Affaire du Siècle : l'État condamné pour son inaction climatique

29 octobre 2021

5 min

préjudice écologique
L’État français a jusqu’au 31 décembre 2022 pour mettre en œuvre toutes mesures utiles afin de faire cesser le préjudice écologique dont il est responsable (TA Paris, 14 octobre 2021).

L’État mis face à ses insuffisances en matière climatique

Avec la loi de transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015, l’État français s’est fixé pour objectif de diminuer de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030, mais aussi d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Malgré ces objectifs, le Haut Conseil pour le climat considère dans son rapport annuel de 2020 que « les actions climatiques [du gouvernement] ne sont pas à la hauteur des enjeux ni des objectifs. » (rapport, p.5).

 

Considérant que la trajectoire actuelle de réduction des émissions de gaz ne permettra pas d’atteindre ces seuils, quatre associations ont saisi les juges administratifs en 2019 pour enjoindre l’État d’honorer ses engagements. L'Affaire du siècle est donc un recours en responsabilité contre l'État pour ses carences dans la lutte contre le changement climatique.

 

« Ce n’est pas une victoire des « bobos » contre des personnes qui essayent de remplir leur assiette. La protection du climat protège tout le monde. Les plus vulnérables sont les plus exposés aux conséquences du réchauffement climatique. C’est donc un combat juridique, mais aussi un combat social. » - Emmanuel Daoud, associé au sein du cabinet Vigo et conseil de Notre Affaire à Tous

 

LIRE LA DÉCISION >> Tribunal administratif de Paris, 14 octobre 2021, n° 1904967, 1904968, 1904972, 1904976/4-1

Le premier grand procès environnemental français

L’Affaire du Siècle commence par la mise en ligne d’une pétition par les associations Oxfam France, Greenpeace France, la Fondation pour la Nature et l'Homme et Notre Affaire à Tous en décembre 2018, sollicitant des mesures de l’État pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Médiatisée, la pétition récolte plus de 2,3 millions de signatures peu après sa mise en ligne.

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Les quatre organisations d’intérêt général et de protection de l’environnement ont alors assigné l’État français le 14 mars 2019 devant le tribunal administratif de Paris. Se fondant sur de nombreux textes internationaux, européens et internes imposant à l’État des engagements en matière de lutte contre le changement climatique, cette action visait à lui enjoindre de tenir ses engagements en matière environnementale pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C par rapport à la période préindustrielle. Par ailleurs, les associations espéraient obtenir une injonction afin de mettre un terme aux manquements de l’État et une sommation de réparer le préjudice écologique en découlant.

 

« La singularité de cette affaire est que ce n’est pas seulement une action de quatre ONG que je défends, mais bien un soutien de 2,3 millions de citoyens et citoyennes qui demandent une condamnation de l’État français pour son inaction climatique. » - Emmanuel Daoud, associé au sein du cabinet Vigo et conseil de Notre Affaire à Tous

 

Par une première décision d’avant dire droit du 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris a reconnu à la fois l’existence d’un préjudice écologique lié à la réduction insuffisante des émissions de gaz à effet de serre et une carence fautive de l’État : « À hauteur des engagements qu'il avait pris et qu'il n'a pas respectés dans le cadre du premier budget carbone, l'État doit être regardé comme responsable [...] d'une partie du préjudice écologique constaté » (jugement p.33). Le tribunal a également condamné l’État à verser à chaque requérante la somme d’un euro symbolique en réparation de leur préjudice moral. Enfin, une réouverture de l’instruction a été ordonnée afin de « déterminer avec précision les mesures qui doivent être ordonnées à l’État » (jugement p.36) avant de statuer sur l’évaluation du préjudice écologique.

 

Ce complément d’instruction laissait ainsi entendre que des mesures d’injonction contraignantes pourraient être ultérieurement prononcées.

LIRE LA DÉCISION >> Tribunal administratif de Paris, 3 février 2021, n° 1904967

Une victoire historique pour le climat

C’est chose faite par un second jugement du tribunal administratif de Paris du 14 octobre 2021. Dans cette nouvelle requête, les quatre associations ont demandé au tribunal d’enjoindre à l’État de prendre toutes les mesures nécessaires pour réparer le préjudice écologique lié au surplus d’émissions de gaz à effet de serre résultant du non-respect par l’État du premier budget carbone, et à faire cesser pour l’avenir son aggravation dans le délai le plus court possible.

