"Le changement majeur viendra de l’intelligence artificielle"

27 mai 2021

5 min

Hervé Pisani, Fresfields
Organisation, stratégie, futur de la profession… Hervé Pisani, managing partner du bureau de Paris au sein du cabinet Freshfields Bruckhaus Deringer, s’est confié au Blog Predictice.

Vous êtes actuellement managing partner au sein du cabinet Freshfields. Comment êtes-vous arrivé à ce niveau de responsabilité ?

Pour bien comprendre, il faut savoir que la fonction de managing partner est temporaire. Les mandats durent trois ans et selon les statuts du cabinet, on ne peut faire que deux mandats. Devenir managing partner n'est donc pas un but en soi. Mon métier principal, c'est d'être avocat et de conseiller les clients. J'ai accepté l'idée d'être managing partner à un moment où j'ai pensé que, compte tenu de l'expérience accumulée, je pouvais avoir la confiance des associés et apporter ainsi quelque chose à la collectivité.

 

En effet, être managing partner, c'est simplement être celui qui se dévoue parmi les associés pour, pendant un ou deux mandats, essayer de faire avancer le bureau, de travailler sur l'organisation pour la rendre plus efficace, d'assurer la cohérence. Le plus important est de proposer une direction stratégique et de créer un consensus autour de cette direction.

 

Le managing partner d'un cabinet d'avocats n'est pas un patron comme dans une entreprise classique, avec un pouvoir hiérarchique sur les autres personnes. Je n'ai aucun pouvoir hiérarchique sur les autres associés. On ne peut avancer que si les associés à Paris me suivent, ce qui implique que je les écoute et que les propositions mises en œuvre soient le fruit de nos échanges.

 

Quel rôle prend le plus de temps : celui de managing partner ou celui d’avocat ?

Quand je suis devenu managing partner, j'ai fixé une ligne de conduite : pas question que cette fonction me prenne en moyenne sur l'année, plus d'un tiers de mon temps. Cela implique d'organiser toutes les fonctions support.

 

Nous avons une équipe de fonctions support à Paris qui est très efficace. J'ai pu ainsi organiser mon emploi du temps de manière à ne pas être en permanence sollicité. Ainsi, le lundi se tiennent deux réunions, une réunion avec le secrétaire général du bureau de Paris, Stephane Petermann, et une autre réunion avec les responsables des fonctions supports. Tous les sujets non-urgents sont traités dans le cadre de ces réunions, de sorte que le reste de la semaine, je peux me consacrer à mes clients.

 

Nous avons également mis en place des forums de discussion avec les associés. Lorsque je suis devenu managing partner, j'ai mis en place deux comités, un comité avec les responsables de groupes de pratique à Paris, et un autre comité appelé Comité innovation et vie du cabinet, qui regroupe d'autres associés plus jeunes, afin que nous réfléchissions tous ensemble à des sujets d'innovation, relatifs à l'organisation, au traitement des clients et au business en général.

 

Ces comités sont des instances de discussion et de partage. L'objectif est de prendre les décisions d'un commun accord. Ainsi, le comité innovation constitue une source d'inspiration où différents associés partagent des idées pour réfléchir à l’amélioration de la vie du cabinet.

 

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Quelle est votre journée type ?

Il n’y a pas de journée type. C’est tout l’intérêt du métier !

 

Comment est organisé le cabinet Freshfields ? Qui décide de la stratégie du bureau de Paris ?

Le cabinet Freshfields est depuis vingt ans un cabinet international et non plus anglo-saxon. En effet, en 2000, Freshfields, cabinet anglais, a fusionné avec le cabinet allemand Bruckhaus Deringer. Aujourd'hui, l'Europe continentale est la partie la plus importante en termes de chiffre d'affaires.

 

La stratégie du bureau de Paris est décidée par les associés de ce bureau, tout en s’intégrant dans une stratégie globale. Nos clients doivent avoir le sentiment de ne s'adresser qu'à un seul cabinet, composé d'avocats qui partagent la même façon de travailler et la même vision du service rendu.

 

Quelle est la stratégie d’évolution choisie pour les prochaines années ?

La stratégie business du cabinet, qui est le résultat de discussions entre associés et entre les différentes instances de gouvernance du cabinet, est définie par de grandes lignes directrices. 

 

Ces questions de stratégie concernent notamment le développement international. Ainsi, en ce moment, nous souhaitons nous développer aux États-Unis. Ces priorités stratégiques sont déterminées sous l'autorité du GLT, le Global Leadership Team, composé de quatre associés : un Senior Partner, un Managing Partner, et deux autres co-Managing Partners. Cette équipe pilote le cabinet au niveau mondial.

