La réforme du droit des procédures collectives

14 octobre 2021

8 min

Sandra Esquiva-Hesse
Le droit des procédures collectives français vient d’être réformé : classes de parties affectées, plans concurrents, forum shopping, responsabilité des dirigeants… Le point avec Sandra Esquiva-Hesse.

Pourriez-vous vous présenter en quelques mots s’il vous plaît ?

Je suis associée du cabinet Simmons & Simmons et en charge du département Restructuring and special situations. Je suis membre du barreau de Paris et de New York. Mon expertise porte essentiellement sur les procédures préventives, collectives et la gestion de crise (par ex., distressed M&A, opérations de transformation et de mutation des activités). Je n'aide pas que des clients qui vont mal (rires). Je représente aussi des investisseurs qui cherchent à transformer avec succès leurs opérations, ainsi que des entrepreneurs qui cherchent de nouvelles alternatives pour renforcer la résilience de leur entreprise.

 

Un projet d'ordonnance de transposition de la directive du 20 juin 2019 sur la restructuration et l'insolvabilité des entreprises a été dévoilé. Quel est son impact sur le droit des procédures collectives français ?

L'ordonnance a été publiée le 15 septembre, et son décret d'application date du 23 septembre, avec une entrée en vigueur le 1er octobre. Cette entrée en vigueur ne concerne que les procédures qui seront ouvertes postérieurement à cette date, les procédures ayant déjà été ouvertes précédemment restent soumises à l'ancien régime.

 

Cette ordonnance a un double objectif, celui de transposer la directive insolvabilité et de pérenniser en droit français certaines mesures Covid, qui ont permis un taux exceptionnellement bas de procédures collectives.

 

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En ce qui concerne son impact sur le droit français, la modification de notre droit des procédures collectives sera très limitée, la directive européenne s'étant très largement inspirée du droit français.

 

Ainsi, nous avons déjà une procédure de sauvegarde et une procédure de sauvegarde accélérée. En revanche, certains pays n’ont pas encore prévu de procédures avec des effets collectifs pour les cas où l'entreprise n'est pas en insolvabilité. Pour ces derniers, la directive constitue une grande nouveauté. Je pense par exemple à l'Allemagne, aux Pays-Bas, ou encore à l’Espagne, où, pour ce dernier pays, la directive n’a pas encore été transposée. 

 

Cependant, l'impact des changements introduits par la directive sera relatif pour la France en raison de son champ d'application. L’instauration de nouvelles procédures de sauvegarde accélérée est à mettre en perspective avec le chiffre très faible d'ouverture des procédures de sauvegarde accélérée et de sauvegarde financière accélérée. Pour vous donner quelques chiffres, depuis le 1er juillet 2014, il y a eu seulement deux sauvegardes accélérées et dix-neuf sauvegardes financières accélérées. C'est peu ! Mais peut-être y en aura-t-il plus, avec la modernisation de ces régimes.

 

En revanche, les grandes nouveautés pour notre régime juridique sont le mécanisme des parties affectées et l'application forcée interclasses. Qu'est-ce que c'est ? Les Anglo-Saxons font référence aux intercreditor class cramdown, qui constituent une nouveauté pour notre juridiction, mais aussi pour certains de nos voisins. Nous avions l'habitude de parler de comité des créanciers dans le cadre de nos procédures collectives et sous certaines conditions de seuil.

 

Désormais, nous allons changer de terminologie et de façon de percevoir l'organisation des discussions collectives entre les créanciers en faisant référence à des parties affectées.

 

 

Ce nouveau régime concerne surtout les large caps parce que les seuils qui ont été fixés par le décret visent des sociétés de plus de 250 salariés et 20 millions d'euros de chiffre d'affaires ou plus de 40 millions d'euros de chiffre d'affaires. 

 

Enfin, sur l'adoption même du plan par classes de parties affectées, la majorité des votes reste identique. C'est une majorité aux deux tiers des voix détenues par les membres ayant exprimé un vote. Les délais d'adoption du plan sont également identiques. Le délai est toujours de vingt à trente jours, suivant la transmission du projet, sans que ce délai ne puisse être réduit à moins de quinze jours.

