Le CSE doit assumer le coût de l’expertise sur la participation

3 décembre 2021

4 min

illustration partage des frais d'expertise
En application de la réforme du droit du travail de 2017, il incomberait désormais au CSE de prendre en charge les frais de l’expertise relative à la participation (TJ Nanterre, 8 oct. 2021, n° 21/01606).

La participation des salariés aux bénéfices de l’entreprise

Le mécanisme de participation des salariés aux bénéfices de l’entreprise impose aux entreprises de redistribuer une fraction de leurs bénéfices à leurs salariés : « La participation a pour objet de garantir collectivement aux salariés le droit de participer aux résultats de l'entreprise. » (article L.3322-1 du Code du travail). Ainsi, les entreprises employant au moins cinquante salariés ont l’obligation de garantir le droit de leurs salariés de participer aux résultats tandis que ce mécanisme est facultatif pour les autres entreprises (article L.3322-2 du Code du travail).

 

Cette redistribution des bénéfices de l’entreprise aux salariés prend la forme d’un plan d'épargne salariale dont les primes sont déterminées en fonction du bénéfice net de l'entreprise, constituant la réserve spéciale de participation. La participation est ensuite mise en œuvre par un accord collectif et calculée en utilisant soit une formule de calcul légale, soit une formule libre, mais qui doit être aussi favorable aux salariés que la formule légale (article L.3324-2 du Code du travail).

 

Le CSE a un droit d’information - et non de consultation - quant à la détermination de la participation et doit à ce titre pouvoir examiner le rapport relatif à la réserve spéciale de participation dans les six mois de la clôture de l’exercice fiscal (article D.3323-13 du Code du travail). Le rapport qui lui est soumis doit notamment présenter les éléments servant de base au calcul du montant de la réserve spéciale de participation aux bénéfices et le mode de répartition entre les salariés.

 

Le rapport sur la participation présenté par l’employeur au CSE étant assez technique, l’article D.3323-14 du Code du travail permet au CSE de solliciter l’intervention d’un expert-comptable. 

 

Le contentieux de la prise en charge du coût de l’expertise de la participation

Avant les ordonnances « Macron » du 22 septembre 2017 réformant le droit du travail, la Cour de cassation  considérait que « l'expert-comptable désigné par le comité d'entreprise en vue de l'assister pour l'examen du rapport annuel relatif à la réserve spéciale de participation est rémunéré par l'employeur » (Cour de cassation, chambre sociale, 28 janvier 2009, 07-18.284, Publié au bulletin)

 

Larticle D.3323-14 du Code du travail faisait et fait en effet toujours référence à l’ancien article L.2325-35 relatif aux expertises rémunérées par l’entreprise. L’article L.2325-35 a été abrogé en 2017, mais la référence qui y était faite au sein de l’article D.3323-14 a été maintenue.

 

Se pose alors la question de savoir qui du CSE ou de l’employeur doit prendre en charge  la rémunération de l’expert. En effet, seuls les articles L.2315-80 et L.2315-81 du Code du travail traitent désormais de la rémunération des experts sans que l’un d’eux ne fasse référence à une expertise relative à la participation.

 

C’est précisément ce flou juridique qui a engendré un litige entre la société Technip France et son CSE et donné lieu au jugement du tribunal judiciaire de Nanterre du 8 octobre 2021.

 

LIRE LA DÉCISION >> Tribunal judiciaire de Nanterre, 8 octobre 2021, n° 21/01606

 

En l'espèce, en mars 2021, la société Technip France a convoqué son CSE Central à une réunion traitant de l'information sur la participation et l'intéressement 2020. Les élus du CSE ont alors voté le recours à une expertise pour les assister dans l'examen du calcul de la réserve spéciale de participation et ont estimé qu’il revenait à Technip France d’en supporter le coût.

 

Estimant qu’elle n’a pas d’obligation de prendre en charge l’expertise votée par le CSE dans le cadre de l’article D.3323-14 du Code du travail, la société Technip France a saisi le tribunal judiciaire de Nanterre.

