IEF : appréciation de l’existence d’une situation propre à l’enfant

28 octobre 2022

4 min

Ecole à la maison
Le motif lié à l’existence d’une situation propre à l’enfant ne suppose pas la démonstration d’un particularisme justifiant la mise en place d’un projet éducatif dérogatoire (TA Rennes, 10/10/22)

 

 

La loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a modifié le régime de l'instruction en famille en substituant au régime de la déclaration celui de l’autorisation préalable. Depuis la rentrée 2022, les parents qui souhaitent instruire eux-mêmes leur enfant en dehors d’un établissement scolaire doivent ainsi obtenir une autorisation délivrée par les services académiques.

 

L’article L131-5 du Code de l’éducation, dans sa version en vigueur depuis le 1er septembre 2022, prévoit ainsi dans son alinéa premier que : « Les personnes responsables d'un enfant soumis à l'obligation scolaire définie à l'article L. 131-1 doivent le faire inscrire dans un établissement d'enseignement public ou privé ou bien, à condition d'y avoir été autorisées par l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation, lui donner l'instruction en famille ». Ce texte précise par ailleurs que : « L'autorisation mentionnée au premier alinéa est accordée pour les motifs suivants, sans que puissent être invoquées d'autres raisons que l'intérêt supérieur de l'enfant : 1° L'état de santé de l'enfant ou son handicap ; 2° La pratique d'activités sportives ou artistiques intensives ; 3° L'itinérance de la famille en France ou l'éloignement géographique de tout établissement scolaire public ; 4° L'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité de la ou des personnes chargées d'instruire l'enfant à assurer l'instruction en famille dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant ».

 

Le dernier motif lié à l’existence d’une situation propre à l’enfant a donné lieu à plusieurs interprétations.

 

Dans une décision n°2021-823 DC du 13 août 2021, le Conseil constitutionnel a considéré que : « En prévoyant que cette autorisation est accordée en raison de  “l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif”, le législateur a entendu que l'autorité administrative s'assure que le projet d'instruction en famille comporte les éléments essentiels de l'enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d'apprentissage de l'enfant.  Enfin, il appartiendra {...} aux autorités administratives compétentes de fonder leur décision sur ces seuls critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit ».

 

Pourtant, les nombreuses décisions rendues en référé par les juridictions administratives cet été ont montré qu’il existait une divergence d’interprétation. Dans des situations similaires, certains juge des référés ont accepté de suspendre l’exécution des décisions de refus d’autorisation d’instruction dans la famille alors que d’autres ont rejeté massivement ces requêtes.

 

Ainsi, le 13 octobre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a refusé de suspendre l’exécution d’une décision de refus d’autorisation considérant que : « Compte tenu du fait que l'instruction obligatoire est désormais donnée, en principe, dans les écoles et établissements d'enseignement, l'administration ne saurait délivrer une autorisation pour dispenser l'instruction en famille présentée sur le fondement du quatrième cas de l'article L. 131-5 du code de l'Éducation lorsque les parents ou les personnes autorisées n'établissent pas expressément l'existence d'une situation propre à l'enfant, ce alors même qu'ils auraient établi pour cet enfant un projet éducatif susceptible de répondre pleinement à ses besoins » (tribunal administratif de Melun, 13 octobre 2022, n° 2209514).

 

Le tribunal administratif de Toulouse a rendu une décision inverse le 26 août 2022 en estimant notamment que : « La loi n'a pas conditionné l'existence d'une situation propre à l'enfant à la démonstration de l'impossibilité de la prise en charge de l'enfant par l'institution scolaire » (tribunal administratif de Toulouse, 26 août 2022, n° 2204434).

 

 

« La situation propre à l’enfant est un motif imprécis qui n’a jamais été défini par le gouvernement ou lors des travaux parlementaires. On a le sentiment que certaines juridictions exigent un particularisme de l’enfant. Pourtant, cette situation propre à l’enfant ne peut pas être liée à son état de santé puisque ces cas de figure font l’objet d’un critère spécifique posé par le 1° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation. Une situation propre, ce n'est pas une situation particulière de l'enfant l'empêchant de mener une instruction en établissement scolaire » - Maître Antoine Fouret, avocat fondateur du cabinet La Norville Avocat

 

 

C’est dans ce contexte que, le 10 octobre dernier, le tribunal administratif de Rennes a rendu les premières décisions au fond sur des refus d’autorisation d’instruction en famille.

 

Dans l’une de ces affaires, un couple de retour d’un long séjour à l’étranger avait sollicité une autorisation d’instruction en famille pour ses trois enfants âgés de 4, 9 et 14 ans en vue de la rentrée de septembre 2022. En juin dernier, le recteur de l’académie de Rennes a délivré à cette famille une autorisation pour l'instruction en famille de l'aîné de la fratrie et a refusé les autorisations sollicitées concernant les deux cadets. En juillet 2022, la commission académique chargée d’examiner les recours administratifs préalables a confirmé ces décisions. Le couple a demandé au tribunal administratif de Rennes de les annuler.

 

Le 10 octobre 2022, le tribunal administratif de Rennes a annulé les deux décisions de la commission académique. Le tribunal a considéré que : « Pour apprécier l’existence d’une situation propre à l’enfant {...} il appartient seulement à l’autorité compétente de s’assurer, par l’examen des éléments constitutifs du dossier de demande d’autorisation {...} et, le cas échéant, après un entretien avec l’enfant, ses responsables et la personne chargée d’instruire l’enfant que le projet éducatif comporte les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de l’enfant pour lequel l’autorisation d’instruction en famille est sollicitée et que la personne chargée d’instruire l’enfant dispose des capacités requises ».

 

LIRE LA DÉCISION >> Tribunal administratif de Rennes, 3ème Chambre, 10 octobre 2022, n° 2204234

 

Dans cette décision, le tribunal administratif de Rennes a relevé que la commission académique avait estimé que les demandes d’autorisation n’établissaient pas l’existence d’une situation propre aux enfants et que les projets d’instruction présentés par les parents n’étaient pas personnalisés au rythme de chacun. Le tribunal a invalidé ce raisonnement, considérant que ces exigences « excédent les seuls critères d’appréciation fixés par les dispositions du code de l’éducation ».

 

Le tribunal a considéré qu’il appartenait seulement aux services académiques de vérifier que le projet comportait les éléments essentiels de l’enseignement adapté aux enfants et que la personne chargée de l’instruction avait les capacités pour mener ce projet éducatif à bien. Les juges ont estimé à ce titre qu’ « il n’appartenait pas davantage aux requérants, contrairement à ce que soutient le recteur, de démontrer que la situation de leurs enfants justifiait un projet particulier dérogatoire à ceux que peuvent proposer les établissements d’enseignement publics ou privés ».

 

Les juges ont donc annulé la décision de la commission académique et enjoint au recteur de l’académie d’autoriser l’instruction en famille des deux enfants au titre de l'année scolaire 2022-2023.

 

 

« Cette série de décisions qui fait une interprétation libérale de la situation propre à l’enfant est salutaire. Néanmoins, il faut rester prudent compte tenu des nombreuses décisions prises en référé cet été. L’audience au fond qui se tiendra devant le tribunal administratif de Melun le 4 novembre prochain sera donc décisive ». - Maître Antoine Fouret, avocat fondateur du cabinet La Norville Avocat

 

 

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Pierre-Florian Dumez

Juriste et entrepreneur, Pierre-Florian est rédacteur pour le Blog Predictice.

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