 

Un des points les plus intéressants est la possibilité pour les créanciers de proposer un plan concurrent. Cette possibilité existait déjà dans notre précédent régime, mais elle est réitérée, ce qui témoigne de la volonté du législateur de faciliter cette option. On verra ce qu'en fait notre droit positif et notre pratique, et si effectivement les créanciers feront des contre-propositions de plan que les tribunaux considèrent plus pérennes en termes de futur d'exploitation pour les entreprises.

 

De plus, il convient de noter qu’une autre ordonnance a été adoptée le 15 septembre de cette année, modifiant le droit des sûretés. Les deux directives convergent vers un esprit de sécurisation et de simplification de l'environnement juridique français pour les créanciers. Des doutes vont donc être levés, notamment sur le maintien des garanties en cas de résolution de l'accord du plan, grâce à un élargissement de la protection du garant personne physique, une inopposabilité pendant l'exécution du plan des créances non déclarées régulièrement, ou encore l'arrêt du cours des intérêts attachés au jugement d'ouverture de la procédure. Par ailleurs, ce dernier ne fait désormais plus de doute puisqu'il est inscrit dans la loi.

 

Ensuite, comme je l’ai déjà évoqué, il faut noter l'instauration d'une sauvegarde accélérée obligatoire, d'une sauvegarde et d'un redressement judiciaires sous couvert de seuil, avec des nouvelles classes de parties affectées qui permettent une appréhension des créanciers non plus par métiers, mais à raison de leurs droits : créanciers disposant de sûreté réelle, contre créanciers chirographaires, obligataires voire actionnaires, détenteurs de comptes courants d'associés ou encore d'instruments de quasi equity.

 

Désormais, on peut tout à fait imaginer des scénarios nouveaux avec ce mécanisme de cross class cramdown : si une majorité des créanciers dotés de sûretés réelles, ou de créanciers chirographaires, sont favorables au plan qui est proposé et qu'il y a un vote défavorable de créanciers obligataires ou détenteurs de comptes courants d'associés ou minoritaires au capital, il peut y avoir une application forcée du plan. C'est donc la majorité sensible des créanciers qui, sous certaines conditions de respect de l'affectation des droits des parties, va pouvoir permettre l'adoption du plan. 

 

L'objectif de ce système est d'éviter d'avoir des parties isolées qui prennent en holdup un plan agréé par la majorité des créanciers.

 

 

Il existe des différences dans les choix de transposition de la directive et par les États membres, notamment sur la question de l'insolvabilité, critère essentiel puisque c'est lui qui déclenche la mise en œuvre d'une procédure collective de redressement judiciaire, de cession ou de liquidation. Dans quelle mesure ces différences peuvent-elles être exploitées par les grands groupes européens d'un point de vue stratégique ?

Pour remettre les choses en contexte, c'est normal qu'il y ait des différences dans l'appréciation de la solvabilité par les différents États membres puisqu'il s'agit d'une directive et non d'un règlement. 

 

En droit des procédures préventives et collectives, l'harmonisation au sein de l'Union européenne avance à petits pas. Elle a commencé par une première directive de règlement de conflits de lois qui a fait émerger la notion de COMI (center of main interest).

 

Il y a eu des tentatives de forum shopping autour des COMI. Ainsi, par exemple, une procédure de sauvegarde en France permettait à des groupes d'obtenir les mêmes effets qu'un redressement judiciaire en termes de gel du paiement du passif, gel des voies de recours contre le débiteur, proposition d'un plan qui peut être forcé sur dix ans à défaut d'accord des créanciers sur un plan alternatif. Ont donc également été créées des procédures de restructuration avant insolvabilité dans les autres États membres, pour qu'il y ait une possibilité d'avoir recours à des procédures à peu près identiques dans les grands principes.

 

Néanmoins, il n'y a pas d'harmonisation de la définition d'insolvabilité entre les États membres. En France, cette définition est assez littérale : c'est l'incapacité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Le passif exigible, ce sont les créances échues, même si elles ne sont pas réclamées par le créancier. L'actif disponible, c'est ce que vous avez en trésorerie sur votre compte et puis éventuellement, les lignes de découvert ou autres lignes sur lesquelles vous pouvez tirer car elles sont disponibles. Chez nos voisins européens, vous pouvez avoir parfois des critères d'insolvabilité qui sont multiples ou des critères qui se rapprochent de notre critère d'analyse de la trésorerie et du passif échu, mais accompagnés d’autres critères plus prospectifs en termes de modélisation de la perte de marge et de résultats négatifs que l'on peut voir à l'échelle d'entreprises.