 

Selon l’employeur, il n'existerait plus depuis 2017 d’obligation légale prévoyant une prise en charge du financement de cette expertise par l'employeur. Il ajoute que le régime des prises en charge des expertises par l'employeur est désormais prévu par l’article L.2315-80 du Code du travail qui énumère limitativement les expertises financées par l’employeur, excluant ainsi les expertises sur la participation. Technip France a aussi fait valoir le fait que le régime de l'expertise sur la réserve spéciale de participation prévoit les pouvoirs d'investigation de l'expert comptable sans impliquer automatiquement une prise en charge par l'employeur en l'absence de toute précision légale. 

 

En défense, le CSE et la société d'expertise ont répondu que cette expertise est nécessairement légale et doit donc être prise en charge par l'employeur. Selon ces derniers, le législateur n'aurait pas souhaité modifier les conditions de prise en charge de cette expertise et aurait simplement omis de modifier les dispositions de l'article D.3323-14 renvoyant à l’article L2325-35 abrogé. Enfin, ceux-ci ajoutent que ce sont donc les dispositions de l'article L 2315-80 1°) du Code du travail prévoyant la prise en charge intégrale par l'employeur des frais d'expertise qui ont vocation à s'appliquer en l'espèce.

 

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L’employeur n’a plus à supporter les frais d’expertise de la participation

Les juges du du tribunal judiciaire de Nanterre ont suivi le raisonnement de l’employeur et considéré que, dès lors « qu'il n'existe plus aucune disposition légale renvoyant à l'expert-comptable et indiquant que cet expert-comptable est rémunéré par l'employeur (contrairement à ce qu'indiquaient l'article L.434-6 alinéa 6 ancien du code du travail auquel il était renvoyé dans l'article R.442-19 ancien devenu D.3323-14 du Code du travail) et, d'autre part, que le régime de financement des expertises résulte désormais exclusivement des articles L.2315-80 et L.2315-81 du Code du travail, il n'existe aucune disposition légale prévoyant un financement de l'expertise objet de ce litige par l'employeur » (jugement p.4).

 

« Par ce jugement, le Tribunal judiciaire de Nanterre confirme que les règles de fonctionnement du CSE, issues des ordonnances Macron, ne sont pas calquées sur les règles précédemment applicables aux CE. Il ne s’agit pas d’une recodification à droit constant qui aurait pu justifier que les premières puissent être interprétées à la lumière des secondes. » - Olivier Thibaud, associé au sein du cabinet Fromont Briens et conseil de la S.A.S. TECHNIP France.

 

De plus, le tribunal retient que l'expertise à laquelle les élus du CSE peuvent recourir dans le cadre de la participation a nécessairement lieu  dans le cadre d'une procédure d'information et non d'une procédure de consultation. « Or, aucune des dispositions légales en vigueur relatives au financement en tout ou partie par l'employeur ne concernent une expertise dans le cadre d'une information du CSE. » (jugement p.5).       

   

Par conséquent, le tribunal a fait droit à la demande de la société Technip France et jugé qu’il revenait au CSE de prendre intégralement en charge les frais de l’expertise liés à la participation.

 

« Les dispositions du Code du travail ne prévoient plus, ni directement, ni indirectement, une obligation de prise en charge par l’employeur du coût de l’expertise votée par le CSE sur le calcul de la participation. Ce jugement fait donc une application stricte des textes en vigueur, là où le CSE et son expert se fondaient principalement sur une interprétation de la volonté supposée du législateur. »Olivier Thibaud, associé au sein du cabinet Fromont Briens et conseil de la S.A.S. TECHNIP France.

 

Il s'agit de la première décision rendue au fond sur cette problématique depuis la réforme de 2017. Il n’est donc pas certain que d’autres juridictions suivent le raisonnement des juges de Nanterre et une insécurité juridique subsiste donc quant à la prise en charge de la rémunération de l’expertise sur la participation. Une prise de position de la Cour de cassation serait alors souhaitable.

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Calypso Korkikian

Diplômée de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de Sciences Po, Calypso rédige des contenus pour le Blog Predictice.

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