 

Le bureau parisien est un bureau assez significatif en taille en Europe continentale, après celui d'Allemagne, qui est évidemment beaucoup, beaucoup plus gros que nous. Nous sommes néanmoins le deuxième bureau d’Europe continentale, de sorte que notre stratégie est conduite par le bureau lui-même. Ensuite, sur certains sujets, évidemment, nous devons obtenir l'accord des associés au niveau mondial, soit au niveau des responsables de groupes de pratique soit au niveau du Global Leadership Team.

 

Pour vous donner un exemple très concret, après de nombreuses discussions en interne, à la fois au niveau international et au niveau du bureau de Paris, nous avons déterminé qu'une des priorités du bureau parisien serait de développer l'activité de private equity. Dans un premier temps, nous avons essayé de la développer de manière purement interne : en effet, le cabinet a une forte activité au niveau mondial en matière de private equity, tandis qu'à Paris, cette activité était sous-dimensionnée. Nous avons donc développé dans un premier temps cette activité de manière purement interne grâce à des associés présents à Paris.

 

Néanmoins, nous avons très vite constaté que cela allait prendre beaucoup de temps, car les associés étaient déjà occupés par leurs dossiers et n'avaient que très peu de temps à consacrer à cette activité. Le bureau de Paris a donc décidé de recruter une équipe issue d'un autre cabinet.

 

Évidemment, il a fallu faire valider cette décision d'association au niveau mondial. Néanmoins, cela a été très facile, puisque nous avions travaillé en amont et que cette stratégie de développement avait été en quelque sorte « pré-approuvée ». 

 

Contrairement à certains cabinets où le bureau local n'est qu'un bureau d'exécution, celui de Paris, qui compte aujourd'hui vingt-cinq associés et dégage un chiffre d'affaires significatif, dispose d'une vraie capacité décisionnelle. 

 

 

Dès lors que notre stratégie est cohérente et que l'on a démontré dans le passé notre capacité à atteindre les objectifs fixés, nous bénéficions d'une vraie crédibilité et nous réussissons à faire adopter nos propositions dans le cadre des instances de gouvernance mondiale du cabinet. Il en va de même avec la nomination des associés. Nous avons toujours été suivis dans nos choix, car nous avons toujours démontré la pertinence de notre stratégie.

 

Nous sommes donc vraiment pilotes de notre stratégie, qui intègre évidemment celle du cabinet. Cette stratégie tient d'ailleurs en quelques mots : Freshfields est un cabinet international, c'est pourquoi notre développement local est au service de sa dimension internationale. 

 

Il faut être un acteur leader sur le marché domestique pour être un acteur crédible sur la scène internationale. Ainsi, nous conquérons des clients français qui sont des grandes entreprises, pour développer avec eux leurs activités internationales.

 

 

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Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur la stratégie d'évolution que vous envisagez pour les prochaines années ?

L'axe essentiel est de renforcer notre part de marché en développant nos relations avec de nouveaux clients qui seraient des gros « corporate » français, tout en continuant à faire grandir notre activité de private equity.

 

À Paris, nous sommes un vrai cabinet d'avocats et non pas une juxtaposition de groupes de pratique. Ainsi, pour nos clients français, nous intervenons dans des domaines d'activité très variés comme les activités transactionnelles, le contentieux, l'arbitrage, la compliance, le droit de la concurrence, le droit fiscal ou le droit du travail. Nous couvrons tous les secteurs stratégiques de nos clients pour les accompagner en essayant d’avoir une vision globale de leurs besoins.

 

Comment imaginez-vous le métier d’avocat dans dix ans ?

Je pense que le métier va se concentrer de plus en plus sur des activités à forte valeur ajoutée pour nos clients. La technologie, qui est en train de pénétrer notre univers, va permettre d'automatiser les tâches d'exécution. Nous sommes d’ailleurs déjà attentifs aujourd'hui à ce que les activités d'exécution soient facturées à nos clients au moindre coût possible.

 

Vous n'avez donc pas peur d'être remplacé par des robots ?

(Rires) Pas à un horizon de dix ans en tous les cas ! 

 

Il ne fait pas de doute en revanche que l'intelligence artificielle va prendre une place de plus en plus importante dans les années qui viennent. 

 

 

Il est probable que dans dix ans, typiquement, lorsqu'on s'occupera d'une acquisition, on sera capable de faire écrire par les ordinateurs en ayant rentré les bons indicateurs, un premier projet de contrat d'acquisition. La partie adverse recevra ce contrat et pourra à son tour traiter, avec l'aide de son logiciel d’intelligence artificielle, la première réponse, de manière à ce qu'on arrive très vite à identifier les huit, dix ou douze points importants qui doivent faire l'objet d'une négociation.

 

À mon sens, il ne fait pas de doute que le changement majeur de la profession d’avocats viendra du développement de l’intelligence artificielle. Nous disposons d’ailleurs d’outils qui ont vocation à continuer de se développer.

 

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Éloïse Haddad Mimoun

Docteure en droit et diplômée de l'Essec, Eloïse est rédactrice en chef du Blog Predictice.

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