Alors que dans les pays de common law, les juges disposent d'un pouvoir normatif, les pays civilistes font prévaloir la loi comme source du droit. Il existe néanmoins certaines exceptions.
La jurisprudence constitue-t-elle une source du droit ? (suite II)
Après avoir étudié les limitations du pouvoir prétorien, il convient d'examiner ses spécificités (II).
II. Les spécificités du pouvoir prétorien
La place moindre du juge dans les systèmes civilistes que ceux de common law
En common law, le pouvoir de création du droit par le juge est très visible, à tel point que ce droit est parfois dénommé le judge-made law. Il s'agit un système de droit élaboré par les juges à travers une série d'arrêts d'espèce et se construisant sur ces precedents. Aux États-Unis, les courants du réalisme et de la sociological jurisprudence ont d’ailleurs placé la jurisprudence et le pouvoir prétorien du juge au cœur même de leur système judiciaire. Il est ainsi admis que juge a une grande liberté d’interprétation, et ce, même au niveau des normes constitutionnelles : « the Constitution is what the judges say it is. » (Charles Evans Hughes, « The Constitution is what the Judges say it is », The Australian Law Journal, 1982 p. 98). Ainsi, si le Parlement crée la loi, le juge l'interprète et son interprétation s'impose.
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Le système de common law repose sur la notion de « stare decisis et non quieta movere » (« s’en tenir à ce qui a été décidé et ne pas bouleverser ce qui est établi »). Les precedents portant sur des cas similaires lient le juge auquel le litige est soumis. Les décisions des tribunaux supérieurs lient ainsi tous les juges des tribunaux inférieurs. En revanche, lorsque les juges établissent de nouvelles lois en interprétant la législation, leur interprétation peut se substituer au sens littéral de la législation. Les juges français, eux, ne sont pas liés par les precedents, l’application de la jurisprudence antérieure ayant un caractère supplétif.
Enfin, dans les pays de tradition juridique common law, les juges sont généralement élus sur des programmes politisés tandis qu’en France, ces derniers doivent passer le concours d’entrée à l’Ecole nationale de la magistrature et observer une neutralité politique. La neutralité constituerait la traduction du principe d’impartialité et serait un élément essentiel de la confiance du public dans l’institution judiciaire. L’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales liste ainsi parmi le droit au procès équitable le critère d’impartialité des juges pour garantir le respect du principe fondamental d’égalité des citoyens devant la loi.
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Le droit administratif français, une exception ?
Selon le professeur de droit administratif René Chapus, « le droit administratif est un droit fondamentalement jurisprudentiel » (Chapus, R., Droit administratif général, L.G.D.J, 2001).
En effet, le droit administratif ne s’est pas construit à partir d’un code, contrairement au droit civil. Ses principes et notions, telle que la possibilité de recours pour excès de pouvoir (CE, Dame Lamotte, 17 février 1950, n° 86949), ont été dégagés par les juridictions administratives elles-mêmes. Le droit administratif présente donc une spécificité et des caractéristiques qui lui sont propres.
La plus haute juridiction de l’ordre administratif, le Conseil d'État, crée également des principes généraux du droit (PGD), des règles non écrites permettant au juge administratif d'apporter aux justiciables davantage de garanties. Ces principes, comme l'égalité des usagers du service public (CE, 9 mars 1951, Société des concerts du conservatoire), le principe de non-rétroactivité des actes administratifs (CE, 25 juin 1948, Société du Journal l'Aurore), les droits de la défense (CE, 5 mai 1944, Dame veuve Trompier-Gravier) ou encore le droit de mener une vie familiale normale (CE, 8 décembre 1978, Gisti), constituent des piliers du droit administratif dont la création est purement prétorienne. Néanmoins, selon des auteurs, si jusqu'en 1958, les principes généraux du droit avaient une origine purement jurisprudentielle, le Conseil d’Etat se réfère depuis à des normes écrites pour les consacrer (de Montalivet, P., Principes généraux du droit, JurisClasseur Administratif, Fasc. 38, n° 23 et s.). De plus, le droit administratif ne repose pas uniquement sur des principes jurisprudentiels, mais également sur des textes législatifs variés respectant la hiérarchie des normes.
Ainsi, le juge administratif est créateur des règles fondamentales du droit administratif tandis qu’en droit civil, le législateur édicte les règles et la jurisprudence est une source de droit secondaire. L’importance du pouvoir prétorien du juge fait ainsi, entre autres, la particularité du droit administratif français.
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Diplômée de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de Sciences Po, Calypso rédige des contenus pour le Blog Predictice.