La veille juridique est traversée par des bouleversements majeurs, induits par l'apparition de l'intelligence artificielle et le mouvement d'open data judiciaire.
Définition
La veille juridique se fonde sur la recherche systématique d’informations juridiques provenant de sources diverses – législative, réglementaire, jurisprudentielle et doctrinale – puis sur le tri, l’analyse et la diffusion de ces informations.
Selon Christophe Roquilly, directeur de l’EDHEC Augmented Law Institute, « la veille juridique permet de réduire l’incertitude et de ne pas se reposer uniquement sur la croyance et l’expérience, même si cette dernière est importante pour les juristes. La recherche d’information est une étape critique dans la résolution d’un problème, et ce dans de nombreux domaines impliquant une prise de décision. [...] La veille juridique doit permettre de réduire au maximum l’incertitude quant à l’état de l’environnement et d’identifier aussi bien les risques négatifs que les risques positifs »[1].
La veille juridique concourt donc non seulement à la gestion des connaissances juridiques mais également à la sécurité juridique, qui impose de réévaluer constamment les risques associés à une situation donnée.
Au sein des cabinets d’avocats, en particulier, elle est parfois assurée par un documentaliste dédié. En conséquence, celui-ci doit avoir une parfaite connaissance de la documentation juridique et suivre régulièrement la parution de nouvelles sources d’information qui peuvent s’avérer utiles pour le traitement des dossiers.
Mutations
La veille juridique connaît deux bouleversements majeurs depuis quelques années.
D’une part, les articles 20 et 21 de la Loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 ont imposé la mise à disposition du public à titre gratuit de l’ensemble des décisions judiciaires et administratives. Grâce à l’adoption du décret n°2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à disposition du public des décisions de juridictions judiciaires et administratives, le mouvement de l’open data est en marche [2] avec pour objectif, notamment, de « favoriser la circulation des données et du savoir ».
En application de l’open data jurisprudentiel, il est estimé que nous aurons chaque année accès à environ 4 millions de nouvelles décisions, soit l’équivalent de ce dont nous disposons à ce jour pour l’intégralité de l’histoire judiciaire. L’information juridique se caractérise donc désormais par sa surabondance, créant un phénomène de surcharge informationnelle.
D’autre part, nous assistons à la généralisation des traitements numérisés de données et, par conséquent, à l’essor de la « mise en ligne » des ressources d’information. Dans son ouvrage Les Technologies de l’intelligence, Pierre Lévy évoque ce phénomène tout en rappelant que ce nouveau mode numérisé de transmission de l’information ne supprime pas les canaux préexistants de diffusion du savoir : il s’y ajoute[3].
S’agissant de l’information juridique, la recherche informatique n’a pas vocation à remplacer la recherche traditionnelle sur support papier. Il faut y voir une source de connaissances complémentaire, laquelle occupe une place croissante dans l’analyse du droit.
Implications
« Les innovations technologiques accélèrent la marche vers le progrès mais créent des ruptures[4] » : appliquée à la veille juridique, cette réflexion signifie que l’avènement du monde de la data perturbe les équilibres subtils de l’écosystème juridique. Comment les acteurs du monde juridique accompagnent-t-ils cette mutation ?
La révolution digitale ouvre de nouvelles perspectives aux métiers juridiques, en augmentant par exemple les possibilités de stockage numérique de l’information, limitant de ce fait le volume de documents imprimés sur papier au sein des cabinets d’avocats. Cette révolution leur permet également d’améliorer l’accès, plus rapide et mieux organisé, aux données juridiques.
Chez Predictice, nous réfléchissons aux fonctionnalités permises par l’innovation technologique qu’il serait intéressant de proposer et avons, à cet effet, interrogé de nombreux documentalistes juridiques pour recueillir leurs avis et suggestions. Il ressort de cette initiative qu’une fonctionnalité d’alerte, indiquant les décisions dans lesquelles le cabinet, l’un de ses avocats ou l’un de ses clients est cité serait particulièrement appréciée.
Le gain de temps significatif qui résulte de cette évolution pour les documentalistes leur permet de se recentrer sur des tâches sur lesquelles ils ont davantage de valeur ajoutée, comme celles d’analyse.
L’explosion de l’information juridique et les avancées technologiques peuvent néanmoins effrayer les professionnels du droit. En particulier, le documentaliste doit être en mesure de remettre continuellement en question ses outils de recherche pour faire face à la multiplicité des sources de veille, tout en s’adaptant à leur numérisation.
Comme l’indique Fabrice Molinaro, spécialiste du traitement de l’information, « le problème du professionnel ne sera plus de permettre l’accès laborieux à la rareté, mais bien d’assurer une orientation vers la pertinence et l’excellence dans le contexte d’une information surabondante »[5]. La numérisation de l’information juridique entraîne, en effet, un risque de perte de qualité des contenus, de même qu’une incertitude sur leur fiabilité et leur véracité.
Si les documentalistes ont privilégié jusqu’à présent les démarches de conservation de l’information, ils doivent désormais y adjoindre des démarches sélectives, indispensables pour s’y retrouver dans ce que Fabrice Molinaro qualifie d’« océan informationnel »[6].
[1] Ch. ROQUILLY, « Performance juridique et avantage concurrentiel », chronique n° 1, Les Petites Affiches, 30 avril 2007, pp. 7-19.
[2] Voir les développements de F. CREUX-THOMAS, « Transition numérique et diffusion de l’information juridique : de nouveaux défis », Revue pratique de la prospective et de l’innovation, n°2, octobre 2017.
[3] P. LÉVY, Les Technologies de l’intelligence, L’avenir de la pensée à l’ère informatique, Editions Seuil, mars 1993.
[4] A. JAULMES, préface, in Rapport du Conseil National du Renseignement, Le Monde en 2035 vu par la CIA, Le paradoxe du progrès, Équateur document, 2017.
[5] F. MOLINARO, « Vers la société de l’information : le défi des nouvelles technologies », Les InfoStratèges, 16 janvier 2004.
[6] Ibid.
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Diplômée de Paris II et d'HEC, Élise a exercé le métier d'avocat avant de rejoindre Predictice comme Directrice Relations Publiques et Marketing.