La clause d’audit avantage le franchiseur qui procède à un 145

18 janvier 2022

8 min

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La violation d’une clause d’audit par un franchisé constitue un motif légitime pour solliciter un 145 et justifie son périmètre large (CA Poitiers, 27 juill. 2021).

 

« Il existe une dépendance juridique, économique et technologique très forte entre franchiseurs et franchisés, qui ne laisse que peu de marge au franchisé pour défendre ses droits et avoir un véritable pouvoir de négociation contradictoire avant toute instance » - Benoît Javaux, associé au sein du cabinet Squadra Avocats. 

 

Une mesure d’instruction in futurum pour détecter les possibles fraudes d’un franchisé

 

Depuis 2011, une société exploite sous franchise des supermarchés à La Roche-sur-Yon et Challans. Un contrat d’enseigne la lie à une tête de réseau et lui permet d’exploiter sous l’enseigne de la chaîne de supermarchés et de s’approvisionner auprès d’elle ou de ses filiales. Dans ce cadre, le franchisé exploite de façon autonome un système de carte fidélité et de remises qui reste cependant financé par le franchiseur. 

 

En 2019, la tête de réseau a décelé un volume inhabituel de remises et avantages clients dans les supermarchés de son distributeur. Estimant que ces anomalies auraient généré une perte considérable à ses frais, celle-ci a demandé des justifications au dirigeant des franchises ainsi que son accord pour faire procéder à un audit.

 

Le dirigeant ayant refusé, le franchiseur l’a alors prévenu par courrier qu’il allait tout de même faire procéder à un audit par un cabinet d'experts-comptables et qu’il comptait sur sa coopération, rappelant la clause d’audit prévue dans le contrat d’enseigne. Celle-ci autorise en effet la tête du réseau à procéder ou faire procéder à un audit régulier des informations, notamment comptables, de son distributeur, afin de vérifier que celui-ci respecte ses engagements. En l’espèce, cette clause l'autorisait expressément à effectuer à tout moment des missions de contrôle de la gestion chez son distributeur. En juillet 2020, le pré-rapport rédigé par les experts a d’ailleurs semblé confirmer ses soupçons.

 

Le franchiseur a alors déposé une requête auprès du tribunal de commerce de la Roche-sur-Yon afin d’obtenir une ordonnance autorisant une mesure d’instruction in futurum sur la base de l’article 145 du Code de procédure civile. Les ordonnances de « 145 » sont fréquemment demandées dans les litiges commerciaux, car elles permettent, avant tout procès, de conserver ou d'établir la preuve de faits dont pourrait dépendre le litige au fond, dès lors que le requérant justifie d'un motif légitime. Cette mesure peut être demandée soit par référé, soit par requête, c’est-à-dire « non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse » (article 493 du Code de procédure civile).

 

En l’espèce, le tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon a accepté la demande du franchiseur sur requête et l’a ainsi autorisé à se faire remettre la copie de tous documents en rapport avec les infractions présumées par le biais d’une saisie. L’ordonnance prévoyait également que le cabinet d’experts-comptables, déjà précédemment mandaté par le franchiseur, puisse assister l’huissier de justice dans sa saisie afin d’installer un logiciel permettant de récupérer les fichiers informatiques du distributeur. 

 

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Contestant la saisie effectuée en septembre 2020, le franchisé a assigné sa tête de réseau devant le juge des référés du tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon aux fins de rétractation de l’ordonnance de 145 du 27 juillet 2020. Ce type de référé appelé référé-rétractation permet ainsi de rétablir un débat contradictoire après une demande sur requête afin d’apprécier les mesures provisoires ordonnées en l’absence du requérant (articles 496 et 497 du Code de procédure civile). En l’espèce, le franchiseur a invoqué à l’appui de sa demande une absence de motif légitime, et donc une possible illégalité de l’ordonnance de 145, ainsi qu’un périmètre de mission trop large de l’huissier.

 

Cependant, le président du tribunal de commerce a confirmé en tous points l'ordonnance de 145 le 21 décembre 2020, estimant « qu’en l’espèce, les circonstances de cette affaire justifient pleinement l’appréciation souveraine du Président du Tribunal de céans » (jugement du tribunal de commerce, p.5). Pour justifier la non-rétractation de l’ordonnance et l’utilisation d’une requête pour solliciter un 145, le juge s’est notamment basé sur les possibles infractions pénales commises par le franchisé, sur le risque de dépérissement des preuves ainsi que sur le refus du franchisé de coopérer avec l’audit demandé par son franchiseur. Le franchisé s’est alors retrouvé débouté de toutes ses demandes fin 2020.

