Selon le rapport Perben, les avocats doivent apprendre à se comporter comme des entrepreneurs ou des prestataires de services. Une assertion qui suscite des interrogations.
Le rapport de la mission relative à l’avenir de la profession d’avocat, appelé « Rapport Perben », est paru récemment. La lettre de mission du 9 mars 2020 justifiait la nécessité d’une enquête en invoquant « la crise profonde » que la profession traverse, faisant allusion à la réforme des retraites et à la ferme opposition que cette réforme a suscitée chez les avocats.
Une profession gravement secouée par des crises multiplesFNF
Or, la situation s’est fortement aggravée depuis. En effet, comme le souligne d’emblée le rapport, la profession d’avocat a été secouée juste après par une seconde crise, celle causée par la pandémie mondiale due au Covid-19. Si le monde entier a été impacté par le nouveau coronavirus, le secteur de la Justice a été l’un des secteurs en France le plus violemment agressé par la crise sanitaire, en raisonF de son manque de moyens. L’activité judiciaire a connu un arrêt presque total pendant plusieurs mois, qui a engendré une crise financière grave pour la majorité des avocats.
Comme en témoigne l’enquête menée par le Conseil National des Barreaux, presque 100% des avocats ont vu leur activité professionnelle totalement ou partiellement arrêtée :
C’est pourquoi, parmi les nombreux points problématiques identifiés par le rapport Perben, figure en bonne place la situation financière des avocats. Comme le note le rapport, « C’est seulement si l’on rentre dans le détail des chiffres que les difficultés apparaissent. Ils révèlent l’hétérogénéité d’une profession au sein de laquelle existent des disparités considérables de revenus. Le rapport d’activité 2017 de la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) indique que : “la moitié de la population déclare une assiette cumulée qui ne représente que 16,3 % du revenu total de la profession”, “63 % de la population déclare 25 % du revenu global” et “3,2 % de la population déclare à elle seule 25 % des revenus de la profession.” Ces disparités jouent notamment au détriment des collaborateurs, des femmes, des avocats de province, des avocats exerçant à titre individuel et des activités judiciaires. »
Or, selon le rapport Perben, les causes de cette situation sont à rechercher chez les avocats eux-mêmes et leur incapacité à se mettre en phase avec les lois du marché. En somme, si leur situation est si mauvaise, c’est parce que les avocats français ont refusé de s'adapter aux exigences de l’innovation.
Un malaise profond
Le rapport se montre en effet très critique à l’égard de la stratégie d’évolution choisie ces dernières années par les avocats et fait écho au rapport Darrois, publié en 2009, qui soulignait la différence d’évolution des avocats français avec les avocats anglo-saxons. Tandis que ces derniers auraient intégré le « service » juridique dans l’économie de marché, les avocats français seraient demeurés pour la majorité d’entre eux très attachés à une vision plus classique de la profession.
Le rapport reproche aux avocats de s’être retranchés derrière le monopole énoncé par l’article 54 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971 pour avoir refusé toute évolution. Le développement des legaltechs, surnommées les « braconniers du droit », serait le fait des avocats eux-mêmes, qui, en se montrant réfractaires aux lois du marché et à l’innovation, leur auraient laissé le champ libre.
Enfin, le rapport Perben conclut, avec une grande fermeté : « La conviction que le droit n’est pas une simple marchandise n’impose pourtant pas obligatoirement d’ignorer les règles du marché, ou d’imaginer qu’on peut y échapper. Volens nolens, les avocats doivent aussi se comporter comme des entrepreneurs et des prestataires de services. »
Une formation inadéquate
Nolens, vraiment ? La profession d’avocat semble avant tout victime d’un cliché sur ses capacités d’adaptation.
En réalité, la pratique en cabinet a évolué, et le succès que rencontrent des outils comme Predictice, ou encore Votre Bien Dévoué, témoigne du souci de modernisation des avocats, friands des nouveaux outils qui leur permettront d’être plus efficaces.
Malheureusement, la formation dont ils disposent ne les prépare pas à affronter les difficultés pratiques auxquelles ils seront nécessairement confrontés. Les voix sont unanimes pour dénoncer la médiocrité de la formation dispensée dans les centres régionaux de formation professionnelle des avocats.
