 2 ans, alors même qu’avant, elle appliquait un délai de 5 ans» - Sylvie Gallage-Alwis, associée au sein du cabinet Signature Litigation et conseil de l’employeur. 

 

 

Dès lors, si l’action en indemnisation est rattachée à un manquement de l’employeur au cours de l’exécution contrat de travail, la Cour a retenu que celle-ci est « soumise au délai de prescription biennale de l'article L. 1471-1 alinéa 1 du code du travail » (arrêt d’appel, p.4). 

 

Les juges ont justifié l’application de ce délai par le fait qu’il « peut se déduire du caractère général de l'intitulé du titre « Prescription des actions en justice » que l'article L. 1471-1 du code du travail a vocation à prévoir l'ensemble des règles de prescription applicables aux actions en justice dans le domaine des relations individuelles du travail » (arrêt d’appel, p.4), sauf pour les actions relatives au paiement de salaire, en réparation d'un dommage corporel causé à l'occasion de l'exécution du contrat de travail ou de harcèlement moral ou sexuel.

 

Répondant aux arguments de l’appelant selon lesquels l'action en réparation du préjudice d'anxiété était soumise au délai de prescription quinquennale de l'article 2224 du Code civil au moment de la saisine initiale, que l’application du délai quinquennal avait été confirmé par la chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 11 septembre 2019 n°18-50.030) et qu’il aurait un effet effet rétroactif (Cass. soc., 8 juillet 2020, n°18-26.585 pour un site non-classé ; Cass. soc., 12 novembre 2020, n°19-18.490 pour un site classé), la cour d’appel a relevé que « tant la Cour de cassation que la Cour européenne des droits de l'homme estiment que les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante » (arrêt d’appel, p.4). Néanmoins, contrairement à ce qu’a estimé le juge, un risque d’insécurité juridique pour les justiciables peut survenir étant donné la jurisprudence abondante à ce sujet, ainsi que ses nombreux revirements quant aux conditions de recevabilité de telles actions.

 

Ainsi, pour les juges, l’application d’un délai de prescription biennal, et non quinquennal, poursuit un objectif légitime de protection, non pas des salariés demandeurs, mais des employeurs pour « garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions [pour] mettre les défendeurs potentiels à l'abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contrer » (arrêt d’appel, p.4). Cette réduction du délai des salariés pour agir en réparation ne porterait pas pour autant atteinte à leur droit fondamental d’accès au juge selon la cour d’appel.

 

Par conséquent, l’application d’un délai de prescription biennal étant confirmé par la cour d’appel de Chambéry, l’action en réparation du préjudice d'anxiété de l’ancien salarié a été une nouvelle fois déclarée irrecevable. 

 

« Cette jurisprudence laisse à penser que, malgré l’ouverture faite à la possibilité de solliciter des dommages-intérêts au titre de l’anxiété de développer une maladie du fait de l’exposition à n’importe quelle substance, la prescription sera un obstacle procédural majeur à surmonter pour le salarié. Ce qui va réellement compter, c’est la connaissance de son exposition et du risque afférent lié à cette exposition par le salarié, et le délai de deux ans sera un délai court pour agir à partir de là. » - Sylvie Gallage-Alwis, associée au sein du cabinet Signature Litigation et conseil de l’employeur. 

 

Afin de prospérer, l’action en réparation du préjudice d’anxiété doit ainsi être mise en oeuvre avant l'extinction du délai de prescription de deux ans, et ce, peu importe qu’elle soit fondée sur le régime dérogatoire des salariés éligibles à l’ACAATA ou sur le régime de droit commun pour manquement à l’obligation de sécurité pour les salariés des sites non listés. 

 

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Calypso Korkikian

Diplômée de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de Sciences Po, Calypso rédige des contenus pour le Blog Predictice.

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