 

Cette partie-là n'est donc toujours pas harmonisée. Est-ce que par conséquent, elle offre véritablement une opportunité de forum shopping ? Difficilement, car les juges européens adhèrent à une acception de plus en plus stricte de la notion de COMI. Il faut donc toujours être en mesure de démontrer que son centre d'intérêts principaux se trouve dans la juridiction auprès de laquelle on sollicite un juge.

 

On a bien vu, dans la jurisprudence française notamment, que cette analyse de l'éligibilité à la procédure collective française au regard du COMI est effectuée de manière de plus en plus stricte.

 

En effet, dans l’affaire Eurotunnel (Tribunal de commerce de Paris, 2 août 2006), il a été retenu que la direction stratégique et opérationnelle est un indice essentiel du siège des intérêts principaux du débiteur. Par ailleurs, le critère de la localisation de l’ensemble des décisions de la personne morale permet de déterminer le COMI de la société (Cour d’appel de Paris, sur renvoi après Cassation, 26 juin 2012, n° 09/29110, 09/29113, 09/29121, 09/29122, 09/29123). Idem pour la localisation de l’activité, du patrimoine, de la direction ou des relations d’affaires (Cour d’appel de Paris, 26 novembre 2009, n°09/17248).

 

LIRE LA DÉCISION >> Cour d'appel de Paris, 26 novembre 2009, n° 09/17248


Concernant les personnes morales, la présomption du COMI au siège social ne pourra être renversée que dans des conditions strictes. Dès lors, on ne pourra cependant pas renverser une présomption de siège social au siège statutaire si les organes de direction et de contrôle de la société sont au siège social et que les décisions de gestion sont prises en ce lieu (CJUE 20 octobre 2011, Interedil, aff. C-396/09).

 

LIRE LA DÉCISION >> CJUE 20 octobre 2011, Interedil, aff. C-396/09

 

Ce qu'on constate, en revanche, c'est que les différences dans la transposition de la directive Insolvabilité offrent des atouts dans certaines juridictions qu'on ne retrouve pas dans d'autres. Il existe ainsi une volonté des Pays-Bas et de l'Allemagne de concurrencer le Creditors workout proceeding des Britanniques. Post-Brexit, ils espèrent attraire ce type de schéma de restructuration de dettes : ainsi l'Allemagne a adopté un nouveau type de procédure, jumelle de notre procédure de sauvegarde, la StaRUG, qui prévoit une possibilité d'attraire à la procédure des entités autres dans le groupe. Dans le cadre de la restructuration globale de la dette, une partie de la dette peut être contractée par une autre holding de sorte qu'on peut avoir un élargissement du traitement collectif du passif au-delà de l'entité ayant elle-même demandé le bénéfice de la StaRUG.

 

Cette acceptation plus large de l'Allemagne pourrait offrir une opportunité de forum shopping. Néanmoins, il faut quand même un certain degré de sophistication pour organiser ce type de forum shopping ! Toutefois, si cette démarche n’est pas organisée de concert avec les créanciers, elle pourra être présumée hostile.

 

La période post-covid présente un niveau de procédures collectives historiquement bas en France. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

D'abord, il y a eu une relaxation de l'obligation des mandataires sociaux de régulariser une déclaration de cessation des paiements au-delà de quarante-cinq jours d'état de cessation des paiements, qui a perduré jusqu'en août 2020. Cette relaxation de leurs obligations n'a pas été étendue, mais énormément d'entreprises ont bénéficié de PGE (prêts garantis par l'État), de chômage partiel longue durée et d’autres aides diverses et variées : relaxation de paiement de leur passif fiscal et social, aides spécifiques sur les coûts fixes pour les entreprises qui faisaient l'objet de fermeture administrative obligatoire, etc.

 

Nous n'avons pas encore eu une vague importante de procédures collectives parce que beaucoup d'argent public a été injecté dans l'économie et que la fin du « quoi qu'il en coûte » annoncée en septembre par le gouvernement est progressive. Il est encore possible de contracter des PGE  jusqu'à la fin de cette année et les premiers remboursements n'interviendront pas avant le printemps de l'année prochaine. Les entreprises ne sont donc pas encore dans une situation de grand stress, sauf cas spécifiques. 

