Rejet d’un déféré demandant l’annulation de l’élection d’un élu local

15 avril 2022

4 min

annulation élection
L’entrepreneur qui se voit confier par la commune la réalisation de travaux spécifiques ne participant pas à l’exécution d’un service public local n’est pas inéligible (TA Nice, 1er février 2021).

Déféré préfectoral demandant l’annulation de l’élection d’un conseiller municipal de Cagnes-sur-Mer 

Le Code électoral prévoit un certain nombre de cas d’inéligibilité au mandat de conseiller municipal. L’inéligibilité peut d’abord être prononcée par le juge ou découler d’une mesure de tutelle ou de curatelle. Mais cette inéligibilité peut aussi être liée aux fonctions ou aux activités professionnelles exercées par le candidat. Ainsi, l’article 231 du Code électoral rend inéligibles les magistrats des cours d’appel et les membres des tribunaux administratifs. Il rend également inéligibles les comptables des deniers communaux et les entrepreneurs de services municipaux. 

 

Cette dernière notion, qui n’est pas définie par le Code électoral, a fait l’objet d’un jugement du tribunal de Nice le 1er février 2021 qui vient préciser ses contours.

 

En l’espèce, en 2020, le préfet des Alpes-Maritimes a demandé au tribunal administratif de Nice d’annuler l’élection d’un conseiller municipal nouvellement élu à la mairie de Cagnes-sur-Mer. Il avançait pour cela l’argument selon lequel ce conseiller municipal était en situation d'inéligibilité du fait de son activité professionnelle. En effet, ce conseiller municipal était également gérant d’une société de travaux titulaire de deux lots d’un marché public conclu avec la commune de Cagnes-sur-Mer. Le préfet estimait que ce conseiller était entrepreneur de services municipaux au sens des dispositions de l’article L. 231 du Code électoral et que le tribunal devait annuler son élection.

 

Dans ce jugement du 1er février 2021, le tribunal administratif de Nice a rejeté le déféré préfectoral, considérant que le conseiller municipal élu à la mairie de Cagnes-sur-Mer n’était pas un entrepreneur de services municipaux au sens du Code électoral.

 

LIRE LA DECISION >> Tribunal administratif de Nice, 1er février 2021, n° 2002630

 

Comment définir un entrepreneur de services municipaux ?

Le tribunal administratif définit l’entrepreneur de services municipaux comme « une personne qui, soit directement, soit par l’intermédiaire d’une entité au sein de laquelle elle joue un rôle prépondérant, participe régulièrement à l’exercice d’un service public communal. »

 

Ce jugement s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence du Conseil d’État qui a identifié trois conditions pour retenir la qualification d’entrepreneur de services municipaux : le contrôle exercé par la commune sur le prestataire, la régularité de leurs relations et le rôle prépondérant de l’élu dans la structure. (B. Maligner, Répertoire du contentieux administratif, Élections : contentieux du droit électoral administratif, Dalloz, 2010). Cette qualification a ainsi pu être reconnue par le Conseil d’État au transporteur assurant le service du ramassage scolaire (Conseil d’État, 23 novembre 1977, n° 8033), ou à l’entrepreneur ayant obtenu la concession d’un terrain pour y exploiter un restaurant d’altitude (Conseil d’État, 18 juillet 1973, n° 83871).

 

En l’espèce, le préfet considérait que le conseiller devait recevoir cette qualification puisque l’entreprise dont il est le gérant est intervenue régulièrement sur des établissements relevant d’un service public local et qu’elle est titulaire de deux lots d’un marché public. En l'occurrence, l’entreprise assurait des « travaux d’aménagement et d’amélioration des bâtiments communaux », dont des travaux de métallerie et vitrerie et la pose de clôtures.

 

Le conseiller municipal estimait pour sa part qu’il n’était pas un entrepreneur de services municipaux dès lors qu’il n’exécutait pas une mission de service public. Il précisait par ailleurs que ces travaux étaient réalisés de façon ponctuelle et aléatoire sans qu’il ne bénéficie d’une exclusivité sur l’exécution des travaux de la part de la commune.

 

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Le tribunal administratif de Nice a rejeté la demande du préfet considérant que : « si la société peut se voir confier des travaux de vitrerie, de métallerie, de fourniture et ou de pose de clôtures sur des bâtiments communaux et leurs annexes, [...] ces interventions ne portent que sur la réalisation de travaux spécifiques et non sur des prestations de service et ne participent pas à l’exécution en tant que telle d’un service public local ». De plus, le tribunal administratif constate que l’entreprise du conseiller n’intervenait pas de façon régulière pour le compte de la commune. Les critères cumulatifs n’étaient donc pas réunis pour que l’élu soit qualifié d’entrepreneur de services municipaux.

 

Le conseiller ne participait pas à l’exécution d’un service public

« En l’espèce, était en jeu la question de savoir si le gérant d’une entreprise titulaire de deux lots d’un marché public de travaux conclu avec une commune pouvait recevoir un tel qualificatif et s’il pouvait, par suite, être élu conseiller municipal au sein de cette même collectivité. Le Tribunal administratif de Nice a rappelé qu’une telle qualification est attribuée à la personne qui participe à une véritable mission de service public communal, et non, comme en l’espèce, celle se limitant à réaliser de manière ponctuelle des travaux sur des bâtiments communaux, quand bien même ils sont gérés directement par la commune dans un but d’intérêt général. » - Maître Fabien Grech, avocat du conseiller municipal

 

 

Si ces cas d’inéligibilité liés à l’activité professionnelle permettent de prévenir des situations de conflits d’intérêts, cette distinction faite par le tribunal administratif de Nice est pragmatique. En effet, il ne paraît pas proportionné de rendre inéligibles tous les candidats qui ont un lien avec la commune dans le cadre de leur activité professionnelle dès lors qu’ils ne participent pas à l’exécution d’une mission de service public. Une définition trop large de l’entrepreneur de services municipaux pourrait poser un certain nombre de problèmes, notamment dans les petites communes où les candidats se font rares. Par ailleurs, l’article L. 231 du Code électoral n’est pas le seul mécanisme juridique permettant de protéger les communes des conflits d’intérêts. L’article L 432-12 du Code pénal sanctionne par exemple la prise illégale d’intérêts des élus locaux par une peine d’emprisonnement de cinq ans et de 500 000 euros d’amende. 

 

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Le tribunal administratif considère que le qualificatif d’entrepreneur de services municipaux ne peut être retenu contre le conseiller municipal dans la mesure où son entreprise n’est pas chargée d’une mission de service public. En effet, s’il était amené à intervenir sur des établissements communaux qui relèvent d’un service public local, ces travaux, en eux-mêmes, ne sont pas en lien avec une mission de service public.

 

 

« Il ne faut donc pas faire la confusion entre les interventions que l’entrepreneur est amené à réaliser sur des équipements communaux en exécution d’un marché public de travaux, et les activités de service public que ces bâtiments abritent, qui lui sont étrangères et ainsi inopérantes à caractériser la qualité d’entrepreneur de services municipaux inéligible.  » - Maître Fabien Grech, avocat du conseiller municipal

 

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Pierre-Florian Dumez

Juriste et entrepreneur, Pierre-Florian est rédacteur pour le Blog Predictice.

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