 

LIRE LA DÉCISION >> Tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon, 21 décembre 2020, n°2020003802

 

L’appel du franchisé pour rétracter l’ordonnance autorisant le 145 

 

Le 4 janvier 2021, le franchisé a interjeté appel de l’ordonnance du Président du tribunal de commerce et demandé à la Cour d’appel de Poitiers d’infirmer l’ordonnance du 21 décembre 2020 en toutes ses dispositions, afin d’obtenir une rétractation intégrale de l’ordonnance de 145 du 27 juillet 2020, l’annulation de la saisie pratiquée et la restitution des documents appréhendés à cette occasion. 

 

Au soutien de sa demande, le distributeur a notamment soutenu que le franchiseur disposait déjà d’un accès à son système informatique grâce à l’outil de gestion des cartes de fidélité qu’il lui imposait, que la saisie avait porté atteinte à son indépendance en tant que franchisé et qu’elle était disproportionnée en raison de la généralité de la mission.  

 

Le juge s’est alors dans un premier temps penché sur la légalité de la mesure de saisie, à savoir d’apprécier si les conditions pour effectuer une mesure d’instruction in futurum étaient satisfaites.

 

LIRE LA DÉCISION >> Cour d’appel de Poitiers, 27 juillet 2021, n°21/00018

La non-exécution de la clause d’audit facilite la caractérisation de l’intérêt légitime 

L’obtention d’une ordonnance autorisant une mesure d’instruction avant tout procès au fond est conditionnée par la réunion de trois critères selon larticle 145 du Code de procédure civile. Le juge saisi doit ainsi vérifier que la mesure sollicitée est demandée en dehors de tout procès, qu’elle repose sur un motif légitime et, enfin, que les mesures d’instruction demandées sont légalement admissibles. 

 

Le tribunal a tout d’abord contrôlé l’existence d’un motif légitime et l’opportunité de déroger au contradictoire par le recours à une procédure sur requête et non en référé.

 

Lors de la première instance, le franchiseur a soutenu que les pratiques du franchisé relatives aux cartes de fidélité, promotions et certaines caisses interrogeaient sur leur fonctionnement et justifiaient la mise en œuvre de la clause d’audit. Rappelant que la tête de réseau a tout d’abord convoqué le dirigeant des franchises pour qu’il s’explique, puis a échangé avec lui au sujet de l’audit que ce dernier a toujours refusé, le juge d’appel a retenu que l’audit « n’ayant pu être réalisé d’un commun accord, les intimées étaient fondées à solliciter l’exécution d’une mesure d’instruction permettant de recueillir les documents qui auraient dû être mis à disposition de la société [d’experts-comptables], en vue de l’exercice éventuel d’une action en justice » (jugement d’appel, p.8). Le manquement du franchisé à son obligation contractuelle de coopération et facilitation des audits auxquels il est soumis aide ainsi à caractériser un motif légitime pour effectuer un 145.

 

S’agissant de la demande de mesure d’instruction in futurum par requête et non par référé, le juge a relevé d’une part, que le franchisé avait été « avisé des anomalies constatées [et] n’a pas donné suite à la demande d’audit » (jugement d’appel, p.8) et, d’autre part, que le risque de dépérissement des preuves informatiques relatives aux cartes de fidélité « autorisait [le franchiseur] à agir par voie de requête, non contradictoirement » (jugement d’appel, p.8). 

 

La clause d’audit justifierait également un périmètre large de mission 

La clause d’audit insérée au sein du contrat d’enseigne, autorise la tête de réseau à procéder ou à faire procéder à toute mesure de contrôle de gestion et d’expertise et précise que le franchisé doit faciliter l’intervention de l’expert commis. Le juge a alors vérifié que cette clause avait été respectée et mise en œuvre conformément à ses stipulations. 

 

L’ordonnance du 21 juillet 2020 autorisait l’huissier à se faire remettre tous les « dossiers, fichiers, documents, correspondances, situés dans lesdits locaux, quel qu’en soit leur forme et leur support, informatique, électronique ou autre, en rapport avec les faits litigieux précédemment exposés » (jugement d’appel, p.9), c’est-à-dire ceux relatifs aux « avantages carte (de fidélité) aux lots virtuels (LV), et aux remises immédiates (RI) » (jugement d’appel, p.9). 

 

Le juge d’appel a alors considéré que le premier audit réalisé en juin 2020 avait porté sur les données de l’année 2019, et qu’il était alors « pertinent de recueillir les données de l’année précédente aux fins de comparaison, celles de l’année 2019 en cause et celles de l’année 2020 en cours » (jugement d’appel, p.9) afin de déceler des anomalies. De plus, le juge a constaté que l’huissier s’était contenté de récolter les éléments possiblement litigieux et n’avait pas procédé à leur analyse.

