Afin de garantir le pluralisme politique et de ne pas procurer un avantage à un candidat, les campagnes électorales audiovisuelles sont très encadrées par le législateur.
L’instauration de règles pour garantir le pluralisme politique
La loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication a consacré le principe de libre communication au public, sous réserve de certains critères dont le respect du pluralisme d’opinion.
Le pluralisme politique a en effet pour vocation de garantir un égal accès à l’information politique. Celle-ci doit être variée afin que les auditeurs puissent former leur propre opinion et agir en citoyens éclairés. Le Conseil constitutionnel considère en effet que « le respect du pluralisme est une des conditions de la démocratie » (Conseil constitutionnel, 29 juillet 1986, n° 1986-210 DC ; Conseil constitutionnel, 18 septembre 1986, n° 86-217 DC) et l’a érigé en objectif à valeur constitutionnelle (Conseil constitutionnel, 21 janvier 1994, n° 93-333 DC).
« L'objectif à réaliser est que les auditeurs et les téléspectateurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l'article 11 de la Déclaration de 1789 soient à même d'exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions, ni qu'on puisse en faire les objets d'un marché » - Conseil constitutionnel, 18 septembre 1986, n° 86-217 DC.
Si le Conseil d'État estimait auparavant que les médias étaient soumis à une obligation d’impartialité dans leur traitement des campagnes présidentielles en vertu de la loi du 30 septembre 1986 (Conseil d'État, 18 décembre 1996, n° 177011), sa position s’est assouplie et il admet aujourd’hui que les médias puissent adopter une ligne éditoriale partisane, à condition qu’ils respectent par ailleurs l’obligation de pluralisme (en ce sens, Conseil d'État, 19 juillet 2016, n° 395373 ; Conseil d'État, 14 juin 2021, n° 453462).
L’objectif de pluralisme politique justifie par conséquent la mise en place d’un régime juridique spécifique relatif pour réguler les temps de parole et d’antenne des personnalités politiques.
Dès 1969, l’exposition médiatique des candidats à l’élection présidentielle a été encadrée par le législateur (Directive du Conseil d'administration de l'ORTF du 12 novembre 1969). Depuis, plusieurs autorités administratives indépendantes telles que l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) - issue de la fusion intervenue le 1er janvier 2022 entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) - la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale (CNCCEP) ont été créées afin de réguler les campagnes électorales audiovisuelles.
L’Arcom est tout spécialement chargée « d’assurer le respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes des services de radios et de télévision, en particulier pour les émissions d’information politique et générale » (article 13 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication). Selon le Conseil constitutionnel, « ces dispositions impliquent que la commission est tenue d'exercer la mission qui lui est confiée par la loi et que les recommandations qu'elle prend à cet effet revêtent un caractère obligatoire » (Conseil constitutionnel, 18 septembre 1986, n° 86-217 DC). Les services de radios et de télévisions sont ainsi soumis aux règles définies par l’Arcom (délibération du CSA n° 2017-62 du 22 novembre 2017 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision). La loi dispose également que « pour la durée des campagnes électorales, le régulateur adresse des recommandations aux éditeurs de services de radio et de télévision autorisés ou ayant conclu une convention en vertu de la présente loi » (article 16 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (Loi Léotard).
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L’encadrement des temps de parole et d’antenne
Le temps de parole comprend la durée de toutes les interventions d’une personnalité politique ainsi que de ses soutiens, que ce soit lors de débats, émissions, interviews ou encore de déclarations. Le temps d’antenne, lui, englobe le temps de parole du candidat, mais prend également en compte les séquences de reportage, les éditoriaux, revues de presse, débats entre experts ou encore les analyses politiques lorsqu'elles ne sont pas explicitement défavorables au candidat. Ce « chronométrage des propos liés à l'actualité électorale vise à éviter une bipolarisation trop marquée de la représentation de la vie politique » (Denis, Marie-Laure., « La régulation audiovisuelle et l'élection présidentielle », Les nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n°34, janvier 2012).