 

Il faut donc s'attendre à une vague importante de procédures collectives non pas à très court terme, mais à moyen terme, vers 2023, notamment en raison des entreprises zombies.

 

 

Cette notion d'entreprise zombie a émergé en 2019. France Stratégie, dans sa note d'octobre 2019, les définissait comme des entreprises de moins de dix ans dont le revenu opérationnel est insuffisant pour couvrir leurs charges d'intérêt pendant trois années consécutives. Plus simplement, c'étaient des entreprises qui avaient des chances de survie quasi nulles pour les quelques années à venir. Et donc, l'effet PGE, chômage partiel longue durée, etc. a sans doute retardé les restructurations, les redressements judiciaires, voire les liquidations judiciaires de ces entreprises. Néanmoins, cela ne pourra pas le retarder indéfiniment puisque ces entreprises auront du mal à se faire octroyer du crédit. Par conséquent, sauf s'il y a une restructuration de fond avec un soutien de leurs actionnaires, ces entreprises vont provoquer la première vague de procédures collectives.

 

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Dans ce contexte de soutien économique que nous vivons, faudrait-il adapter les règles de droit afin d'envisager une obligation élargie des dirigeants qui auraient profité des aides d'Etat pour tromper leurs créanciers ?

Je ne suis pas favorable à l’idée d’étendre le champ de la responsabilité des dirigeants parce qu'ils subissent déjà énormément de contraintes. Ils doivent évoluer dans un univers de plus en plus complexe et rapide, sur fond de révolution technologique et numérique. Et la crise pandémique n'a pas simplifié les choses ! Ils vivent un quotidien extrêmement complexe : ils sont confrontés à des sujets de transformation digitale, de cybersécurité et à des problématiques opérationnelles. Ce serait malvenu de leur rajouter des contraintes supplémentaires.

 

En revanche, il faut distinguer les dirigeants qui fraudent intentionnellement de ceux qui commettent des erreurs de bonne foi parce qu'ils sont sous l'eau, acculés, qu'ils n'ont pas su se faire accompagner ou qu'ils n'ont pas eu les moyens de se faire accompagner. 

 

Le caractère intentionnel de la fraude est révélé par des éléments patents, comme par exemple l'usage de faux. Néanmoins, il existe déjà des outils pour lutter contre la fraude. Pour les dirigeants fraudeurs, il ne faut donc pas rechercher un accroissement de la responsabilité, mais plutôt un accroissement des contrôles, ainsi qu'une application des sanctions en cas de fraude intentionnelle. 

 

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En revanche, pour les dirigeants de bonne foi, j'aime bien le concept de droit à l'erreur. Nous vivons dans un monde très digitalisé, où les normes sont complexes, et je pense aux dirigeants des small caps qui ont moins de ressources pour se faire accompagner. Il faut faire preuve à leur égard de bienveillance et trouver des méthodes de vulgarisation et de simplification pour les aider à ne pas commettre ces erreurs. La simplification du droit (et des formalités administratives), ainsi qu’un accès à des décisions de justice plus compatible avec les enjeux commerciaux (notamment en termes de délais et article 700) seront un gage de compétitivité pour notre écosystème.

 

Un mot de conclusion ?

 

Je voudrais remercier Predictice de faire partie de ces outils qui donnent un accès plus facile et plus intuitif au savoir. Predictice est un outil formidable, qui a énormément apporté à la communauté juridique et aux avocats.

 

 

Il faut encourager les legaltechs qui donnent accès au savoir et nous permettent de digérer des informations nombreuses et complexes et, grâce à la jurimétrie, de nous faire une idée des contentieux.

 

Je pense que c'est une bonne chose aussi pour les juridictions de voir les différences d'appréciation qu'il peut y avoir de part et d'autre de France et de Navarre sur des mêmes thématiques de contentieux, afin de créer plus de sécurité juridique.

 

La sécurité juridique, c'est ce qu'il y a de plus important pour les acteurs économiques. Predictice va dans le bon sens et est dans l'esprit du temps. Je trouve ça formidable de nous faciliter ainsi la vie. Donc, merci à Predictice !

 

Merci à vous pour ce beau mot de conclusion !

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Éloïse Haddad Mimoun

Docteure en droit et diplômée de l'Essec, Eloïse est rédactrice en chef du Blog Predictice.

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