L'avenir des réfugiés environnementaux en droit international

8 janvier 2021

6 min

Martial Jeugue Doungue
Alors qu'une cour administrative d'appel semble avoir, pour la première fois, consacré la notion de « réfugié climatique », retrouvez l'interview d'un spécialiste de la question.

(article initialement publié le 16 mai 2020 et mis à jour le 8 janvier 2021)

 

La cour administrative d'appel de Bordeaux a, par un arrêt rendu le 18 décembre 2020, refusé de renvoyer un Bangladais souffrant de pathologies respiratoires, estimant que le niveau de pollution de son pays d'origine l'exposerait à un risque d'aggravation de son état de santé et à une mort prématurée. 

 

La question se pose de savoir s'il s'agit d'une première consécration de la notion de « réfugié climatique ». Pour approfondir la question, nous vous invitons à redécouvrir l'interview de Martial Jeugue Doungue, docteur en droit et avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, qui a consacré une étude sur ce thème dans l'ouvrage Droits en mutations II, publié par l'Association Française des Docteurs en Droit.

 

Pourquoi avoir choisir ce sujet ?

Le choix de traiter de l’avenir des réfugiés et déplacés environnementaux en droit international se justifie parce que le déplacement forcé de populations lié aux changements climatiques est l’un des enjeux majeurs qui vont se poser à l’humanité, en termes de droits de la personne et de protection de ces droits.

 

Pour preuve, la situation de la pandémie liée au Covid-19 (maladie causée par le coronavirus SARS-Cov-2) évolue sans cesse, et cela si rapidement qu’il faut réagir vite pour que cette pandémie ait le moins d’impact possible sur les déplacements de population engendrés, qui peuvent eux-mêmes contribuer à dégrader l’environnement.

 

Réfugiés et déplacés climatiques, écologiques ou environnementaux, les terminologies diverses traduisent l’imbrication de la cause purement environnementale avec d’autres maux, dans le déclenchement de ces mouvements. Pauvreté, sous-alimentation et manque d’eau potable, conflits armés, expropriations, inondations, catastrophes naturelles, maladies et manque d’accès aux soins, sont autant de facteurs de déclenchement d’un exode forcé.

 

Aujourd’hui, les termes du débat sont définis par deux perspectives distinctes : d’une part, les spécialistes de l’environnement dressent des prévisions alarmistes en matière de déplacement de population engendré par les changements climatiques qui interpellent les pays développés et la communauté internationale. D’autre part, les chercheurs du champ des migrations adoptent une posture plus sceptique et perçoivent l’environnement comme une cause parmi d’autres du déplacement, tout en reconnaissant que la détérioration de l’environnement s’accompagnera de conflits liés notamment à la raréfaction des ressources.

 

Ainsi, le phénomène des réfugiés ou déplacés environnementaux engendre à la fois un questionnement par rapport au droit international existant comme une réflexion sur les réponses juridiques possibles au niveau national et international. Le problème des déplacés environnementaux, de plus en plus concret, est très peu débattu, et aucun statut officiel n'a encore été défini.

 

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Vous évoquez les difficultés de définition du concept de déplacés et réfugiés environnementaux, notamment en raison du fait que la dégradation de l’environnement peut impacter directement et indirectement les personnes. En effet, certaines populations sont victimes de catastrophes naturelles, comme la sécheresse par exemple, et d’autres, de leurs conséquences indirectes, comme les conflits armés.

Cette difficulté de définition ne constitue-t-elle pas un obstacle infranchissable pour l’élaboration d’instruments de protection efficaces ?

Aussi récente qu'elle puisse paraître, la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) menace de faire de nombreuses victimes, de déplacés et la crise économique qu’elle a déclenchée peut inverser les progrès récents en matière de développement et de risques environnementaux. Le monde entier est percuté par le coronavirus, qui agit comme un révélateur.

 

Ainsi, diverses évaluations circulent sur le nombre des réfugiés environnementaux et l’on doit cette variation d’appréciations au concept particulièrement vague et juridiquement inexistant de déplacés ou réfugiés de l’environnement. Il apparaît dès lors nécessaire de procéder à l’identification de ces personnes selon des critères déterminés afin d’en dégager une définition et éventuellement d’envisager une catégorisation susceptible de favoriser des propositions juridiques.

 

A l’incohérence des chiffres, correspond la variété des termes : réfugiés et déplacés climatiques ou environnementaux, migrants des changements climatiques, migrations induites par le changement climatique, migrants forcés sous l’effet du climat, exodes écologiques, autant de termes trouvés dans la littérature. L’absence d’une définition, et donc d’un terme unique, traduit la difficulté d’isoler le facteur climatique dans les facteurs ayant déclenché la migration : « c’est un accroissement de la vulnérabilité sous l’effet de plusieurs paramètres (stress) dont la pauvreté, la discrimination, la sous-alimentation, etc, qui va déclencher la migration »[1].

