Les juges des référés du tribunal administratif de Pau ont suspendu la réglementation anti-airbnb dans le Pays Basque (TA Pau, 3 juin 2022).
Le 5 mars 2022, le conseil communautaire de la communauté d’agglomération Pays Basque a rendu une délibération approuvant la réglementation locale destinée à limiter les locations meublées touristiques dans 24 communes. Cette réglementation, qui subordonne la délivrance des autorisations de changement d’usage des résidences secondaires à la transformation d’un logement à usage autre qu’habitation est entrée en vigueur le 1er juin 2022. En clair, cette réglementation oblige les propriétaires de résidences secondaires qui souhaitent louer leur bien à transformer un autre logement de surface équivalente, et situé dans la même ville, en local à usage d’habitation.
Suite à cette délibération, l’association Union des loueurs de meublé de tourisme du Pays Basque, ainsi que des sociétés propriétaires de biens mis en location et des conciergeries ont contesté cette réglementation devant le tribunal administratif de Pau. Ils ont déposé une requête en annulation ainsi qu’une requête aux fins de référé-suspension. Ils considéraient notamment que ce mécanisme de compensation portait atteinte à leur droit de propriété et que cette mesure méconnaissait le principe de proportionnalité prévu par la directive 2006/123/CE. Ils relevaient également que la situation locale rendait très difficile la transformation de biens en local à usage d’habitation de sorte qu’ils ne pourraient pas remplir cette obligation de compensation.
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Ce mécanisme de compensation est notamment prévu par l’article L631-7 du code de la construction et de l’habitat. En 2018, dans une affaire opposant la société Cali Apartments à la Ville de Paris, la Cour de cassation avait fait un renvoi préjudiciel devant la CJUE afin de lui demander de se prononcer sur la compatibilité de la réglementation française avec la directive 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur (Cass. 3e civ., 15 nov.2018, n° 17-26.156).
La CJUE, par une décision du 22 septembre 2020 a jugé que le régime d’autorisation préalable et l’obligation de compensation étaient conformes au droit européen. Le juge européen avait toutefois précisé qu’ « il revient à la juridiction nationale de s’assurer que la faculté reconnue, par la réglementation nationale en cause au principal, aux autorités locales concernées de déterminer le quantum de l’obligation de compensation qu’elles ont fait le choix d’imposer s’avère non seulement adaptée à la situation du marché locatif des communes concernées, mais également compatible avec l’exercice de l’activité de location de locaux meublés destinés à l’habitation à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile, effectuée de manière répétée et pour de courtes durées » (Cour de Justice de l'Union Européenne, 22 septembre 2020, n° C-724/18, point 89)
Le 18 février 2021, la Cour de cassation avait considéré que la réglementation locale de la Ville de Paris était conforme au droit européen notamment parce que cette obligation de compensation était adaptée à l’objectif de développer l’offre de logements dans cette zone où le marché locatif est particulièrement tendu (Cour de cassation, 18 février 2021, n° 17-26.156).
Pour autant, le 3 juin 2022, le tribunal administratif de Pau a rendu une ordonnance suspendant l'exécution de la délibération du conseil communautaire de la communauté d’agglomération Pays Basque dans l’attente qu’il soit statué au fond. Les juges des référés ont ainsi considéré que les deux conditions du référé-suspension étaient réunies compte tenu de l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de cette délibération et de l’urgence de prononcer cette suspension.
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« Dans cette affaire, le tribunal a considéré que l’arrêt de la CJUE ne valide pas abstraitement et de façon définitive le mécanisme de la compensation mais oblige les juridictions à vérifier ville par ville si le mécanisme est justifié et proportionné. C’est ce qu’a fait le tribunal, en notant que la communauté d’agglomération ne démontre pas qu’il existe dans le Pays Basque une pénurie de logements de grande ampleur et en relevant que l’obligation de compensation prévue par la réglementation attaquée ne serait pas susceptible d’être satisfaite. » - Maître Victor Steinberg, fondateur du cabinet Steinberg Avocat
L’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de cette délibération
Les juges des référés ont identifié deux arguments principaux leur permettant de juger qu’il existe un doute sérieux quant à la légalité de la délibération de la communauté d’agglomération Pays Basque. Les juges relèvent, d’une part, que les modalités de la compensation sont particulièrement difficiles à mettre en place compte tenu des spécificités locales. Les juges ont ainsi estimé qu' « il résulte de l’instruction qu’en raison des caractéristiques locales, tenant à la rareté, voire à l’inexistence des locaux éligibles à la compensation dans certaines communes, l’obligation ainsi posée, qui ne peut être remplie qu’au moyen de ce seul mécanisme, ne sera pas susceptible d’être satisfaite ». De fait, si le mécanisme de compensation est lui-même conventionnel, il apparaît que la réglementation de la communauté d’agglomération Pays Basque méconnaîtrait le principe de proportionnalité de sorte qu’il existe un doute sérieux quant à sa légalité.
D’autre part, les juges du référé ont considéré que la brièveté du délai entre l’adoption de la délibération et l’entrée en vigueur du mécanisme de compensation porte atteinte à la sécurité juridique en l’absence de mesures transitoires. Il résulte donc de ces deux éléments principaux que la condition tenant à l'existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la délibération est remplie.
La délibération est de nature à porter une atteinte immédiate à la poursuite de l’activité des requérants
Les juges des référés ont considéré que la condition liée à l’urgence était également remplie. Ils notent à ce titre que cette réglementation, mise en place dans des délais très brefs va nécessairement être à l’origine de difficultés financières pour les sociétés requérantes, notamment du fait des emprunts qu’elles ont contractés. Les attestations comptables produites par les requérants démontrent ainsi qu’un changement d’activité vers la location longue durée ne leur permettrait pas de percevoir des revenus équivalents. Ils faisaient valoir que cette baisse notable de leur chiffre d’affaires provoquerait des licenciements dans ce secteur d’activité.
Les juges ont estimé par ailleurs que : « Si la communauté d’agglomération Pays Basque soutient en défense que l’intérêt général s’oppose à la suspension, compte tenu de la pénurie de logements destinés à la location de longue durée, les éléments produits aux débats, alors qu’il n’est en outre pas contesté que certaines des communes concernées ne remplissent pas leurs obligations légales en matière de création de logement social, ne permettent pas d’établir que la pénurie alléguée serait d’une telle ampleur qu’elle ferait obstacle à ce que de nombreuses personnes puissent se loger de sorte qu’il y aurait une urgence particulière à exécuter la réglementation litigieuse pour y remédier ».
Les conditions du référé-suspension étant réunies, les juges des référés ont suspendu la délibération du conseil communautaire de la communauté d’agglomération Pays Basque. Les parties se retrouveront en 2023 devant ce même tribunal qui rendra sa décision au fond.
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Juriste et entrepreneur, Pierre-Florian est rédacteur pour le Blog Predictice.