Permis de construire : une expertise pour chiffrer un recours abusif

17 décembre 2021

3 min

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Un potentiel procès en abus de droit justifie une expertise pour chiffrer le préjudice du promoteur dû à des recours abusifs (TJ Marseille, 3 déc. 2021, n°21/02929)

Une demande d’expertise judiciaire pour chiffrer le préjudice du promoteur

Dans le courant de l’année 2021, une SAS est venue aux droits d’une SA bénéficiaire d’un permis de construire, estimant que les recours administratifs engagés par les défendeurs à cette instance contre la SA avaient eu pour effet de bloquer leurs activités de construction ce site.

 

La SAS a donc assigné ces derniers en référé devant le président du tribunal judiciaire de Marseille afin de solliciter une expertise judiciaire pour évaluer le préjudice qu’elle subit du fait de ces recours. 

LIRE LA DÉCISION >> Tribunal judiciaire de Marseille, 3 décembre 2021, n°21/02929

 

Les litiges liés aux recours abusifs en matière de permis de construire sont récurrents en droit de l’urbanisme. Depuis l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, l’article L.600-7 du Code de l’urbanisme, modifié par la loi ELAN de 2018, dispose que « lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire […] est mis en œuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant et qui causent un préjudice au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander […] au juge administratif saisi du recours de condamner l'auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. ». 


Depuis 2018, ce mécanisme de protection contre les recours abusifs a été renforcé. En effet, le recours prévu par l’article L.600-7 du Code de l’urbanisme, dans sa nouvelle rédaction, n’a plus besoin d’être exercé « dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant », comme cela était prévu par la rédaction de 2013, mais uniquement « dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant ». De plus, le préjudice subi par le bénéficiaire n’a plus besoin d’être « excessif », mais seulement réel. En assouplissant ces critères, le législateur semble donc vouloir lutter contre les abus de droit dans un contexte de pénurie de logements.

 

Une demande de mesure d’instruction in futurum

En l’espèce, afin d’obtenir une mesure d’expertise avant tout procès au fond, la SA a mobilisé les dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile dont l’effectivité dépend de la réunion de trois critères.

 

Afin d’être utilement invoquée, le juge saisi d’une demande d’instruction in futurum doit vérifier que la mesure sollicitée est demandée en dehors de tout procès, qu’elle repose sur un motif légitime et enfin qu’elle est légalement admissible. 

 

En l’espèce, le tribunal s’est surtout penché sur la caractérisation d’un motif légitime justifié par la SA, soit l’invocation de recours administratifs abusifs.

 

« Le tribunal judiciaire de Marseille a fait droit à la demande d'expertise du cabinet CGCB & Associés pour chiffrer le préjudice du promoteur du fait du retard important qu'impliquent les procédures engagées contre le permis de construire un programme immobilier. Pour le juge, il suffit de constater qu'un procès en abus de droit est possible. » - Maud Barbeau Bournoville, associée au sein du cabinet CGCB & Associés et conseil de la SAS.

 

Dans un premier temps, les juges ont considéré que la détermination du caractère abusif ou non des recours administratifs ne relève pas de leur office et qu’il appartiendra aux juges saisis du fond dans une instance ultérieure d’apprécier le caractère abusif ou non de ces recours. Ils ont cependant relevé que les procédures administratives engagées par les défendeurs ont « parfois [été] mal dirigées » (jugement p.2) et ont eu pour conséquence d’entraîner un retard dans les travaux prévus par la demanderesse sur le complexe immobilier. 

 

Les juges ont ensuite considéré qu’il « suffit de constater qu'un tel procès est possible, qu'il a un objet et un fondement suffisamment déterminés, que sa solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée et que celle-ci ne porte aucune atteinte illégitime aux droits et libertés fondamentaux d'autrui. » (jugement p.2).

 

Pour cette juridiction, il suffit donc de caractériser qu’un potentiel procès en abus de droit est possible afin d’autoriser une mesure d’instruction in futurum. La notion d’abus dans l’exercice de l’action permet en effet de sanctionner l’usage de droits subjectifs dans le but de nuire à autrui. L’article 32-1 du Code de procédure civile dispose ainsi que « celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. ».

 

Par conséquent, les juges ont retenu que « dans l’hypothèse où la responsabilité des défendeurs serait retenue, la demande de la SAS tendant à faire évaluer à ses frais le préjudice résultant pour elle du retard pris du fait des recours répond à un motif légitime au sens de l’article 145 du Code de procédure civile » (jugement p.2).

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La nomination d’un expert judiciaire pour chiffrer le préjudice du promoteur 

Les trois critères de l’article 145 du Code de procédure civile ayant été considérés comme satisfaits par les juges, ces derniers ont fait droit à la demande de la SAS et nommé un ingénieur en travaux publics afin d’évaluer le préjudice subi par la SAS venant aux droits de la SA, au motif que le retard pris dans la réalisation des travaux autorisés par le permis de construire a été causé par les recours administratifs engagés par les requérants.

 

Cet expert devra établir un pré-rapport remis aux parties ou à leurs conseils afin qu’elles puissent exposer leurs éventuelles observations puis le soumettre à la juridiction afin d’évaluer le préjudice subi par les promoteurs immobiliers.

 

« Ce jugement pourrait-il constituer un moyen de responsabiliser les requérants ? » - Maud Barbeau Bournoville, associée au sein du cabinet CGCB & Associés et conseil de la SAS.

 

Si cette décision ne tranche pas le litige sur le fond, les juges ont néanmoins critiqué de façon assez virulente l’utilisation des recours abusifs afin de bloquer les permis de construire et l’atonie des juridictions administratives. Le fait que les juges du tribunal judiciaire de Marseille fassent droit à la demande d’expertise pour chiffrer le préjudice du promoteur semble ainsi s’inscrire dans un mouvement nouveau destiné à lutter contre les recours abusifs en droit de l’urbanisme.

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Calypso Korkikian

Diplômée de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de Sciences Po, Calypso rédige des contenus pour le Blog Predictice.

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