 

Pour la première fois, la justice ordonné à l’État français de prendre toutes mesures utiles pour réparer le préjudice écologique dû à sa carence en matière de lutte contre le réchauffement climatique et ce, le 31 décembre 2022 au plus tard.

 

« C'est une décision inédite par laquelle le Tribunal administratif donne raison aux ONG qui l’ont saisi et tranche sans ambigüité : l’État devra réparer le préjudice écologique dont il est responsable. Il s’agit d’une belle victoire pour le mouvement mondial de justice climatique et d’un jalon essentiel pour de potentiels prochains recours. » - Clémentine Baldon, associée au sein du cabinet Baldon Avocats et conseil de la fondation Nicolas Hulot pour la nature et l'Homme

 

Dans un premier temps, le tribunal décline sa compétence pour évaluer l’efficacité des mesures susceptibles de réduire de 40 % des gaz à effet de serre d'ici 2030, ce point ayant fait l’objet d’un arrêt du Conseil d’État en juillet 2021. Plusieurs associations avaient en effet demandé à ce dernier d’annuler le refus du Gouvernement de prendre des mesures supplémentaires pour atteindre l’objectif issu de l’Accord de Paris de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici à 2030, et obtenu gain de cause.

LIRE LA DÉCISION >> Conseil d'État, 1 juillet 2021, n° 427301, Grande-Synthe

Ainsi, le tribunal procède uniquement à une vérification à ce sujet pour déterminer « à la date du présent jugement, si ce préjudice perdure et s'il a déjà fait l'objet de mesures de réparation » (jugement p.29) À cet égard, les juges constatent que le plafond d’émissions de gaz à effet de serre fixé pour la période de 2015 à 2018 a amplement été dépassé de 62 millions de tonnes d’équivalent dioxyde de carbone (Mt CO2eq).

 

Dans un second temps, concernant l’évaluation du préjudice écologique, le tribunal relève que, s’il y a eu une réduction substantielle des émissions de gaz à effet de serre lors de l’année 2020, « cette réduction d’une ampleur inédite est liée, de façon prépondérante, aux effets de la crise sanitaire de la covid-19 qu’a connue la France au cours de l’année passée et non à une action spécifique de l’État » (jugement p.29). De surcroît, cette réduction, si substantielle soit-elle, ne permet pas une compensation du dépassement du plafond d’émissions de gaz à effet de serre, si bien qu’il perdure à hauteur de 15 millions de tonnes équivalent CO2.

 

Enfin, les juges précisent que ce préjudice écologique est à la fois continu et cumulatif puisque le dépassement des limites fixées a engendré des émissions de gaz à effet de serre supplémentaires « qui s’ajouteront aux précédentes et produiront des effets pendant toute la durée de vie de ces gaz dans l’atmosphère, soit environ 100 ans » (jugement p.30). Ainsi, sa réparation implique la mise en œuvre de mesures à bref délai pour éviter toute aggravation.

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Par conséquent, le tribunal ordonne au gouvernement « de prendre toutes les mesures sectorielles utiles de nature à réparer le préjudice à hauteur de la part non compensée d'émissions de gaz à effet de serre au titre du premier budget carbone » (jugement p.31) au plus tard au 31 décembre 2022. Les juges se gardent cependant de préciser les mesures à mettre en œuvre, précisant que leur choix relève de la libre appréciation du pouvoir exécutif.

 

Enfin, cette injonction n’est pas assortie d’une astreinte financière pour le moment, même si les requérants évoquent déjà cette possibilité :

 

«Si l’État ne remplit pas ses obligations, nous pourrons saisir le tribunal administratif d’une demande d’exécution de l’État sous astreinte. Ce tribunal comme le Conseil d’État ont déjà ordonné des astreintes dans des contentieux similaires. Ça ne serait donc pas une chimère juridique. » - Emmanuel Daoud, associé au sein du cabinet Vigo et conseil de Notre Affaire à Tous.

 

Plus tôt cette semaine, l’ONU a d’ailleurs constaté que les promesses de réduction de gaz à effet de serre des États sont actuellement sept fois inférieures à ce qu’elles devraient être pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. 

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Calypso Korkikian

Diplômée de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de Sciences Po, Calypso rédige des contenus pour le Blog Predictice.

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