Une capture d’écran du service Google Street View est un élément de preuve valable de l’absence d’affichage continu d’un permis de construire (CAA Lyon, 28 juin 2022)
Le 21 février 2021, la préfète de l’Ain a délivré à une société une autorisation de construire une unité de méthanisation agricole. Une association de riverains a demandé au président de la première chambre du tribunal administratif de Lyon d’annuler l’arrêté accordant ce permis de construire. Par une ordonnance rendue le 17 novembre 2021, le président de la première chambre a rejeté la demande de l’association considérant qu’elle était intervenue trop tardivement. En effet, l’article R. 600-2 du code de l’urbanisme dispose que : « le délai de recours contentieux à l’encontre d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d’un permis de construire, d'aménager ou de démolir court à l’égard des tiers à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l’article R. 424-15 ».
L’association a relevé appel de cette décision et a demandé à la Cour administrative d’appel de Lyon d’annuler cette ordonnance et l'arrêté du 21 février 2021. L’association considérait qu’aucune tardiveté ne pouvait être opposée à leur demande dans la mesure où l’affichage du permis de construire n’avait pas été continu pendant une période de deux mois. Elle estimait également que certaines mentions du panneau d’affichage étaient erronées. Se fondant sur ces irrégularités, l’association considérait que le délai de deux mois n’avait pas commencé à courir de sorte que leur recours était recevable. En effet, il résulte notamment d’un arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon du 13 décembre 1994 que le défaut de continuité de l’affichage constitue une irrégularité rendant inopposable l’expiration du délai de deux mois. Dans cette hypothèse, il appartient au juge d’apprécier l’importance des irrégularités afin de déterminer si le délai a bel et bien expiré. Dans un arrêt de la Cour administrative d’appel de Nancy du 27 juin 2013, les juges avaient ainsi considéré que le déplacement de quelques mètres du panneau d’affichage n’est pas de nature à établir l’absence d’affichage dès lors que sa visibilité par les tiers n’en a pas été affectée.
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Google Street View est un élément de preuve valable de l’absence d’affichage continu du permis
En l’espèce, les requérants produisaient un constat d’huissier ainsi que divers témoignages attestant d’une absence d’affichage continu du panneau sur le terrain. De son côté, la préfète produisait deux procès-verbaux de constat d’huissier du 18 février et du 23 avril attestant que le panneau était bien présent sur le terrain et qu’il était lisible depuis la voie publique. Cependant, les requérants ont pu également produire une capture d’écran du service de Google Street View pour prouver l’absence d’affichage continu du panneau.
Street View est un service de la société Google permettant de visualiser à 360 degrés des lieux situés sur la voie publique. Hasard du calendrier, le véhicule qui permet d’enregistrer ces prises de vues a circulé à proximité du terrain pendant le délai de recours de deux mois. La capture d’écran produite par les requérants montrait ainsi que le panneau d’affichage était retourné et qu’il n’était pas lisible depuis la voie publique, ce qui corroborait les témoignages déjà évoqués. Or, l’article A424-18 du code de l’urbanisme prévoit que : « le panneau d'affichage doit être installé de telle sorte que les renseignements qu'il contient demeurent lisibles de la voie publique ou des espaces ouverts au public pendant toute la durée du chantier ».
Après avoir rappelé que le délai de recours ne commence à courir « qu’à la date d’un affichage complet, régulier et continu », la Cour d’appel administrative de Lyon a considéré que : « dans ces conditions, et sans qu’ait d’incidence la circonstance alléguée que le panneau ait pu être retourné par des tiers, la société pétitionnaire ne justifie pas d’un affichage continu du permis de construire sur le terrain d’assiette du projet ».
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Par ailleurs, la Cour d’appel a également estimé que les irrégularités relatives à la surface de plancher et à la hauteur des bâtiments « n’ont pas permis aux tiers d’apprécier l’importance et la consistance du projet ». Ces deux éléments permettent donc à la Cour de considérer que le délai de deux mois de recours contentieux n’a pas couru et que la demande initiale de l’association de riverains n’était pas tardive. Par conséquent, la Cour administrative d’appel de Lyon a conclu qu’ « en l’absence d’affichage régulier et continu du permis de construire sur le terrain d’assiette du projet, la demande présentée par l’association n’était pas tardive. Par suite l’ordonnance du 17 novembre 2021 du président de la première chambre du tribunal administratif de Lyon rejetant pour ce motif la demande comme irrecevable est entachée d’irrégularité ».
La Cour d’appel de Lyon a donc annulé l’ordonnance du président de la première chambre du tribunal administratif de Lyon et a renvoyé la demande de l’association de riverains devant ce même tribunal.
« Contester un permis de construire est possible dans un délai court (2 mois) ; dans le cas d’un affichage irrégulier (empêchant ce délai de courir), les requérants sont confrontés à un obstacle supplémentaire, qui est de prouver un fait qu’ils ne pouvaient pas connaître (affichage non continu pendant 2 mois, non visible depuis la voie publique)… précisément puisque l’affichage était irrégulier. C’est souvent l’obstination et l’inventivité de l’avocat qui peut faire la différence, entre un permis qu’on ne peut même plus contester, et un permis qui sera au moins examiné par le juge. Dans ce cadre, les outils numériques sont un atout qui permet de rééquilibrer – au moins en partie – le rapport de forces en faveur du requérant. » - Maître Lussiana, avocate de l'association de riverains contestant le projet de méthanisation.
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Juriste et entrepreneur, Pierre-Florian est rédacteur pour le Blog Predictice.