Condamnation d’Apple à une amende record d’1,1 milliard d’euros

25 août 2022

6 min

Condamnation d'Apple
L’Autorité de la concurrence a condamné Apple à payer une amende de plus d’1,1 milliard d’euros pour trois pratiques anticoncurrentielles (Autorité de la Concurrence, 16 mars 2020, n° 2006/14057)

 

Le 12 avril 2012, la société eBizcuss.com a saisi l’Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de produits de marque Apple. Cette société qui avait le statut d’ « Apple Premium Reseller » (ci-après APR) considérait que les difficultés financières auxquelles elle faisait face trouvaient leur origine dans les pratiques anticoncurrentielles mises en place par Apple.

 

Suite à cette saisine, l’Autorité de la concurrence s’est rendue dans les locaux de la firme à la pomme en juin 2013 afin d’effectuer des opérations de saisie. Ces opérations ont permis à l’Autorité de mettre en lumière un certain nombre d’infractions au droit de la concurrence.

 

L’autorité a d’abord reproché à Apple et à ses deux grossistes de s’être entendus afin de créer une situation de pénurie artificielle de produits de la marque au détriment des détaillants. L’autorité considère qu’Apple s’est ainsi servie de ses grossistes comme de « simples intermédiaires logistiques » (décision, point 673) afin d’avoir un contrôle total sur les ventes et sur la concurrence sur le marché de gros.

 

Ensuite, l’Autorité a estimé qu’Apple s’était entendu avec ses revendeurs agréés premium (ou Apple Premium reseller) sur les prix de vente que ces derniers pouvaient fixer. L’Autorité a ainsi considéré que les prix conseillés étaient en réalité des prix imposés aux APR, ce qui permettait à Apple de limiter à la fois la concurrence entre les APR et la concurrence entre les APR et ses propres magasins.

 

L’Autorité de la concurrence a donc sanctionné le groupe Apple pour ces deux pratiques sur le fondement de l’article 101 du TFUE et de l’article 420-1 du code de commerce. Pour ces deux infractions, les sociétés Apple ont été condamnées à payer une amende de 883 millions d’euros.

 

LIRE LA DÉCISION >> Autorité de la Concurrence, 16 mars 2020, n° 2006/14057

 

La caractérisation d’un abus de dépendance économique

L’Autorité de la concurrence a également retenu un abus de dépendance économique de la part d’Apple vis-à-vis des APR. Cette infraction anticoncurrentielle est intéressante à plusieurs titres. D’abord, cette infraction n’a pas d’équivalent en droit européen. On la retrouve à l’article 420-2 alinéa 2 du Code de commerce selon laquelle « est en outre prohibée, dès lors qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées aux article L442-1 à L442-3 ou en accords de gamme ».

 

De plus, cette infraction est rarement retenue par l’Autorité de la concurrence, qui estime qu’une interprétation trop large de cette disposition ne serait pas bénéfique pour la concurrence. Cela pourrait notamment pousser certaines entreprises à couper toutes relations avec leurs cocontractants susceptibles de se trouver dans une situation de dépendance, afin d’éviter une sanction. C’est pourquoi, dans un arrêt du 3 mars 2004, la Cour de cassation a considéré que : « la seule circonstance qu'un distributeur réalise une part très importante voire exclusive de son approvisionnement auprès d'un seul fournisseur ne suffit pas à caractériser son état de dépendance économique au sens de l'article L. 420-2 6 du Code de commerce » (Cour de cassation, Chambre Commerciale, Financière et Économique, 3 mars 2004, n° 02-14.529)

 

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Dans sa décision, l’Autorité de la concurrence a pris soin de rappeler les trois conditions cumulatives nécessaires pour caractériser l’abus de dépendance économique : « l’existence d’une situation de dépendance économique d’une entreprise à l’égard d’une autre, une exploitation abusive de cette situation et une affectation, réelle ou potentielle du fonctionnement ou de la structure de la concurrence. En l’absence de l’une de ces trois conditions, l’abus de dépendance économique allégué n’est pas établi. » (décision, point 957).

 

En l’espèce, l’Autorité de la concurrence a considéré que les APR se trouvaient bien dans cette situation de dépendance économique dans la mesure où 80 % de leur activité concernait la vente de produits Apple. Par ailleurs, le contrat qui liait Apple et les APR limitait la possibilité pour ces derniers de se reconvertir ou de vendre des produits concurrents. L’Autorité a estimé qu’Apple a abusé de cette situation de dépendance en privilégiant systématiquement son réseau propre à celui des APR. Les APR faisaient ainsi face à de nombreux problèmes d’approvisionnement et il étaient maintenus par Apple dans une incertitude permanente sur les volumes d’approvisionnement et sur les prix des produits achetés (décision point 1091). En somme, l’Autorité a considéré qu’ « Apple a mis en place un système de distribution qu’elle qualifie d’ouvert. Elle n’a donc pas opté pour un système de distribution sélective ou exclusive, ni pour un système de franchise. Pourtant, son système de distribution emprunte en partie les caractéristiques de chacun de ces systèmes, en termes d’obligations pour les distributeurs, sans toujours en présenter pour eux la contrepartie (décision, point 1053 et 1054). Enfin, l’Autorité a estimé que cet abus de dépendance économique affectait la concurrence, notamment parce qu’il limitait la compétitivité des APR face aux Apple stores. L’Autorité a donc jugé qu’: « il apparaît que les pratiques d’abus susvisées ont limité l’autonomie et la liberté commerciale des APR, dans des proportions excessives. Tenus dans l’incertitude sur les quantités livrées et les remises d’Apple, les APR ne pouvaient avoir une appréhension globale de leur situation commerciale. Cette incertitude a nécessairement affaibli leur capacité à exercer une pression concurrentielle sur les autres distributeurs d’Apple, tels que les “Retailers”, ou les “Apple Stores” ou encore l’ “Apple Online Store” et ainsi, une concurrence effective dans la distribution de produits de marque Apple»

 

Pour la commission de cette infraction, l’Autorité de la concurrence a condamné Apple à une amende s’élevant à 218 298 018 euros portant le total de cette amende à 1,1 milliard d’euros. Les deux grossistes d’Apple ont également été condamnés à des amendes allant de 62 à 76 millions d’euros. Il s’agit de la sanction la plus importante jamais infligée par l’Autorité de la concurrence. Apple et ses deux grossistes ont formé un recours devant la cour d'appel de Paris qui rendra sa décision prochainement. 

 

Retrouvez l'intégralité de la série d'été consacrée aux amendes les plus élevées prononcées en France en cliquant sur ce lien.
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Pierre-Florian Dumez

Juriste et entrepreneur, Pierre-Florian est rédacteur pour le Blog Predictice.

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