Booking.com BV a été condamné à verser une amende pour non-transmission de données sur ses activités à la Ville de Paris (TJ Paris, 18 oct. 2021, n°21/52480).
Les récentes victoires de la Ville de Paris contre les sites de location touristique
Avec la loi ELAN pour l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique de 2019, le législateur a renforcé le contrôle et les sanctions pesant sur les plateformes, les intermédiaires et les bailleurs quant aux locations de biens meublés à destination touristique. De plus, certaines villes, dont Paris, imposent un enregistrement auprès de la mairie ainsi qu’une limite de 120 jours de location par an (article L. 324-1-1, IV, du Code du tourisme). Dans ces communes, le contrôle du respect du seuil de 120 jours se matérialise par la communication, dans un délai d’un mois, d’un certain nombre d’informations à la mairie par les intermédiaires de location. Cette obligation s’impose également aux intermédiaires numériques, « notamment [lorsqu'ils] mettent à disposition une plateforme numérique de nature à leur conférer la connaissance ou le contrôle des données stockées » (article L. 324-2-1 du Code du tourisme). Les articles R. 324-2 et R. 324-3 du même code disposent que ces informations doivent être transmises par voie électronique, dans un format fixé par arrêté. L’arrêté du 31 octobre 2019 précise que ces données concernent le nombre de nuitées louées l'année de la demande, le nombre de nuitées louées l'année précédant la demande ou encore l'adresse du bien, et doivent être présentées dans un tableur de seize colonnes.
C’est précisément l’application faite de ces dispositions relatives à la communication d’informations par la société Booking.com BV qui a fait l’objet d’un recours.
LIRE LA DÉCISION >> Tribunal judiciaire de Paris, 18 octobre 2021, n°21/52480
La Ville de Paris semble généralement assez hostile à la présence des géants de la location touristique en ligne dans la capitale. Dès juillet 2017, le Conseil municipal de Paris a adopté plusieurs mesures soumettant les habitations de tourisme meublées à un enregistrement préalable conformément aux dispositions de l’article L. 324-1-1 du Code de tourisme et a depuis engagé plusieurs procédures judiciaires contre des intermédiaires de location.
En juillet 2021, le tribunal judiciaire de Paris a condamné la plateforme Airbnb à verser une amende civile de plus de 8 millions d’euros à la Ville de Paris pour publication d’annonces sans numéro de déclaration.
LIRE LA DÉCISION >> Tribunal judiciaire de Paris, 1er juillet 2021, n° 19/54288
Le tribunal a également donné raison à la Ville de Paris dans une vingtaine de décisions rendues le 29 septembre condamnant des particuliers et des SCI qui louaient trop régulièrement leurs biens sur des plateformes touristiques en ligne, sous réserve que la Ville de Paris soit en capacité de rapporter la preuve d’un changement d’usage de ces appartements.
Un litige cristallisé autour de la non-transmission d’informations dans les délais
En l’espèce, la Ville de Paris a soutenu que la société Booking.com BV avait manqué à ses obligations en ne lui transmettant pas les données requises par l’article L. 324-2-1 du Code du tourisme concernant ses 3 085 locations meublées référencées dans la capitale et, ce, dans le délai imparti d’un mois.
Après une tentative de résolution amiable début 2020 et la communication d’un tableau par le site en juin 2020, la municipalité a estimé que ces informations étaient toujours incomplètes.
Elle a alors saisi le président du tribunal judiciaire de Paris selon la procédure accélérée au fond - qui permet d’obtenir une décision dans les mêmes délais qu’un référé, mais qui a l'autorité de la chose jugée au principal - afin de constater la violation des dispositions précitées du Code de tourisme et de solliciter une amende de 154 250 000 €.
L’invocation de la non-conformité du droit français au droit européen
Par un motif didactique reprenant point par point les arguments de la défense, le tribunal judiciaire de Paris déboute la société Booking.com BV.
Tout d’abord, les juges apprécient la conformité de l’article L. 324-2-1 du Code du tourisme à la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 relative au commerce électronique dans le marché intérieur européen.
Selon la défenderesse, les dispositions de l’article L. 324-2-1 du Code du tourisme génèrent une restriction injustifiée et disproportionnée à la libre circulation des services au sein de l’Union européenne telle que prévue par l’article 3 de la directive. Cet article édicte en effet un principe de libre circulation qui impose une obligation négative aux États membres de ne pas interférer avec celle-ci. Exceptionnellement, l’article 4§3 de la directive 2000/31/CE autorise les États membres à porter atteinte à cette liberté, notamment pour une raison impérieuse d'intérêt général. Booking.com BV soutenait alors que les dispositions litigieuses ne rentraient pas dans le champ de ses dérogations et portaient donc atteinte à sa liberté.