Les interventions d’Emmanuel Macron, notamment dans le cadre d’une émission intitulée « Où va la France ? » diffusée le 15 décembre 2021 sur TF1 et LCI et lors de laquelle il s’est exprimé sur son mandat et sur sa vision de l'avenir de la France, ont suscité le mécontentement de plusieurs candidats estimant que ce temps de parole devrait être décompté. Saisi par Valérie Pécresse, candidate du parti Les Républicains, et par Yannick Jadot, candidat du parti Europe Écologie Les Verts, le CSA a répondu que les services de radio et de télévision disposent d’une liberté éditoriale et qu’il n’appartient pas à l’autorité d’imposer ou de récuser la présence d’un intervenant dans un programme. Le CSA a ensuite rappelé que conformément aux règles de pluralisme politique fixées par la délibération du Conseil du 22 novembre 2017, « les éditeurs prennent en compte les interventions du Président de la République qui, en raison de leur contenu et de leur contexte, relèvent du débat politique national, au sens de la décision du Conseil d'État du 8 avril 2009, ainsi que les interventions de ses collaborateurs » (Arcom, Émission "Emmanuel Macron, où va la France" diffusée le 15 décembre 2021 : réponse à deux saisines, 13 janvier 2022). Le Conseil d’État avait en effet déjà jugé qu’« en raison de la place qui, conformément à la tradition républicaine, est celle du chef de l'État dans l'organisation constitutionnelle des pouvoirs publics et des missions qui lui sont conférées notamment par l'article 5 de la Constitution, le Président de la République ne s'exprime pas au nom d'un parti ou d'un groupement politique. Par suite, son temps de parole dans les médias audiovisuels n'a pas à être pris en compte à ce titre » (Conseil d'État, 8 avril 2009, n° 311136). En application de ces textes, les interventions d’Emmanuel Macron relevant de l’exercice de sa charge n’ont pas été prises en compte jusqu’au 31 décembre 2021. Le CSA est toutefois resté attentif, notamment en procédant à « l’analyse du programme afin de déterminer la part du temps de parole du Président de la République susceptible d’être décomptée au titre du débat politique national » (Arcom, Émission "Emmanuel Macron, où va la France", op cit.). En revanche, depuis le 1er janvier 2022, toutes les interventions du président de la République relevant du débat politique sont prises en compte, sauf circonstances exceptionnelles (articles 1, 3-1 et 13 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication ; délibération du CSA n° 2017-62 du 22 novembre 2017 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision). Toutefois, les interventions d’Emmanuel Macron relatives à ses fonctions présidentielles ou encore à l’exercice de sa présidence du Conseil de l'Union européenne ne sont pas comptabilisées, sauf si elles relèvent du débat politique (article 1.3 de la recommandation n° 2021-03 du 6 octobre 2021).
La question de décompte des temps s’est également posée au sujet du candidat Éric Zemmour, alors chroniqueur politique sur les chaînes de télévision CNews et Paris Première. Pour le CSA, « tant par ses prises de position et ses actions, que par les commentaires auxquels elles donnent lieu », Éric Zemmour doit être considéré comme un acteur du débat politique national » (CSA, Le CSA demande aux médias audiovisuels de décompter les interventions de M. Éric Zemmour). Dès lors, l'autorité a enjoint aux médias de décompter ses propos portant sur le débat politique national à compter du 9 septembre 2021. Malgré les contestations de l’intéressé invoquant une censure, la chaîne CNews a tiré les conséquences de la délibération du CSA et déprogrammé son émission quotidienne « Face à l’info » le 13 septembre 2021. Le 21 septembre 2021, la chaîne Paris Première a à son tour annoncé mettre fin à son émission « Zemmour & Naulleau ». Le polémiste a finalement officialisé sa candidature le 30 novembre 2021.
Un contrôle croissant des temps des candidats au fil de la campagne présidentielle
La règle « des trois tiers »
Le CSA a longtemps appliqué une règle dite « des trois tiers » sur la base d’une directive du conseil d’administration de l’ORTF de 1969 dans un but d’« équilibre entre les représentants des pouvoirs publics, ceux qui les approuvent et ceux qui les critiquent ». Cette règle imposait aux médias de réserver un tiers de temps de parole au gouvernement, un tiers à la majorité parlementaire et un tiers à l’opposition parlementaire. En 2000, le CSA a ajouté que « le temps d’intervention de l’opposition parlementaire ne peut être inférieur à la moitié du temps d’intervention cumulé du gouvernement et de la majorité parlementaire » et que les partis non représentés au Parlement devaient bénéficier d’un temps de parole sur la base de l’équité (délibération du CSA du 8 février 2000 relative aux modalités d’évaluation du respect du pluralisme politique dans les médias). Cette approche avec une répartition des temps « par blocs » a été maintenue en 2009 (délibération du CSA n° 2009-60 du 21 juillet 2009 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision). Un projet de loi a, lui, proposé d’amender la « règle des trois tiers » en incluant les interventions du chef de l’État dans le temps de parole du gouvernement mais a échoué. Si la loi n’a pas été adoptée, le Conseil d’État est intervenu en ce sens et a forcé le CSA à amender ses règles (Conseil d'État, 8 avril 2009, n° 311136 ; Recommandation du CSA n° 2011-3 du 30 novembre 2011 à l’ensemble des services de radio et de télévision concernant l’élection du président de la République). La délibération du 4 janvier 2011 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision en période électorale, actualisée par la délibération du CSA n° 2017-62 du 22 novembre 2017, est enfin venue instaurer un cadre général, dit de référence, rappelant les obligations des éditeurs issues du Code électoral et les principes relatifs à l’ensemble des élections. Cette délibération opère également une distinction entre les interventions relevant de l’élection et donc soumises à ses dispositions, et les interventions hors période électorale, régies par les règles en vigueur tout au long de l’année.
