La justice administrative a utilisé l’arme de l’astreinte pour lutter contre l’inaction climatique et forcer l’État à respecter ses engagements.
Depuis 2015, les initiatives judiciaires se multiplient auprès de la juridiction administrative afin d’obliger l’État à prendre des mesures contre le réchauffement climatique.
Trois affaires en particulier ont reçu un traitement médiatique important : l’Affaire du Siècle, celle de la commune de Grande-Synthe et celle engagée par l’association Les Amis de la Terre.
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Les décisions rendues sur ces affaires ont permis de mettre en lumière les difficultés juridiques posées par la mise en cause de la responsabilité de l’État.
La nécessité d’objectifs chiffrés fixés par l’État lui-même
La recherche de la responsabilité de l’État pour préjudice écologique se heurte au caractère multifactoriel de ce dernier. Ainsi, dans sa décision rendue le 3 février 2021 relative à l’Affaire du Siècle, le tribunal administratif de Paris n’a donné satisfaction aux associations requérantes que sur les points relatifs à la mise en œuvre des mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, car l’établissement du manquement était facilité la définition précise des budgets carbone aux termes de l’article 2 du décret du 18 novembre 2015.
Certes, le contexte de forte préoccupation écologique et la pression publique incitent les Gouvernements à multiplier la signature d’accords. Ainsi, la France a signé plusieurs traités en matière de climat : la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques en 1992, le Protocole de Kyoto en 1997, la Convention d’Aarhus en 1998, et l’Accord de Paris sur le réchauffement climatique en 2015. Il demeure que, juridiquement, le juge administratif ne peut que constater la carence de l’État face à ses promesses concrètes et chiffrées.
Dans l’affaire initiée par l’association Les Amis de la Terre en 2015, la responsabilité de l’État a été engagée sur le fondement de la directive n° 2008/50/CE du 21 mai 2008, transposée dans le code de l’environnement (art. R. 221-1), qui fixe des valeurs limites en matière de concentration de polluants, notamment de dioxyde d’azote et de particules fines PM10.
En cas de dépassement des valeurs limites dans une zone donnée, la directive prévoit la mise en place de plans relatifs à la qualité de l’air afin de limiter ces dépassements dans le temps. En France, la mise en œuvre de ces plans comprend aussi bien les « plans de protection de l’atmosphère » élaborés par les préfets concernés, que des mesures fiscales ou des normes d’émissions (source : site du Conseil d’État).
Par une décision rendue le 12 juillet 2017, le Conseil d’Etat a fait droit à la demande initiée par l’association pour que soit prise toute mesure utile pour ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 en dessous des valeurs limites. Il a à cet effet imposé le respect d’une date butoir : un plan relatif à la qualité de l'air devait être transmis à la Commission européenne avant le 31 mars 2018.
L’inaction de l’État et l’insuffisance des mesures adoptées ont été constatées par le Conseil d’État, par une décision rendue le 10 juillet 2020 : l’État n’avait pas pris toutes les mesures permettant d’assurer l’exécution de la décision rendue le 12 juillet 2017, tandis que les valeurs limites fixées par l’article R. 221-1 du code de l’environnement étaient toujours dépassées dans neuf zones (Vallée de l’Arve, Grenoble, Lyon, Marseille-Aix, Reims, Strasbourg et Toulouse pour le dioxyde d’azote, Fort-de-France pour les particules fines, et Paris pour le dioxyde d’azote et les particules fines).
Le Conseil d’État a également ordonné à l’État de prendre les mesures nécessaires dans un délai de six mois ; l’injonction est assortie cette fois-ci de la menace d’une astreinte de dix millions d’euros par semestre de retard.
L’astreinte est finalement prononcée par une décision du 4 août 2021 : le Conseil d’État a condamné l’État à payer l’astreinte de 10 millions d’euros pour le premier semestre de l’année 2021 à l’association Les Amis de la Terre, ainsi qu’à d’autres associations engagées dans la lutte contre la pollution de l’air. Cette décision est également assortie d’une échéance prévue au début de l’année 2022 pour l’évaluation des actions menées par le Gouvernement au cours du second semestre de l’année 2021 afin de décider si l’État devra verser de nouveau une astreinte.
Un mécanisme d’astreinte peu classique
L’arrêt a été l’occasion pour la jurisprudence administrative de faire évoluer sa position sur l’astreinte et en particulier ses affectataires, sous l’impulsion du rapporteur public, Stéphane Hoynck. En effet, comme l’a souligné ce dernier, si le juge administratif avait admis le prononcé d’une astreinte à l’encontre d’une personne publique, son prononcé à l’occasion du manquement de l’État demeurait problématique.
En effet, afin d’éviter le risque d’enrichissement sans cause du requérant, l’article L.911-8 du code de justice administrative prévoit que le juge pourra décider d’affecter une part de l’astreinte prononcée au budget de l’État. « Cette solution permet de répondre aux objectifs de l’astreinte – constituer un moyen de pression afin d’inciter la partie perdante à exécuter la décision de justice – tout en évitant les problèmes liés au risque d’enrichissement sans cause du requérant » (E. Plard, « Le contentieux administratif au service de la lutte contre la pollution de l’air – étude des arrêts du Conseil d’État Association Les Amis de la Terre », Gazette de l’Association IDPA, n° 46, sept. 2021, consultable sur ce lien).
Ainsi, pour éviter de faire perdre à l’astreinte son aspect coercitif - ce qui serait le cas si l’État était à la fois débiteur et créancier de l’astreinte, le Conseil d’État a suivi en l’espèce la recommandation du rapport public qui proposait dans ses conclusions le versement de l’astreinte à un tiers, personne morale, ayant une finalité d’intérêt général en rapport direct avec l’objet du litige (S. Hoynck, concl. sur CE, ass. 10 juillet 2020, Association Les Amis de la Terre France, req. n° 428409, p.19, cité par E. Plard, ibid.)
Tableau récapitulatif des affectataires de l’astreinte
(Source : communiqué de presse du Conseil d’État du 4 août 2021)
L’échéance de l’année 2022 est déjà tombée et la question demeure de savoir si cette astreinte au montant record aura été suffisamment coercitive pour contraindre l’État à respecter ses engagements, ou si le Conseil d’État sera amené prochainement à prononcer une nouvelle astreinte.
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Docteure en droit et diplômée de l'Essec, Eloïse est rédactrice en chef du Blog Predictice.