Sur ce point, le rapport Perben formule des recommandations. Il préconise de développer les enseignements cliniques au sein des CRFPA et d’accentuer le caractère entrepreneurial de la formation qu’ils dispensent. L’objectif est de former les futurs avocats aux réalités du marché du droit.
Il était temps. Certains avocats témoignent : “Nous entrons sur le marché du travail sans avoir aucune idée de comment on fait une facture”. En effet, les formations dispensées dans les CRFPA consistent pour l’essentiel dans une redite des cours magistraux dispensés à l’université. Une formation inutile, puisque les élèves avocats maîtrisent déjà leurs fondamentaux, et incomplète, puisque ces enseignements sont beaucoup trop théoriques pour les préparer au marché du travail.
Le droit est-il un service comme un autre ?
Néanmoins, au-delà des questions de réforme nécessaire de la formation délivrée aux futurs avocats, se pose la question de savoir si le rapport Perben voit juste, et si le droit est un service comme un autre.
À première vue, la réponse est négative : en effet, être avocat, c’est faire partie d’une profession libérale réglementée : il faut prêter serment ( « Je jure, comme avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité » - Art.3 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971), s’inscrire à un Ordre et se conformer à une déontologie stricte. L’avocat doit être indépendant, il est tenu au secret professionnel et s’interdit tout conflit d’intérêts.
Comme le dit Louis Larret-Chahine, fondateur de Predictice : « Le marché du droit n’est pas celui des trottinettes », et il est vrai que les legaltechs qui ont investi le marché doivent respecter une éthique rigoureuse.
Il demeure que la profession d’avocat est tiraillée par d’autres impératifs, qu’il lui faut apprendre à concilier avec ses propres principes éthiques. Les mentalités des clients, modelées par la société de consommation et Internet, ont changé. À présent, tout doit être accessible facilement et immédiatement. Les questions doivent trouver des réponses immédiates et concrètes. Les conflits doivent être aplanis avec rapidité et efficacité.
L’assurance de protection juridique a bien compris ces nouvelles exigences. Ce secteur, qui a vocation à encourager la consommation des « produits juridiques », considère qu’il a encore de belles perspectives de croissance devant lui. Conscientes des nouvelles exigences des assurés, les entreprises d'assurance ont encouragé le développement des outils de selfcare, c’est-à-dire les outils permettant aux assurés de trouver rapidement et de façon autonome la réponse aux questions qu’ils se posent.
La contractualisation des différends constitue également un des marqueurs de cette évolution du droit. Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, entré en vigueur depuis janvier 2020, fait suite à la loi dite de « Justice du XXIe siècle » n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, développée par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice.
Le décret a réécrit l’article 4 de la loi du 18 novembre 2016 : ainsi, depuis le mois de janvier, toutes les demandes tendant au paiement d’une somme inférieure ou égale à 5000€, ainsi que les demandes relatives à un conflit de voisinage, doivent être obligatoirement précédées d’un recours préalable à un mode de résolution amiable des différends à peine d’irrecevabilité. Le choix est désormais ouvert, entre la médiation, la conciliation, et la procédure participative.
Le déploiement des modes alternatifs de résolution des différends procède, selon le Conseil constitutionnel, du principe de bonne administration de la justice. Si l’on passe sur le paradoxe en vertu duquel la justice serait désormais mieux administrée sans intervention du juge, l’on comprend que le déploiement des modes alternatifs a vocation à répondre au besoin de rapidité et d’efficacité des justiciables.
Quelle est la place des avocats dans ce nouveau monde ? Sont-ils condamnés à devenir des entrepreneurs comme les autres ? Ou bien les derniers défenseurs d’une certaine vision du droit ?
Nul ne connaît la réponse, si ce ne sont les principaux intéressés. Désormais, les avocats ont leur sort entre leurs mains, car, comme l’a écrit Mme Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des Barreaux : « Ce n’est personne d’autre que vous qui ferez l’avenir de notre profession ! »
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Docteure en droit et diplômée de l'Essec, Eloïse est rédactrice en chef du Blog Predictice.