 

Certes, ces migrations forcées induites par les catastrophes naturelles et environnementales, qu’elles soient intra ou inter-étatiques, vont être un des défis majeurs qui vont se poser, dans le siècle qui commence, à la communauté internationale, et aux droits de l’Homme.

 

Néanmoins, l’élargissement du caractère légal donné aux Principes directeurs relatifs aux personnes déplacées et l’interprétation de la Convention de 1951 offrant une protection aux réfugiés climatiques, sont quelques pistes qui viendront renforcer la protection des personnes déplacées de force par les catastrophes et les urgences environnementales.

 

Une autre réponse aux déplacements environnementaux serait le renforcement des instruments de prévention de la dégradation de l’environnement, c’est-à dire, au niveau international, le renforcement du droit et des politiques environnementales.

 

L’urgence de futurs mouvements de populations en raison d’une cause naturelle pousse à réfléchir à des concepts juridiques capables de faire avancer la recherche juridique sur une protection internationale de déplacés et réfugiés environnementaux. Quatre pistes peuvent être creusées : celle de « l’ingérence écologique », de la notion « d’État défaillant », de la « force majeure » et du « droit d’asile environnemental ».

 

Le concept de « force majeure » pourrait plus particulièrement constituer une piste de réflexion et servir de critère objectif de déclenchement de la protection de déplacés et réfugiés environnementaux.

 

Un des défis majeurs du siècle actuel sera sans aucun doute de parvenir à dépasser les paradigmes trop étroits pour envisager une protection véritablement opérationnelle.

 

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Le statut des réfugiés est réglementé par la Convention de Genève de 1951. Pourquoi cet instrument du droit international n’est-il pas suffisant pour assurer la protection des déplacés et réfugiés environnementaux ?

En l’état actuel du droit des réfugiés, quasiment aucun texte juridique spécialisé n’existe pour garantir un accueil, une assistance ou des droits aux réfugiés environnementaux ou écologiques. En effet, si les textes supranationaux relatifs à l’environnement, aux réfugiés ou aux étrangers se sont multipliés ces dernières années avec l’internationalisation du droit, il n’en demeure pas moins que la problématique du refuge environnemental n’est pas explicitement abordée dans ces textes.

 

La protection internationale offerte par la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés n’offre aucune garantie pour les déplacés et réfugiés environnementaux. La vocation de cette Convention est de protéger les personnes craignant avec raison de subir des persécutions politiques, religieuses, raciales, ethniques, etc. Aucun motif de l’article 1er A de la Convention de Genève ne prévoit une protection pour une cause environnementale. De surcroît, les autres textes internationaux relatifs aux droits de la personne ainsi que les jurisprudences rendues par leurs organes de protection n’apportent pas encore de garanties suffisantes pour protéger les déplacés et réfugiés environnementaux.

 

Les instruments juridiques qui seraient susceptibles d’apporter une protection «par ricochet» sont très limités. Seules des initiatives marginales et isolées de certains pays ont relativement abordé cette question. De surcroit, une lecture très extensive de la récente protection temporaire communautaire offerte par l’Union Européenne aux ressortissants d’Etats tiers pourrait, en cas de grave crise, organiser un accueil sous condition en Europe.

 

Une protection juridique internationale, à l’image de celle offerte par la Convention de Genève relative aux réfugiés politiques, est nécessaire, voire indispensable pour envisager des solutions à la question globale des déplacés et réfugiés environnementaux.

 

Vous préconisez comme solution un renforcement de la responsabilité des Etats. Pourriez-vous nous expliquer plus précisément en quoi cela consisterait ?

Il est établi en droit international que la responsabilité est au cœur du système juridique. Deux raisons nous semblent justifier le renforcement de la responsabilité des États. Il s’agit avant tout de bénéficier de la fonction préventive classiquement attribuée aux systèmes de responsabilité. S’impose également de garantir une répartition équitable de l’accueil des déplacés entre les États.

 

En effet, « la première et fondamentale responsabilité de chaque Etat est de prendre soin des victimes des catastrophes naturelles et des autres situations d’urgence survenant sur son territoire. Par conséquent, le premier rôle revient à l’Etat concerné pour ce qui est de l’initiation de l’organisation »[2].

 

« L’objectif est assez simple à définir, et sur ce point tout le monde s’accorde: que tous les humains qui fuient la persécution ou un malheur extrême dans leur propre pays, puissent trouver un accueil que l’on appelle refuge dans un autre pays »[3].

 

Une constatation s’impose donc de plus en plus : l’approche du fait migratoire aux plans national, régional et mondial doit se faire désormais dans une optique globale et de façon planifiée, ce qui suppose notamment un effort accru de dialogue et de coopération entre tous les Etats et un engagement des autres parties prenantes concernées sur la scène migratoire.

