L’État condamné pour conditions de détention indignes

15 octobre 2021

4 min

Conditions de détention en prison
Le juge administratif des référés considère que les conditions de détention à la prison de Toulouse-Seysses bafouent les droits fondamentaux (TA Toulouse, 4 oct. 2021).

Un constat inquiétant dans les prisons

L’Observatoire international des prisons (OIP) et l’Ordre des avocats du barreau de Toulouse ont saisi en référé le tribunal de Toulouse le 16 septembre dernier. Selon les demandeurs, les conditions de détention au sein du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses violent plusieurs droits fondamentaux des personnes incarcérées dont le droit à la vie (art. 2 CEDH), le droit de ne pas subir de traitements dégradants (art. 3 CEDH) et le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH). 

LIRE LA DÉCISION >> Tribunal administratif de Toulouse, 4 octobre 2021

Ce type de référé, appelé référé-liberté, permet au juge d’ordonner sous 48h toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle l’administration aurait porté atteinte de manière grave et manifestement illégale (article L. 521-2 du Code de justice administrative). En l’espèce, les juges ont estimé que la condition d’urgence était justifiée par le taux de surpopulation carcérale de 186 % pour les hommes et 145 % pour les femmes, taux qui impose à de nombreux détenus de dormir sur des matelas à même le sol, ainsi que par l’absence de séparation entre les sanitaires et les cellules, la pullulation des nuisibles, l’accès dégradé aux soins médicaux et la multiplication des faits de violence (ordonnance p.7).


Ce référé avait donc pour finalité d’enjoindre aux pouvoirs publics de prendre toutes mesures nécessaires pour améliorer les conditions de détention décriées. Les critiques formulées sont notamment tirées d’un rapport publié en juillet 2021 par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL).

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Des critiques récurrentes sur les conditions de détention

La Cour Européenne des droits de l’Homme condamne régulièrement la France pour les conditions inhumaines et dégradantes de ses établissements pénitentiaires (en ce sens : CEDH, arrêt du 30 janvier 2020, JMB et autres c. France, nº 9671/15  ; CEDH, arrêt du 11 avril 2019, Guimon c. France, n°48798/14 ; pour approfondir la question, cf. Nicolas Ferran, « Combattre la surpopulation carcérale et l'indignité des conditions de détention. Dans les coulisses d'une “guérilla contentieuse” », Revue des Droits de l’Homme, février 2021). 

 

Ces condamnations concernaient également le non-respect du droit à un recours effectif pour faire cesser ces atteintes et ont donné lieu à une réforme en droit français. En effet, le Conseil constitutionnel a constaté qu’« aucun recours devant le juge judiciaire ne permet au justiciable d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à sa dignité résultant des conditions de sa détention provisoire » (Conseil constitutionnel, 2 octobre 2020, n° 2020-858/859 QPC).


Le législateur a alors prévu au second alinéa de l’article 144-1 et à l’article 803-8 du Code de procédure pénale (loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention) une voie de recours spécifique aux conditions de détention indignes. Cette procédure permet désormais à tout détenu qui estime ses conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine de saisir le juge de l’application des peines ou, s’il est en détention provisoire, le juge des libertés et de la détention.

 

La prescription de mesures urgentes

Dans son ordonnance du 4 octobre 2021, le juge administratif préconise la mise en place de plusieurs mesures d’urgence incombant à l’administration.

 

Toutefois, le tribunal a rejeté un certain nombre de demandes en raison de son incompétence pour apprécier des choix de politique publique. De même, il a estimé que plusieurs d’entre elles ne pouvaient être mises en œuvre à bref délai.

 

Il demeure que le juge des référés, bien que limité par son office, a prescrit la mise en œuvre de plusieurs mesures urgentes destinées à préserver les détenus de traitements inhumains et dégradants sur le fondement de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, du Code de procédure pénale, de la loi du 24 novembre 2009 et du Code de justice administrative. 

 

« Si, plusieurs […] de leurs demandes ont été écartées par le Tribunal administratif de Toulouse, au motif notamment qu’elles excédaient l’office du juge des référés, l’OIP, l’Ordre des avocats du barreau de Toulouse et le SAF ne peuvent qu’être satisfaits des mesures de sauvegardes ordonnées, dont ils vérifieront avec attention la pleine exécution par l’administration. » - Communiqué de presse de l’OIP du 4 octobre 2021.

 

En premier lieu, ces mesures concernent les conditions de détention au sein des cellules. Le juge ordonne que les toilettes soient séparées par un dispositif du reste de la pièce. Constatant l’inadaptation des cellules destinées aux détenus à mobilité réduite, il demande leur « réfection » ainsi que leur « réorganisation ». S’agissant de la salubrité de la prison, le juge prescrit un affermissement dans l’éradication des rats, blattes et autres nuisibles. Enfin, face à la surpopulation carcérale, le juge enjoint à l’administration pénitentiaire de procéder à des transferts de détenus et à rétablir le « rythme antérieur de deux promenades par détenu et par jour pour les détenus placés en cellules dites “triplées” », sous réserve que la situation sanitaire le permette (ordonnance, p.16).

 

Dans un second lieu, s’agissant des espaces communs de la prison, le juge enjoint le Ministre de la Justice d’équiper le centre de promenades « d’un abri, de bancs et d’installations permettant l’exercice physique » ainsi qu’à rénover les installations déjà présentes (ordonnance, p.11). Relevant que l’accès aux soins est insuffisant, le juge commande de mieux aménager le service médico-psychologique et les cours de promenade de la nurserie et ordonne leur dératisation, « de manière à rendre leur configuration et leur aspect plus conformes aux besoins particuliers des populations de détenus qu’elles accueillent » (ordonnance, p.12) et enjoint le Ministre de la Santé à définir « un protocole de coordination des prises en charge médicales d’urgence et spécialisées assurant que les soins, consultations et examens relatifs aux pathologies les plus graves et aux urgences soient prises en charge dans un délai raisonnable » (ordonnance, p.17).

 

De plus, le tribunal ayant relevé de nombreux faits de violence entre codétenus et impliquant également le personnel pénitentiaire, il prescrit à l’administration de procéder à un « enregistrement systématique […] de tout fait de violence, qu’il mette en cause un détenu ou un agent », pour garantir « outre une action disciplinaire et de prévention […] la protection de l’intégrité physique des détenus et la garantie de leurs droits » (ordonnance, p.19).

 

Enfin, le juge des référés commande au préfet de la Haute-Garonne de réunir un conseil d’évaluation de l’établissement dans un délai d’un mois, celui-ci ne s’étant pas tenu depuis 2018 en violation des prescriptions légales (articles D. 234 et D.235 du Code de procédure pénale).


On ne pourra qu’espérer que ce référé-liberté aura un impact significatif sur les conditions de détention en France, contrairement aux nombreuses autres procédures de ce type intentées par l’OIP depuis l’affaire de la prison des Beaumettes à Marseille (Tribunal administratif de Marseille, 10 janvier 2013). L’adoption de la loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention constitue un signal fort en ce sens. Ce nouveau référé-liberté, marquera-t-il enfin une nouvelle étape pour les prisons françaises ?

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Calypso Korkikian

Diplômée de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de Sciences Po, Calypso rédige des contenus pour le Blog Predictice.

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