 

« Depuis la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires et son décret d’application, les pièces demandées dans le cadre d'une mesure d’instruction 145 sont d’office placées sous séquestre provisoire et, si le juge n’est pas saisi d’une demande de rétractation dans le mois suivant la signification de sa décision, les pièces sont remises au requérant. En l’espèce, l’arrêt illustre ce que nous avions déjà anticipé, à savoir que ce principe allait devenir la norme en matière de 145 même lorsque le secret des affaires n’est pas invoqué ». - Benoît Javaux, associé au sein du cabinet Squadra Avocats. 

 

Dès lors, le juge a estimé que la mesure d’instruction était proportionnée puisqu’elle n’a pas dépassé le cadre des audits auxquels le franchisé était de toutes façons contractuellement soumis : « La mesure autorisée par le président du tribunal de commerce n’excède ainsi pas l’engagement que [le franchisé] avait pris auprès [du franchiseur], qu’elle n’a pas exécuté » (jugement d’appel, p.9).

 

« Il est important de prévoir des clauses d’audit dans les contrats de distribution. Celles-ci facilitent en effet la mise en œuvre d’un 145 car le refus de procéder à un audit contractuellement prévu constitue un motif légitime caractérisé presque automatiquement. Plus la rédaction de la clause sera large, plus le périmètre de l’ordonnance de 145 pourra lui-aussi être large, car le juge aura alors tendance à considérer que cette mesure d’instruction n’est pas disproportionnée puisque l’autre partie avait donné son accord dans le contrat. » - Benoît Javaux, associé au sein du cabinet Squadra Avocats. 

 

La difficile caractérisation de l’impartialité de l’expert assistant l’huissier

Au soutien de sa déclaration d’appel, le franchisé avait également soutenu que la mesure d’instruction était illégale « en l’absence d’indépendance et d’impartialité du cabinet d’expert-comptable commis, en relation d’affaires avec [le franchiseur] » (jugement d’appel, p.6).

 

En effet, l’ordonnance du 21 juillet 2020 autorisait l’huissier procédant à la saisie à se faire assister par le cabinet d’experts-comptables déjà mandaté par le franchiseur pour mettre en œuvre la clause d’audit. 

 

Cependant, le juge d’appel a rapidement écarté cet argument estimant, d’une part, qu’il « n’est nullement établi que la société [d’experts-comptables] est d’une quelconque manière subordonnée aux intimées » (jugement d’appel, p.9) et, d’autre part, qu’il était seulement demandé au cabinet d’experts-comptables d’assister l’huissier en installant des logiciels ou périphériques pour extraire les données du franchisé, ce qui, pour le juge, constitue une mission « purement technique, l’huissier de justice commis conservant seul la direction et la maîtrise de la mesure ordonnée » (jugement d’appel, p.9). Dès lors, l’indépendance de l’expert assistant l’huissier de justice ne pouvait être remise en cause pour la cour d’appel.

 

« La cour d’appel de Poitiers a pris position sur un point qui n’est actuellement pas complètement tranché par la jurisprudence. Selon la cour, il ne peut y avoir de rétractation de l’ordonnance que s’il existe un lien de subordination entre l’expert assistant l’huissier et le requérant. En l’espèce, l’expert avait précédemment rendu un rapport dans cette même affaire et avait donc été payé par le requérant, ce qui pouvait créer une apparence de dépendance, mais les juges ne l’ont pas retenu. Ils ont considéré que la mission de l’expert était purement technique dans l’assistance de l’huissier. Or, cela n’est pas forcément vrai en pratique. En l’état de la jurisprudence, il semble en tout cas difficile de contester la nomination de l’expert assistant l’huissier » - Benoît Javaux, associé au sein du cabinet Squadra Avocats. 

 

Ainsi, le motif légitime de l’ordonnance autorisant la mesure d’instruction in futurum étant caractérisé, le périmètre de la saisie validé et l’impartialité de l’expert rejetée, la cour d’appel de Poitiers a confirmé l’ordonnance du 21 décembre 2020 du tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon et rejeté les demandes du franchisé. 


Cet arrêt semble ainsi rappeler aux franchiseurs qu’ils ont tout intérêt à rédiger les clauses d’audits dans des termes généraux puisque le juge peut calquer le périmètre de mission accordé dans le cadre d’une mesure d’instruction in futurum sur ses stipulations. De plus, le non-respect de la clause d’audit par le franchisé semble faciliter la caractérisation du motif légitime nécessaire pour procéder à un 145.

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Calypso Korkikian

Diplômée de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de Sciences Po, Calypso rédige des contenus pour le Blog Predictice.

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