 

Enfin, vous estimez que les aléas climatiques relèvent de la responsabilité de l’ensemble de la communauté internationale, et préconisez en conséquence un recours à la solidarité internationale. Là encore, pourriez-vous nous expliquer plus précisément comment cette dernière serait mise en œuvre ?

Il convient tout d’abord de dire que la complexité du contexte environnemental et sociétal est mise en exergue notamment au travers des notions de vulnérabilité, de résilience et de risque.

 

Les impacts complexes d’aléas climatiques ne permettent plus de raisonner en termes de frontière étatique et donc de protection nationale.

 

Le point de départ pour un recours à la solidarité internationale en matière d’accueil et de protection de déplacés environnementaux consiste à évaluer les capacités ou potentialités des concepts et instruments juridiques actuels pour construire une protection juridique adéquate.

 

Ainsi, une protection internationale des réfugiés climatiques ou de graves catastrophes environnementales qui touchent souvent plusieurs États, requiert de garantir des droits aux personnes déplacées à l’intérieur de l’État et à celles qui migrent en dehors de l’État. Autrement dit, une protection qui dépasserait les frontières territoriales des États.

 

On pourrait tout à fait instituer qu’une assistance aux déplacés internes victimes d’aléas climatiques relève de la protection des droits de droits de l’homme, organisée dans le cadre d’un « droit d’ingérence humanitaire ou environnemental ». En effet, une partie de la doctrine et certaines ONG revendiquent ce droit d’ingérence ou d’intervention humanitaire pour secourir des personnes en détresse.

 

Ensuite, ce serait également l’occasion d’insérer de nouvelles exigences pour l’accueil des réfugiés climatiques. Ainsi, en plus des règles coutumières de non-refoulement et d’accueil temporaire, il serait ambitieux d’intégrer dans un traité international des obligations sur le traitement digne des réfugiés par le pays d’accueil, et ce, que le déplacement du réfugié soit interne ou international : en plus d’une simple tolérance dans le territoire d’accueil, des droits supplémentaires tenant à l’entretien physique et moral, au droit au travail, au logement décent, au regroupement familial, aux prestations sociales, des droits élémentaires à la personne humaine (droit à la vie, à la dignité humaine et à la santé), ainsi que des obligations selon les catégories de victimes pourraient être intégrés dans ce traité multinational.

 

La solidarité internationale devrait également pouvoir mettre en place les bases d’une logistique importante, sans quoi celle-ci ne serait qu’illusoire. Des installations de camps temporaires devraient pouvoir être instaurées. Un fond permanent spécifique serait donc nécessaire pour que les personnes déplacées puissent reconstruire provisoirement ou définitivement leur vie après la catastrophe climatique.

 

L’affaire Tuvalu apparaît, aujourd’hui encore, comme un cas d’école, mais la mise en place d’une protection du réfugié environnemental permettrait d’imposer des obligations internationales en matière d’hospitalité, d’assistance et de solidarité.

 

L’idée d’une ingérence écologique a été notamment développée par Michel Bachelet. Selon lui, la protection de la planète doit passer par des normes multisectorielles et de solidarités internationales, afin de prévenir et de faire face aux risques majeurs que court la planète toute entière. Ainsi, ces normes passent par un abandon partiel de la souveraineté étatique au profit d’une nouvelle façon de régler le comportement des relations entre États.

 

La création d’une institution internationale spécialisée permettrait d’encadrer les interventions et d’être la gardienne unique des motifs d’intervention.

 

Ainsi, tout comme la protection des réfugiés climatiques et déplacés à l’intérieur ou à l’extérieur des États, la protection de la planète contre les aléas climatiques nécessite des normes et institutions internationales.

 

Pour lire d'autres interviews d'auteurs de l'ouvrage Droits en mutation II, cliquez ici : https://blog.predictice.com/droits-en-mutation-ii-docteurs-en-droit.

[1] S. Pecourt, « Protection des déplacés et réfugiés climatiques : migrations forcées, droits de l’homme et changement climatique », Certificat de formation continue en droits de l’homme, Université de Genève, 2008, 40 pp, p. 8.

[2] Résolution 46/182 AG.

[3] M. Chemillier-Gendreau, « L’introuvable statut de réfugié, révélateur de la crise de l’État moderne», Revue «Hommes et migrations », Ed. Établissement public de la Porte Dorée - Cité nationale de l’histoire de l’immigration, 2002/11, 1240, p. 94-106, http://www.hommes-et-migrations.fr/ (consulté le 20 février 2019).

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Éloïse Haddad Mimoun

Docteure en droit et diplômée de l'Essec, Eloïse est rédactrice en chef du Blog Predictice.

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