De l’égalité à l’équité
Depuis 2016, le modèle d’égalité du temps de parole a été remplacé par un système d'attribution du temps de parole et d’antenne basé sur l’équité (article 4 de la loi organique n° 2016-506 du 25 avril 2016 de modernisation des règles applicables à l'élection présidentielle modifiant l’article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du président de la République au suffrage universel). Le Conseil constitutionnel a considéré que par ces dispositions « le législateur organique a, d'une part, entendu favoriser, dans l'intérêt des citoyens, la clarté du débat électoral [et] d'autre part et dans le même but, accorder aux éditeurs de services de communication audiovisuelle une liberté accrue dans le traitement de l'information en période électorale, qui ne saurait remettre en cause les principes fixés par le législateur et dont l'application relève du conseil supérieur de l'audiovisuel » (Conseil constitutionnel, 21 avril 2016, n° 2016-729 DC, §13).
Ce nouveau principe d’équité implique que les médias allouent aux candidats et à leurs soutiens des temps de parole ou d’antenne proportionnels à leur représentativité et à leur implication dans la campagne. Cette représentativité s’apprécie notamment en fonction des résultats du candidat ou de ceux de son parti lors de précédentes élections ou encore sur la base des sondages d’opinions. L’implication du candidat dans la campagne relève, elle, de sa capacité à organiser des évènements, à participer à des débats et plus généralement à toute prise d’initiative permettant de porter à la connaissance du public les éléments de son programme. Il appartient ensuite aux médias d’utiliser ces critères afin de déterminer le temps imparti aux candidats.
Les règles applicables aux élections présidentielles de 2022
En complément des règles audiovisuelles générales prévues par la délibération du 4 janvier 2011, l’Arcom émet également des recommandations spécifiques à chaque campagne présidentielle. Pour les élections présidentielle de 2022, l’Arcom a publié la recommandation n° 2021-03 du 6 octobre 2021 qui prévoit l’articulation de plusieurs périodes de régulation du temps de paroles et d’antenne avec un degré croissant de contrôle.
Dans un premier temps, du 1er janvier au 7 mars 2022, les chaînes de radio et télévision doivent veiller à accorder à chaque candidat un temps de parole proportionnel à leur poids politique et à leur contribution au débat électoral.
Les stations de radios et chaînes de télévision désignées dans la recommandation de l’Arcom (recommandation n° 2021-03 du 6 octobre 2021, point 2.2, 1°), dont TF1, le groupe France Télévisions, franceinfo, Radio France ou encore Euronews ont l’obligation de procéder à un audit régulier des temps de parole et d’antenne des candidats sur leurs ondes et de transmettre ces relevés à l’autorité pour vérification. Les décomptes des temps sont ensuite accessibles à tous depuis le site de l’Arcom. Si un candidat ou un parti s’estime lésé, il peut saisir les services de l’Arcom. Lorsque l’autorité constate un manquement, elle peut émettre un avertissement au média ou le mettre en demeure de respecter ses obligations pour le reste de la période électorale.
Dans une seconde période s’étalant du 8 mars 2022, jour de la publication au Journal officiel de la liste des candidats établie par le Conseil constitutionnel (Décision n° 2022-187 PDR du 7 mars 2022), et jusqu’à la veille de l’ouverture de la campagne électorale officielle, le contrôle de l’équité des temps est renforcé. L’Arcom ajoute en effet que les candidats et leurs soutiens doivent bénéficier de temps de parole et d’antenne dans des conditions de programmation comparables, afin qu’un candidat ne soit pas désavantagé par des programmations sur des plages horaires nocturnes par exemple. Les médias doivent ainsi garantir un accès équitable aux quatre tranches horaires définies par l'Arcom : le matin (de 6h à 9h), la journée (de 9h à 18h), la soirée (de 18h à minuit) et la nuit (de minuit à 6h) (recommandation n° 2021-03 du 6 octobre 2021, point 1.4, 3°).
Lors de la dernière phase de la campagne, le principe d'égalité de traitement des candidats est réinstauré (article 3, I bis de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel). Pour la campagne présidentielle de 2022, cette période débute le 28 mars 2022 pour le premier tour et le 11 avril pour le second tour (en application de l’article 10 du Décret n°2001-213 du 8 mars 2001 portant application de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel tel que modifié par le Décret n° 2016-1819 du 22 décembre 2016 relatif à l'élection du Président de la République).
S’ensuit enfin une période dite « de réserve », la veille et le jour des élections. La loi interdit en effet la diffusion de tout message « de propagande électorale » (article L.49, al. 2 du Code électoral) afin de ne pas vicier la sincérité du scrutin. De plus, il est formellement interdit de procéder à une annonce anticipée des résultats avant la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire métropolitain (article L. 52-2 du Code électoral). Par conséquent, les chaînes de télévision et les stations de radio doivent s’abstenir de diffuser des sondages ou prédictions des résultats, mais conservent la possibilité de diffuser des reportages sur les conditions de vote.
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Diplômée de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de Sciences Po, Calypso rédige des contenus pour le Blog Predictice.