À titre liminaire, le tribunal estime que la société Booking.com BV exploite un service de la société d’information relevant de la directive 2000/31/CE et que les normes internes contestées relèvent bien du « domaine coordonné » au sens de l'article 2 de la directive.
Par la suite, le tribunal vérifie, d’une part, si l’article L. 324-2-1 du Code du tourisme porte effectivement atteinte à la liberté de circulation des services de Booking.com BV et, d’autre part, si la société Booking.com BV, immatriculée aux Pays-Bas, ne fait pas l’objet de discrimination liée à son pays d'origine dans l'appréciation de la restriction. À cet égard, les juges retiennent que « la société Booking.com BV est placée dans une stricte situation d’égalité par rapport aux autres prestataires sur le marché des meublés de tourisme en France qu’ils opèrent pour une plateforme numérique ou non. Ceux-ci doivent fournir les mêmes informations si les services municipaux les sollicitent et encourent les mêmes sanctions en cas de manquement » (jugement p.11). En outre, citant l’arrêt Cali Apartments SCI et HX du 22 septembre 2020 rendu par la CJUE, le tribunal retient que les normes internes ont « une raison impérieuse d’intérêt général reconnue par le droit de l’Union européenne de lutte contre la pénurie de logements destinés à la location » (jugement p.10).
Dans un second temps, les juges examinent l’argument selon lequel l’obligation de transmission d’informations constitue une contrainte administrative démesurée. À ce titre, ils retiennent que : « L'obligation de communiquer les informations […] pour un éditeur de contenu exploitant une plate-forme d'intermédiation et leur formalisation dans un tableur ne gênent ni ne rendent moins attrayant l'exercice de la libre prestation du service en cause » (jugement p.12).
Par conséquent, le tribunal rejette l’invocation d’une entrave à la libre circulation et le renvoi d’une question préjudicielle.
La qualification juridique du site de réservation touristique
Se posait ensuite la question de la qualification juridique d’hébergeur ou d’éditeur de Booking.com BV. En effet, la loi instaure une présomption de détention des informations mentionnées à l’article L. 324-2-1 du Code du tourisme concernant les éditeurs.
La société Booking.com BV se présente comme une société exploitant simplement une plateforme de mise en relation d’hébergements et des consommateurs. Elle considère à ce titre qu’elle ne peut être tenue pour responsable de l'absence de communication de pièces qu'elle ne détient pas.
Le tribunal considère au contraire que la société Booking.com BV est bien un éditeur et non un simple hébergeur d’annonces en se basant notamment sur l’existence d’un système de notation des logements et d’un programme premium.
« Nous ne pouvons être d’accord avec l’argumentation du tribunal qui qualifie notre cliente d’« éditeur » ; nous retenons toutefois que le tribunal utilise cette qualification uniquement pour établir que Booking.com BV aurait dû avoir connaissance de certaines informations demandées par la Ville de Paris, mais non pas de toutes.
Le jugement ne se prononce en aucune manière sur la question de savoir si la plateforme pouvait être tenue responsable de l’exactitude des informations fournies, ce que nous ne pouvons que refuser, notre cliente n’ayant pas les moyens de vérifier les informations fournies par l’annonceur ». - Thomas Jahn, associé au sein du cabinet GGV Avocats, conseil de la société Booking.com BV.
Cette qualification juridique établie, le tribunal considère que la présomption de détention des informations mentionnées à l’article L. 324-2-1 du Code du tourisme a vocation à s’appliquer. À ce titre, les juges considèrent, à l’instar de la Ville de Paris, que les informations communiquées tardivement par l’éditeur sont incomplètes.
Une demande d’indemnisation modérée par les juges
Le manquement à l’obligation prévue à l’article L. 324-2-1 du Code du tourisme étant qualifié, se posait ensuite la question du montant de l’amende civile.
Tandis que la Ville de Paris sollicitait le versement d’une amende de 154 250 000 d’euros, les juges ont finalement retenu la somme de 1 234 000 d’euros, soit 400 euros par annonce. Il s’agit d’une fixation clémente étant donné que l’article L. 324-2-1, III du Code du tourisme prévoit une amende maximale de 50 000 euros par meublé de tourisme.
Cette diminution est notamment due au fait que le tribunal reconnaît que Booking.com BV a mis en place une démarche de conformité, même si celle-ci demeure hors délai et incomplète. De plus, les juges ont pris en compte le « calendrier contraint auquel a été soumise la société à la suite de l'entrée en vigueur du règlement du 31 octobre 2019 » (jugement p.17).
Ce jugement pédagogique devrait inspirer les sites de location meublée touristiques à mieux respecter leurs obligations légales. Dans son communiqué de presse, la Ville de Paris s’est d’ailleurs félicitée d’être « à un tournant dans la régulation des meublés touristiques ».
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Diplômée de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de Sciences Po, Calypso rédige des contenus pour le Blog Predictice.